
Close Encounters with Vilmos Zsigmond : Interview de Pierre Filmon
Projectionniste au cinéma le Grand Action, Pierre Filmon a réalisé un documentaire magnifique consacré à Vilmos Zsigmond. Directeur de la photographie de légende, il a éclairé Délivrance, L’Épouvantail, Voyage au bout de l’enfer, La Porte du paradis, Rencontres du troisième type, Blow out… Après avoir cadré des monstres en plastique dans des séries Z destinées aux drive-in, il a filmé Al Pacino, Gene Hackman, Robert De Niro, Meryl Streep, Jack Nicholson, François Truffaut, Woody Allen, Bob Dylan, Christopher Walken, Tom Hanks, Sharon Stone, Mel Gibson, Isabelle Huppert, John Travolta, Jon Voight, Warren Beatty, Christopher Walken, Bruce Willis et même des aliens. Dans les années 70, Vilmos Zsigmond a inventé la photo emblématique des films du Nouvel Hollywood, le « réalisme poétique », un réalisme transcendé par la beauté de sa lumière, inspirée par le néo-réalisme italien et la nouvelle vague, mais aussi par des peintres comme Rembrandt ou Le Caravage.
Alors que Vilmos Zsigmond est mort en janvier dernier, le film hommage de Pierre Filmon, tourné dans l’urgence et grâce au système D, sort le 16 novembre. Rencontre.
Quelle est la genèse de Close Encounters with Vilmos Zsigmond ?
Pierre Filmon : J’ai 46 ans, je suis réalisateur quand je le peux, projectionniste pour vivre et cinéphile tout le temps. Je vois beaucoup de films en salles et aussi de ma cabine. Ça me fait rêver… Et cela m’a donné envie de passer derrière la caméra. J’ai eu plusieurs projets de courts et de longs métrages. Certains se sont faits, d’autres pas. Un soir de décembre 2010, j’ai eu la chance de rencontrer Darius Khondji, venu présenter au cinéma Grand Action Se7en. Nous sommes devenus amis très rapidement. Comme il savait que je travaillais sur un scénario de fiction, un jour, il me demande qui j’aimerais avoir comme directeur de la photographie. Je lui réponds que j’aimerais que ça soit lui, mais c’est difficile car il enchaîne les films avec Michael Haneke, James Gray, Woody Allen… Je lui avoue que je rêve de rencontrer Vilmos Zsigmond, qui est le chef op’ qui me fait le plus rêver.
Quels sont les films de Zsigmond qui vous ont marqués ?
Je suis venu assez tard à la cinéphilie et j’ai vu ses films des années 70 sur une période très ramassée : Délivrance, Voyage au bout de l’enfer, Blow out, L’Épouvantail, John McCabe… Et à chaque fois, il y avait le nom de Vilmos au générique. J’aimais le fait que son image était toujours discrète, au service du film. J’avais l’impression d’être projeté dans le film. Quand j’ai parlé de lui à Darius, il m’a dit qu’il le connaissait bien et qu’il lui transmettrait mon scénario. Quatre jours plus tard, Vilmos me contactait pour me dire qu’il voulait faire mon film ! Nous sommes en août 2013. Il est venu en France juste après pour le décès de sa sœur. Il m’a proposé de dîner, mais je lui ai demandé plutôt de présenter deux films au Grand Action, La Porte du paradis et Délivrance. Entre nous, le courant est très bien passé, notamment car je connais bien Budapest. Quelque chose de magique est arrivée.
Comment est née l’idée de lui consacrer un documentaire ?
L’année suivante, il m’a dit qu’il venait une semaine à Cannes pour recevoir un prix. Je lui ai déclaré que je voulais réaliser un documentaire sur lui et il a accepté aussitôt. Au cinéma, je suis très sensible à l’image. Et donc le travail du directeur de la photographie, c’est primordial pour moi. Même si je sais que la critique n’est pas vraiment sensible à ces techniciens de génie.
Vous avez donc laissé tomber votre idée de long métrage de fiction ?
J’avais écrit un scénario avec Budd Schulberg, oscarisé pour Sur les quais en 1950, avec Marlon Brando. Ce scénario est un peu l’histoire de mon doc : celle d’un projectionniste qui rêve beaucoup, qui veut réaliser un film, rencontre une femme fatale aux États-Unis. Ma femme fatale à moi, c’est Vilmos qui m’a fait toucher du doigt mon rêve.
Quand Vilmos est revenu en France, vous avez commencé à tourner ?
