CINEMA, GRACE ET ARTS MARTIAUX : ENTRETIEN AVEC HOU HSIAO-HSIEN

CINEMA, GRACE ET ARTS MARTIAUX : ENTRETIEN AVEC HOU HSIAO-HSIEN

En février dernier, le Taïwanais Hou Hsiao-hsien était à Paris pour un hommage à la Cinémathèque et la sortie de son nouveau chef-d’œuvre, The Assassin, un film de sabre contemplatif et hypnotique, prix de la Mise en scène au festival de Cannes. Rencontre dans un café de Bastille.

On a découvert le Taïwanais Hou Hsiao-hsien (HHH pour les intimes) dans les années 80, et il s’est très vite imposé comme un maître du formalisme romanesque, avec des œuvres comme La Cité des douleurs, Fleurs de Shanghai, Goodbye South, Goodbye ou Le Maître des marionnettes, montrés dans les plus grands festivals mondiaux. En 2001, HHH change de registre avec l’hypnotique Millennium Mambo, dédié à la jeunesse. Puis, il se fait plus rare et réalise un film-hommage au réalisateur japonais Ozu ou Le Voyage du ballon rouge, remake d’un film pour enfants en France avec Juliette Binoche.

Après huit années d’absence, HHH revient avec The Assassin, un film d’arts martiaux, « wu xia pian », qu’il essayait de monter depuis 25 ans. L’histoire au IXe siècle d’une femme assassin, virtuose des arts martiaux, incapable de tuer celui qu’elle doit exécuter. Mais HHH ne fait rien comme les autres et signe un film de sabre contemplatif, énigmatique, qui ne ressemble pas aux classiques du genre puisque les combats sont le plus souvent furtifs, voire anecdotiques. D’ailleurs, son actrice principale, Shu Qi, a révélé qu’elle s’est entraînée de longs mois pour ces scènes spectaculaires, qu’elle les a tournées et qu’elle a découvert lors de la première projection que HHH avait presque tout coupé, ne gardant que le début et la fin des scènes de combat…

Créateur de formes, dispensateur de beautés, HHH compose ses plans comme un peintre, et certaines scènes – filmées entre Taïwan, le Japon ou la Mongolie – ont nécessité plusieurs mois de tournage. Une beauté hallucinante qui a valu à HHH le prix de la Mise en scène au dernier festival de Cannes.

Rencontre avec un géant du cinéma.

 

HHH

Daily Mars : Pourquoi le réalisateur de Millennium Mambo réalise-t-il un film de Wu Xia ? Qu’est-ce qui vous a poussé à cela ?

Hou Hsiao-hsien : J’ai toujours aimé ce genre. Dans mon enfance, j’ai lu beaucoup de littérature de Wu Xia et de nombreux personnages de ce genre m’ont marqué. Ils se mélangent tous pour former une espèce de héros mythique. Au cinéma, j’ai vu beaucoup des films de la Shaw Brothers, mais aussi de Taïwan et du continent. Mais ceux que j’aime le plus sont les films de « chambara », les films de samouraïs japonais. Parce que ce sont les plus réalistes, avec une énergie très puissante. De fait, ma plus grosse influence, ce sont les films japonais de samouraïs, ceux de Kurosawa et d’autres, où ce qui importe le plus ce ne sont pas les actions violentes, d’ailleurs souvent expéditives et finalement anecdotiques, mais la philosophie de vie qui accompagne cet étrange métier de samouraï.

Pour revenir à votre question, entre Millennium et The Assassin, c’est pareil, c’est juste la forme qui change. Shu Qi est toujours fidèle à elle-même. Elle aborde ces deux femmes différentes avec sa nature propre.

DM : De plus, c’est encore l’histoire d’une femme qui s’émancipe.

HHH : Je n’ai pas pensé à cela… C’est l’histoire d’une collaboration sur un nombre d’années important. J’apprécie ce que Shu Qi est devenue. L’être humain, dans son travail d’actrice, et de ce que je connais d’elle dans la vie, sa façon de s’exprimer, cette force qu’elle a, ce caractère véhément. Shu Qi est une femme relax qui vit à Hong Kong entourée de nombreux amis. Mais dans le fond, elle est très indépendante et finalement assez solitaire. Dans Millennium Mambo, elle était plus jeune. Dans The Assassin, elle est plus mûre.

DM : Vous avez déclaré que l’intrigue n’était pas importante dans votre cinéma.

HHH : Pour moi, c’est l’être humain qui est au centre de tout, le personnage. Ce qui m’intéresse, c’est de rendre visible la texture du personnage, ce qui va créer l’émotion chez le spectateur. À partir du moment où cela est révélé, mon film existe. Ce n’est pas l’aspect théâtral ou dramatique qui m’intéresse dans un script. Ce que je mets au centre de tout, c’est la nature humaine, les qualités propres des êtres humains et donc aux acteurs. À partir du moment où j’ai trouvé mes acteurs, je les laisse s’exprimer, sans direction et je filme. Les explications quelles qu’elles soient, et surtout les explications psychologiques, n’ont jamais été mon souci majeur. Si The Assassin était un torrent, je m’intéresserais au cours de ce torrent, à sa vitesse, à ses méandres, ses tourbillons, beaucoup plus qu’à sa source ou à son embouchure.

IMG_3524

DM : De nos jours, les films sont tournés avec dix caméras, surmontés, avec des plans d’une ½ seconde. Les vôtres sont filmés en plans-séquences, très lents. Que cherchez-vous à provoquer avec cette lenteur ?

HHH : Je ne peux que me baser sur ce que je sens de la nature propre d’un individu, d’un acteur, et faire en sorte de le révéler. Et ma façon de faire, c’est avec de longs plans-séquences. En installant ces temps, petit à petit, l’acteur va révéler cela ; et il lui faut du temps. Dans Millennium Mambo, Shu Qi se dispute avec son copain et à un moment elle prend une chaise. Ce n’était pas du tout prévu, elle l’a senti comme ça. Et c’est grâce au temps qui s’installait que j’ai pu obtenir cette scène. C’est pour cela que pour moi, le plus important, c’est la nature de l’acteur.

DM : Quelle est la situation de Taïwan ?

HHH : C’est une petite île de 20 millions d’habitants. La population est divisée entre partisans du parti nationaliste et du parti démocratique progressiste, le parti des bleus et celui des verts. Le parti nationaliste vient du continent, de la Chine. Et il y a les autochtones. Ces deux partis sont dans une lutte sans fin. Le parti nationaliste a été au pouvoir et c’est maintenant le parti démocratique progressiste. Et tout le monde est face à une grande difficulté : quel rapport entretenir avec la Chine populaire, le continent, comment trouver une façon de fonctionner, comment faire en sorte que la population de Taïwan s’y retrouve, avec des rapports apaisés avec le continent et conserver cette indépendance que la population veut ? C’est vraiment très complexe.

DM : Qu’est-ce qui vous énerve au cinéma ? Qu’avez-vous vu de très mauvais récemment ?

HHH : Ces derniers temps, je ne suis pas beaucoup allé au cinéma. En général, quand je regarde un film, très rapidement, je sens si le cinéaste a comme but unique de plaire au spectateur ou pas. Et je n’aime pas quand un cinéaste essaie simplement de plaire aux spectateurs. Comme je suis à la tête de trois salles de cinéma à Taïwan, j’organise parfois des projections de films anciens. Et il y a pas mal de bons films de l’histoire du cinéma à voir.

 

Partager