Concert : Refugees of Rap – Le Petit Bain – 16/05/2018

Concert : Refugees of Rap – Le Petit Bain – 16/05/2018

Note de l'auteur

Depuis ses origines, le rap est une musique de révolte et/ou de protestation. Suivant l’adage bien connu remis au goût du jour par l’ami Marcus Brody, « la plume est plus forte que l’épée », les artistes majeurs de la mouvance hip hop ont compris immédiatement que le pouvoir des mots avait un impact décisif sur les mentalités. Les Refugees of Rap entretiennent la même flamme, avec une différence subtile cependant, illustrant parfaitement cette variante de William Shakespeare tirée de Hamlet, « Bien des gens portant l’épée ont peur des plumes d’oie ».

 

Public Enemies

Emmené par deux frères, Yaser (l’aîné) et Mohammed (le cadet) Jamous, Refugees of Rap n’ont pas usurpé leur nom. D’origine palestinienne, ils étaient réfugiés dès leur naissance puisqu’ils ont tous deux vu le jour et grandi en Syrie, dans le camp de Yarmouk en banlieue de Damas.

Très tôt attiré par le hip hop et le rap américain en particulier, Mohammed commence à écrire des textes sur son quotidien, ses potes, son histoire, comme un exutoire à sa vie de réfugié d’un pays en guerre dans un pays où la liberté d’expression est une vaste plaisanterie, bientôt rejoint par son frère avec lequel il fonde Refugees of Rap en 2007.

Et ça marche ! Faisant voler en éclats le cliché (très occidental) du camp de réfugiés misérable et aride relayé par la plupart des médias, Refugees of Rap démontre que la vie existe dans ce genre de lieu et qu’à défaut d’être facile, elle peut être belle quand même. Malgré les bombes, malgré le déracinement, malgré l’incertitude du lendemain.

Dans le paysage musical syrien de l’époque, dominé par la musique orientale et les chansons romantiques, le groupe fait tache et se fait donc remarquer très vite par sa différence et l’engagement de ses textes, très critiques (doux euphémisme) à l’égard du régime de Bashar al-Assad, un régime pas spécialement tendre avec ceux qui ne pensent pas comme lui.

Après la destruction de leur studio d’enregistrement et des menaces très explicites sur leur vie, les deux frères et leurs musiciens décident de fuir la Syrie et se retrouvent réfugiés pour la seconde fois, en France cette fois-ci, où ils rejoignent une scène rap hexagonale dont ils étaient déjà amateurs. (Yaser voue une admiration sans borne à IAM et DJ Kheops en particulier).

La chronique de cet exil volontairement forcé, ils nous l’offrent sur un album en 2014, The Age of Silence, rappé essentiellement en arabe malgré son titre, où ils se racontent, dénoncent la complaisance de nombreux gouvernements avec le régime syrien considéré à tort comme un rempart au terrorisme islamiste, et parlent avant tout de paix.

C’est d’ailleurs ce qui frappe le plus lorsque l’on découvre le groupe sur scène…

 

Prophets of Peace

Et ce soir, c’est au Petit Bain que ça se passe. La célèbre péniche parisienne accueille pour l’occasion La Soirée de la Fraternité organisée par l’association Le Labo de la Fraternité (ça tombe bien) dans le but de promouvoir, devinez quoi ? Gagné ! Votre serviteur a l’air un peu sarcastique comme ça mais il faut dire qu’à l’écoute de certains des intervenants qui se succèdent sur la scène, il y a de quoi…

S’il est vrai que les bons sentiments valent toujours mieux que les mauvais, par définition, on n’échappe pas à un certain nombre de clichés liés à ce genre de manifestation.

Les clichés… Parlons-en un peu car s’il est une chose que les Refugees of Rap démontent avec application, c’est bien eux ! Tristement, en France, les clichés concernant le monde arabe, la langue arabe et tout ce qui se rapproche de près ou de loin de la culture arabe ont la vie dure. Après une décolonisation mal fagotée suivie d’une immigration mal préparée, voilà que l’irruption du terrorisme dans notre quotidien vient enfoncer le clou d’une méfiance sourde à l’égard de toute une communauté, méfiance orchestrée et encouragée par de nombreux partis politiques.

Quant aux clichés sur le rap, il n’y a qu’à regarder quelques clips à la télévision pour en être abreuvé… Sexisme, agressivité, vulgarité, communautarisme, tout y passe.

Or, en découvrant les Refugees of Rap sur scène, c’est l’effet inverse qui se produit. Alors que le rap a souvent tendance à user de violence pour faire passer ses messages, les deux garçons usent de douceur, d’élégance et de joie. Alors que la langue arabe est souvent considérée comme abrupte par ceux qui ne la pratiquent pas, leur flow en fait ressortir la musicalité et la poésie.

Plus important encore, alors que les rappeurs répondent souvent aux injustices qu’ils ont vécu par des discours de haine et de colère, Yaser et Mohammed Jamous transcendent leurs souffrances passées (et quelles souffrances) avec des textes de paix et d’espoir. Et le résultat est bluffant, émouvant et même parfois choquant tant leur démarche semble évidente avec un peu de recul.

Le groupe interprétera une dizaine de titres, certains extraits de leur album (Haram, Power to the People), d’autres plus récents nés de leurs expériences depuis leur arrivée en France (VoyageMa Bihmni ShiAyam Al Ghorba) avec à chaque fois la volonté de faire chanter le public même si ce dernier ne comprend pas un mot des paroles…

En parfait MC, Yaser Jamous mettra d’ailleurs un point d’honneur à expliquer chaque refrain avant de faire participer la foule (Kabous) histoire d’inclure les spectateurs dans son univers et de ne pas leur donner l’impression d’être des perroquets.

Au final, outre une magnifique découverte musicale dans tous les sens du terme, c’est avant tout une incroyable expérience humaine que nous proposent les Refugees of Rap, un truc suffisamment rare pour être souligné. Et assez proche des valeurs que regrettait Kool Shen lorsqu’il rappait ses souvenirs du « Peace, Unity Love and Having Fun » (Tout n’est pas si facile). Comme quoi, si tout ne tient qu’à un fil, il suffisait seulement qu’il soit branché dans le bon micro.

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