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Les séries trop courtes : Cop Rock, quand l’histoire prend l’air

Les séries trop courtes : Cop Rock, quand l’histoire prend l’air

Note de l'auteur

Une partie de la distribution de Cop Rock.

Création (très) marquante dans la carrière de Steven Bochco, le cop show diffusé de septembre à décembre 1990 sur ABC est l’improbable rencontre de la mélodie et de l’intrigue télé. Expérience unique en son genre sur un network – c’est une vraie comédie musicale -, il n’a pas trouvé son public mais ne laisse jamais indifférent.

La série du jour est un choix particulier. D’habitude, quand un rédacteur de Mars prend son clavier pour parler d’une série trop courte, il provoque des réactions empreintes d’une certaine nostalgie (Démonstration 1 : « Ah, My So Called Life, Profit… c’était tellement bien ») ou une certaine curiosité (Démonstration 2 : « Je connais pas Miracles, mais il est tellement fort ce Sullivan que je vais essayer »).

Aujourd’hui, on va parler d’une série que certains considèrent comme ratée. Improbable ou bancale. Vieillote, aussi. Ce qui s’explique facilement : Cop Rock est unique. C’est un authentique projet hybride. Une vraie comédie musicale pour la télé. Pas une série qui laisse de la place à des moments musicaux qui viennent magnifier plus ou moins adroitement tel ou tel temps fort du récit. C’est une série pour laquelle les scénaristes ont travaillé avec des compositeurs de musique pour produire des chansons originales. Un show grandeur nature, et dont le casting est composé d’artistes capables de jouer, chanter mais aussi danser. Pour proposer quelque chose de vivant, d’étourdissant. Un vrai spectacle, en somme. Comme à Broadway. Et pas du tout comme dans Smash.

Larry Joshua et Peter Onorati au poste de police.

Imaginée par le grand patron de la télé des années 90, Steven Bochco, Cop Rock a été co-créée avec William M. Finkelstein, ex-scénariste de La Loi de Los Angeles. « Quand je travaillais sur Hill Street Blues, raconte Bochco, une personne est venue me voir avec l’idée d’adapter la série sous la forme d’une comédie musicale. Ca ne s’est pas fait mais j’ai toujours gardé ça dans un coin de ma tête. En me disant que si Hill Street ne pouvait pas aller à Broadway, peut-être qu’on pourrait faire venir Broadway à Hill Street ».

Lancer une une vraie « copmedy musicale ». Le challenge était éminemment casse-gueule. Dès le départ. Y compris pour ceux qui allaient travailler dessus.

« Un jour, Steven m’a appelé », raconte Mike Post, monumental compositeur télé à qui ont doit les plus grands génériques, de Magnum à Law & Order en passant par Code Quantum. « Il m’a dit « On va refaire Hill Street Blues« , avec une brigade de flics et on va changer juste un truc : ils chanteront tous. Tous les acteurs ». Je lui ai dit « Pardon ? ». Il a répondu « Oui. Six à huit chansons en moyenne ». Là, je me suis tu et après, je lui ai balancé « Arrête. Ne fais pas ça. Tu vas ruiner ma vie, le monde de la télé va se foutre de ta gueule, alors ne le fais pas ». Il a dit « OK, je t’ai entendu ». Et puis il y a eu un silence. Je lui ai dit « Tu vas le faire quand même, c’est ça ? ». Il a répondu « Evidemment que je vais le faire ». J’ai lâché « Bon, d’accord ». »

Un témoignage que Post conclut de cet émouvant aveu, les yeux dans le vide : « C’était un échec magnifique. Parce qu’on a vraiment fait ça du mieux qu’on pouvait. Et on l’a bien fait ».

Le résultat, à l’écran, est détonnant. Perturbant même. A la fin du prologue du pilote, qui raconte une descente de police dans un quartier chaud, les hommes interpellés se mettent à chanter une chanson qui assène avec force la réalité dans laquelle évoluent tous les personnages. Les flics ont beau avoir mis la main sur des criminels, ces derniers reviendront dans la rue dès le lendemain : c’est courru d’avance. « We got the power ! We got the power ! », martèlent les intéressés.

