
#Concert Nick Cave & The Bad Seeds au Zénith de Paris (3 octobre 2017)
Les 3 et 4 octobre derniers, Nick Cave et ses Bad Seeds faisaient halte au Zénith de Paris. En septembre 2016 sortait Skeleton Tree : un disque élégant, dépouillé comme un arbre en hiver… et sur lequel planait une ombre mortifère. Un peu plus d’un plus tard, l’Australien et sa mauvaise troupe parviennent à transcender toute cette noirceur « encore une fois, avec de l’émotion ».
Comme pour conjurer le sort et tenter de mettre (arbitrairement) un terme à la période de deuil qui a suivi le décès de son fils Arthur, à l’été 2015, Nick Cave s’est donc engagé au printemps dans un pèlerinage musical. Et bien que le lancement dans cette tournée mondiale, au mois de mai dernier, ait coïncidé avec la sortie d’une compilation (Lovely Creatures), il n’est pas question, d’un spectacle « best of ». Il s’agit bien d’assister au portage sur scène de son seizième et dernier opus en date, Skeleton Tree. Sept des huit titres qui le composent seront interprétés au cours de la soirée et, plus généralement, sa tonalité générale déteindra sur l’ensemble du show.
Pas de première partie, des tentures noires tendues sur les côtés et en fond de scène : tout est fait pour donner à la salle du Zénith l’allure d’un tabernacle où, en son Saint des Saints, une étrange cérémonie se prépare, à la fois dans la ferveur et le recueillement. De sobres effets de lumière et des projections vidéo, dans un noir et blanc très contrasté, complètent cette véritable petite leçon de scénographie à l’usage des rustres et des adeptes du « bling-bling ».
Dès son apparition, Nick Cave semble convoquer quelque chose de l’ordre du mystique, à mi-chemin entre la messe en latin et le rituel vaudou. Il faut le voir se faire supporter (littéralement) par le public des premiers rangs. À tous ces gens qui tendent les bras vers le ciel et plaquent la paume de leurs mains sur sa poitrine, Cave demande « s’ils sentent battre son cœur » à la fin d’un Higgs Boson Blues proprement diabolique.
Le reste du temps, ces mêmes spectateurs semblent chercher désespérément un contact, un regard, une onction (ou plus prosaïquement… un égoportrait avec leur idole, au grand dam d’icelui). Même en étant trop vieux et trop blasé pour être aussi fanatique, force est de reconnaître qu’il y a bien quelque chose de fascinant à le voir évoluer à quelques mètres, là, devant vous.
Nick Cave est l’un des rares artistes qui parviennent réellement à marier la poésie et la chanson, dans une forme où le trivial le dispute en permanence au sacré et où le beau côtoie l’inconfortable. Mais le résultat n’est pas que cérébral. Il est aussi (et surtout) physique. Car nous restons face à un groupe de rock, qui soumet son auditoire à de subites variations de température et de pression. Tour à tour, on est traversé, de la pointe des pieds jusqu’au sommet du crâne, par une émotion glaçante (sur Magneto). Quelques minutes plus tard, de la fosse aux poutrelles métalliques du toit, l’espace est saturé d’un bruit écrasant (From Her to Eternity).
Pendant plus de deux heures, les chansons se succèdent, comme autant de psaumes dont certains sont de véritables hymnes, des standards – comme Red Right Hand ou The Mercy Seat, par exemple – interprétés ici dans des versions épurées, peut-être moins folles que par le passé, mais en aucun cas moins fortes.
Derrière Cave, les Bad Seeds jouent admirablement une partition subtile, tout en pleins et en déliés. Au premier pupitre de cet orchestre expressionniste et amidonné, on trouve Warren Ellis ; sorte de version alternative (et australienne) d’Alan Moore qui aurait préféré la musique à la littérature. Il parvient à faire tenir debout cet édifice fragile et chancelant, dans lequel son (saint) patron se meut, à son rythme. Au fur et à mesure que la soirée avance, la musique semble s’étayer, s’étoffer et se consolider, jusqu’à vous englober tout entier.
Et, juste au moment où l’on pense que la soirée a atteint son paroxysme, Nick Cave balance alors (par deux fois) sa carcasse longiligne dans les tribunes. Il achève ainsi son rappel au milieu du public, et l’enjoint à envahir la scène. Après une version fangeuse du classique folk Stagger Lee, c’est sur l’aria céleste Push the Sky Away que se conclue cette symphonie pastorale, dirigée de main de maître par l’un des derniers apôtres du rock ‘n roll. Une fois les lumières rallumées, s’impose la conclusion que, pas plus qu’on a besoin de religion quand on a la musique, on doit pouvoir se passer de dieu, de prêtre ou de prophète pourvu qu’on ait devant soi un artiste de la trempe de Nick Cave.
Skeleton Tree de Nick Cave
& The Bad Seeds (Bad Seeds Ltd.) est disponible ici.
Lovely Creatures de Nick Cave
& The Bad Seeds (Mute Records) est disponible ici.
les chansons se succèdent, comme autant de psaumes