
#Concert U2 au Stade de France (Saint-Denis – 26 juillet 2017)
Alors que nous avions juré (mais un peu tard) qu’on ne nous y prendrait plus, nous avons cédé à la tentation. La semaine dernière, le Daily Mars envoyait un de ses gladiateurs dans l’arène du Stade de France pour assister au second concert que U2 donnait aux portes de Paris cet été pour fêter les 30 ans de l’album The Joshua Tree.
Pourquoi ? La question est légitime. Quel est l’intérêt pour un groupe de rejouer, 30 ans après sa sortie, un album en concert dans son intégralité ? Fut-ce un groupe aussi mythique que U2 et un album aussi important que The Joshua Tree !
Alors qu’ils approchent de la soixantaine, le quarteron d’Irlandais pas encore en retraite serait-il désireux de s’envoyer un « shot » de nostalgie ? D’une époque où, pas encore à la trentaine, ces rois de l’Ancien Monde tombaient en amour avec l’Amérique et sa musique. Déjà étrange sous Reagan, cette fascination pour les USA l’est encore plus, vue de chez nous en tout cas, maintenant que deux générations de Bush et un Trump sont passés par la Maison-Blanche.
Bien sûr, il est possible de crier au mercantilisme. Quel fringant quinqua ne craquerait pas pour aller revivre à peu de frais quelques souvenirs de sa jeunesse ? Quel fougueux trentenaire ne serait pas tenté de humer le parfum d’une époque qu’il n’a jamais connue ? Saudade, saudade.

© 2017, Caroline Van der Velden
En première partie, Noel Gallagher et ses High Flying Birds nous servent un Oasis « light ». Le public se repaît goulument d’une plâtrée de reprises (Champagne Supernova, Don’t Look Back In Anger et–bien sûr–Wonderwall) jouées toutes guitares dehors et avec les potards poussés jusqu’à 11. Par contre, il recrache soigneusement les nouvelles chansons comme autant de petits os de volaille que le Mancunien essaie de leur faire avaler. À part les enfants, il y a peu de choses aussi cruelles que le temps qui passe.
Après cette inhalation de britpop, il y a de quoi se sentir… comment dire ? D’avoir envie de quitter les lieux, en se disant qu’on aurait peut-être mieux fait de s’abstenir, de ne pas venir, en fait. Un peu avant 21 heures, presque sans faire de bruit – le public présent s’en charge très bien tout seul – sur les dernières notes de The Whole of the Moon des Waterboys, les gens de Dublin entrent en scène.
Et là, dès les premières notes, tous vos doutes volent en éclats. Pulvérisés. Littéralement. Le blast. Ta-ta-ta-ta. Dès la première rafale de batterie de Sunday Bloody Sunday. On n’a beau ne rien y voir depuis le fond de la fosse, rien que de savoir qu’ils sont là, quelque part, ça suffit. C’est comme la veilleuse ou le doudou dans notre chambre quand on était petit. Avec tout ce que ça comporte de régression et d’infantilisme, ça nous rassure. Ça nous réconforte. C’est à peine si on réalise que l’enceinte du Stade de France tient davantage de la chambre d’écho géante ou de l’installation d’art contemporain que d’un lieu de concert. On n’entend pas beaucoup mieux qu’on ne voit. C’est conceptuel, mais ce n’est pas grave.

© 2017, Caroline Van der Velden
Puis, tout s’éclaire. Le son s’affine. L’écran (géant, forcément) s’allume et, faute de proximité, on récupère un semblant de visibilité. Débute alors un roadtrip à travers le désert Mojave. Inutile de s’attarder en route sur The Joshua Tree. Tout a déjà été dit (et on en a déjà parlé la semaine dernière). Mentionnons simplement cet aphorisme prononcé par Bono avant d’entamer One Tree Hill1 : « Il n’y a pas de fin au chagrin. Il n’y a pas de fin au deuil. C’est comme ça qu’on sait qu’il n’y a pas de fin à l’amour ». Il a beau parler beaucoup, et ressembler à un croisement entre Bryan Cranston de Breaking Bad et Michou, il ne dit pas que des bêtises.
Après Mothers of the Disappeared et une courte pause, le troisième acte commence. Deux constats s’imposent alors. Le premier, c’est que, dans l’ombre de l’arbre de Josué, un autre corps céleste brille au moins aussi fort dans la discographie de U2 : le diptyque berlinois Achtung Baby/Zooropa. Et si, dans cette étoile binaire, le premier éclipse totalement le second pour ce soir, la seule présence d’une chanson comme Ultraviolet dans la setlist (bien au chaud entre Mysterious Ways et One) le justifie presque. L’autre vérité indéniable, c’est que, si U2 a arrêté de sortir des albums essentiels un peu avant que l’Irlande ne passe à l’euro, ils ont sorti une palanquée de tubes depuis. Des titres repris en chœur par 80 000 personnes « qui ne savent pas forcément chanter, mais qui ont du cœur » (et de la voix), comme il est dit dans la chanson Elevation. 80 000 cœurs qui battent à l’unisson, qui ne font qu’un et qui se soutiennent les uns les autres. Et des chansons comme Vertigo ou encore Beautiful Day participent à faire que, pendant un peu plus de deux heures, ce soit effectivement une belle soirée, une belle journée.

© 2017, Caroline Van der Velden
C’est insensé. Insensé qu’un groupe qui a tout puisse donner autant. Qu’une machine de cette taille puisse pénétrer aussi profondément en vous, trouver votre fréquence de résonance et faire vibrer votre corde sensible. Alors oui, on suivra, jusqu’au bout du monde, jusqu’au rappel et peut-être même un peu plus loin.
Pas sûr qu’il reste encore quelque chose à écrire au sujet de U2 aujourd’hui. Mais peut-être qu’eux ont encore des trucs à dire à notre sujet. Le meilleur groupe du monde ? Peut-être pas. Sans doute pas. Le plus grand ? Certainement2.
1 Chanson dédiée à un ami de Bono et roadie du groupe, Greg Carroll, mort dans un accident de moto en juillet 1986, pendant l’enregistrement de The Joshua Tree. ↑
2 Springsteen mis à part. Mais lui, ça ne compte pas. Lui, c’est le Boss. ↑