La symphonie dans la Cité des Anges peut alors commencer…

Sur le coup, c’est très étrange (et le fait que vingt ans ont passé n’arrange pas vraiment l’affaire : l’usage du synthétiseur, à plusieurs reprises, conforte un côté daté). Mais pour peu que l’on soit un peu ouvert à l’expérience,  si l’on est prêt à se laisser porter par ce récit étonnant… eh bien ça le fait. Et pas qu’un peu.

Episode après épisode, Bochco, Finkelstein et les autres se lancent dans une aventure hors normes. Une expérience où les scripts passent des mains des scénaristes à celles des compositeurs avant de revenir chez les auteurs. Non sans que cela ne fasse l’objet de grosses négociations. « On recevait les scripts et c’était inscrit « Ce serait bien de mettre une chanson, là », explique Mike Post. (Avec les compositeurs), on voyait ça et on les rappelait en disant, « Non mais c’est juste pas possible: là ça ne marchera pas ! » c’était intense ». Au bout, l’enjeu est énorme : chaque chanson doit donner du relief à une situation, à un rebondissement… et à des émotions.

Phénomène étonnant : après cette série, un acteur sur deux de la distribution a eu une carrière mineure.

Pour arriver à un résultat à la hauteur des espérances des producteurs, ABC doit aligner les billets verts. La production de chaque épisode coûte 1,8M de dollars : une somme énorme pour l’époque. « Je bossais dessus 24 heures par jour, avec tout un bataillon de compositeurs et d’ingénieurs », raconte encore Mike Post. Qui a trouvé, en la personne de Randy Newman, véritable pointure de la BO de films, un parfait petit copain de jeu. « C’est le meilleur et c’est l’exact opposé de moi ».

Sur le plateau de tournage aussi, il y a de gros bosseurs: de Ronny Cox (inoubliable dans Robocop) à James MacDaniel (NYPD Blue), en passant par Barbara Bosson (Myriam Grasso dans Murder One), Anne Bobby (à qui échoit la principale love story de la série) et Paul MacCrane (le docteur Romano d’Urgences, à l’époque où il avait… des cheveux roux) tous se donnent à fond dans l’expérience. Comme les seconds rôles qui s’appellent Gina Gershon, Sheryl Crow (!) ou encore Kathleen Wilhoite (La soeur de Susan Lewis dans Urgences). Cette dernière est bouleversante en junkie qui prend une terrible décision à la fin du pilote (attention : vidéo spoiler).

 

Mais c’est un des plus fidèles seconds rôles de Bochco qui crève l’écran. Dans le rôle du dirty cop Vincent LaRusso, prêt à violer la loi pour obtenir justice, Peter Onorati est proprement épatant. Comme dans l’ouverture de l’épisode 4, où il se retrouve derrière les barreaux avec des voyous qui ont tous entendu parler de lui, et chante « You can’t keep a good man down ».

 

Résolument audacieuse, la série sera, auprès du public, un flop retentissant. Elle s’arrêtera au bout de 11 épisodes qui se termineront par un final réunissant acteurs et équipe de production dans un ultime tour de chant. Etait-elle trop en décalage avec son époque ? Peut-être, puisque Buffy et Oz reprendront ponctuellement le principe de l’épisode musical pour marquer le coup (avec succès).

La formule était-elle perfectible ? Sans doute puisqu’un certain nombre de personnes qui l’ont vu (même après son annulation) ont bloqué sur son articulation intrigues/numéros chantés déstabilisante. Mais la série a également ses inconditionnels : elle est aussi et surtout le témoignage d’une époque où la créativité, l’expérimentation et le courage avaient toute leur place sur les networks. Ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui.

COP ROCK

(ABC)

Série créée par Steven Bochco et William M. Finkelstein ; showrunnée par Steven Bochco

11 épisodes, diffusés du 26 septembre au 26 décembre 1990

Avec Barbara Bosson (le maire Louise Plank), Ronny Cox (chef de la police Roger Kendrick), Peter Onorati (inspecteur Vincent La Russo), Anne Bobby (officier Vicky Quinn), David Gianopoulos (officier Andy Campo), Paul MacCrane (inspecteur Bob McIntire)…

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