J’ai tourné une semaine. Je me suis lancé sans argent, sans production, on m’a prêté une caméra, mais je voulais récolter des images le plus vite possible. En mai 2014, je ne savais pas que j’irais six mois plus tard compléter mon film aux USA.
Que s’est-il passé ?
La rencontre déterminante, cela a été avec le distributeur Marc Olry, de Lost Films. Il a décidé de financer le film, de me payer l’aller-retour pour Los Angeles. Cela m’a donné une énergie formidable et j’ai essayé d’effectuer un maximum d’interviews en un minimum de temps.
C’est Vilmos qui vous a ouvert les portes ?
Soit il a appelé directement les gens que je voulais interviewer, soit il m’a donné les contacts pour Peter Fonda, Mark Rydell, Richard Donner ou John Travolta. Son nom a été le sésame.
Vous n’avez pas eu Steven Spielberg, avec qui Vilmos a filmé Rencontres du troisième type ?
J’avais reçu un mail d’une assistante de Spielberg me disant qu’il voudrait bien participer. J’y ai cru pendant un an. Il voulait le faire avec sa propre équipe et une série de questions. J’ai attendu une vidéo qui n’est jamais arrivée… Je lui avais pourtant envoyé mes rushs où Vilmos s’excuse de ne pas l’avoir remercié aux Oscars (ce qui serait l’objet de la brouille de Spielberg avec son chef op’, NDR)…
Quelle était votre équipe à L. A. ?
J’avais un ingénieur du son et un chef op’ américain, James Chressanthis, qui avait déjà réalisé un film sur Vilmos, No Subtitles Necessary. L’angle de son film était l’amitié entre Vilmos et un autre chef op’ hongrois, László Kovács, ce qui n’avait rien à voir avec ce que je voulais raconter. J’ai toujours gardé en tête qu’il fallait que mon doc se distingue de celui de James. C’est pour cela que je ne parle pas beaucoup de la fuite de Hongrie de Vilmos qui était déjà traitée copieusement dans le film précédent.
À l’époque, vous pensiez que le film pourrait sortir en salles ?
Cela a toujours été une évidence, je voulais un beau film et le sortir en salles. C’est pour cela qu’il fallait que j’aille sur ses terres, en Hongrie. Il a eu une rétrospective de ses photos dans un musée hongrois et j’ai foncé. J’ai pu filmer là-bas des choses très intimes.
Combien de temps de montage ?
Dix semaines étalées sur plusieurs mois. La suite est un conte de fées car le film a été présenté au festival de Cannes. Ce qui a déclenché une série d’événements. La semaine prochaine, je vais le présenter en Hongrie.
Entre la fin du tournage et la présentation à Cannes, Vilmos est mort, en janvier dernier.
Il n’aura pas vu le film terminé. C’est l’un de mes grands regrets. J’espère que le film lui rend hommage.
Ce qui est dingue dans votre film, c’est le nombre d’extraits, vu que vous n’aviez pas beaucoup d’argent.
(Il se marre). Au début, nous n’avions aucun extrait car nous n’avions pas d’argent. Ce qui m’a sauvé, c’est le droit de citation. Si vous utilisez un extrait suffisamment bref d’une œuvre existante, à des fins pédagogiques, sans faire durer l’extrait pour le plaisir de le faire durer, mais uniquement pour éclairer une idée, c’est possible. J’ai pris une avocate américaine spécialiste de ce sujet. J’ai ajusté mon montage en fonction de ses remarques. J’ai eu beaucoup de chance… Un jour Nancy Allen m’a dit : « Faire un film, c’est un miracle. » Elle a complètement raison…
Votre plus belle rencontre, c’est Vilmos ?
Évidemment. Cet homme a changé ma vie. C’est mon père de cinéma, un homme exceptionnel.
Vous allez de festival en festival. Et le film sort enfin le 16 novembre.
Dans une seule salle, le Grand Action. C’est un ovni, un tout petit film. Il va néanmoins circuler en province. Le film a été acheté par TCM et il a été diffusé pendant le festival de Cannes, le 22 mai. Il repassera sur TCM après la sortie salle.
Et la suite ? Une fiction maintenant ?
J’ai d’autres projets. Une fiction avec Mélanie Doutey, Jean-François Stevenin et Jonathan Zaccaï, si les dieux du cinéma le veulent bien. Et pour le doc, un projet avec Vittorio Storaro. Encore un chef op’ !
Close Encounters with Vilmos Zsigmond de Pierre Filmon
En salles le 16 novembre 2016