
Le Corps exquis : nécrophilie amoureuse au coeur de la Nouvelle-Orléans
Cette histoire célèbre de Poppy Z. Brite est rééditée Au Diable Vauvert. L’occasion, enfin, de découvrir ce récit qui fête ses 20 ans cette année.
L’histoire : Il s’appelle Andrew Compton. Condamné à perpétuité pour le meurtre et le viol (post-mortem) de jeunes garçons de Londres… Jusqu’au jour où la fuite lui tend les bras. Direction le nouveau continent. En face, il y a Jay. Lui, il vit à la Nouvelle-Orléans, dans le vieux carré. Son truc, c’est plutôt faire chanter les corps sous une arme blanche. Ils ne le savent pas, mais leur rencontre est inéluctable.
Mon avis : Dire que je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, c’est un peu faible. Cannibalisme, torture, débat sur le Sida et les premières expériences… Une multiplicité de thèmes, avec quatre narrateurs. Nos deux tueurs, certes, mais pas que. Livre extrême, profondément nihiliste et violent. En le fermant, j’ai pensé : « ce n’est pas ma came ». Oui, mais me voilà à en cauchemarder deux semaines plus tard. Une littérature profondément perturbante, qui fait réfléchir, beaucoup trop graphique par moment. Mais n’est-ce pas dans un sens, le but de la littérature ?
L’ouvrage a donc plusieurs points de vue, mais un seul est écrit à la première personne. Et il s’agit d’Andrew. Incapable d’aimer un corps chaud, il aime ceux qui ne bougent plus, parfois depuis longtemps. Jay, lui aime leurs goûts. Le sexe et la mort, en un seul récit. Alors qu’en fond d’ouvrage, se déroule la mort plus lente des victimes du Sida.
Le Corps exquis prend toujours autant aux tripes, et n’est pas pour autant lié à une certaine esthétique gothique. Nous ne sommes pas dans un récit romantique, et si histoire d’amour il y a, c’est plus dans la découverte d’un autre pareil à soi. Ou presque. C’est punk, c’est l’absence de toute morale, c’est la recherche de la beauté dans les entrailles des hommes. Il a eu du mal à être publié et on comprend pourquoi. À réserver aux cœurs bien accrochés.
Si vous aimez : Le livre de dissection de votre vieil oncle Charlie. Mais en plus flamboyant. Sa douce morbidité.
Autour du livre : Poppy Z. Brite est l’une des influences de l’auteure française Morgane Caussarieu, que nous avions interviewée en juillet dernier. Mais attention. Ceci n’est pas une histoire de « vampire ». Le titre anglais, Exquisite Corpse, signifie en réalité « cadavre exquis » qui est aussi le nom d’un jeu.
Extrait : « Je fis tourner la lame dans ses chairs. Ses mains tentèrent faiblement de s’accrocher aux miennes. J’empoignai ses splendides cheveux blonds, à présent noircis par le sang, et lui cognai le crâne contre un clavier. Les os cédèrent avec un craquement gratifiant. Waring eut une ultime convulsion, puis cessa de bouger.
Le frisson familier mais presque oublié de ce poids flasque dans mes bras… le regard extatique de ces yeux mi-clos… ces doigts qui se raidissent, agités par un ultime tressaillement, puis se recroquevillent… ce doux visage perdu dans un éternel rêve de néant. J’ai toujours aimé les blonds. Comme leur peau est naturellement laiteuse, elle laisse apparaître le fin réseau des veines bleues, et leurs cheveux imbibés de sang évoquant un carré de soie pâle vue à travers une lentille de rubis.
Je me penchai sur Waring et l’embrassai, redécouvrant la texture des lèvres et des dents, la riche saveur métallique d’un palais empli de sang. »
Sortie : Novembre 2015, éditions Au Diable Vauvert, 337 pages, 20 euros.