
Mouvances incertaines (critique du 3×01 et 3×02 de Rectify)
Depuis quinze jours, la troisième saison de Rectify a débuté sur Sundance Channel. Après les interviews de Aden Young et Abigail Spencer, place à une lecture des deux premiers épisodes, garantie sans spoilers.
Depuis ses débuts, Rectify nous apprend à écouter le silence. Un silence synonyme d’introspection, de patience, de réflexion et d’attente. Ces moments où il ne se passe rien sinon un personnage qui regarde à l’intérieur de lui-même. La série aime nous dévoiler ces mondes intimes par bribes. Capturant ainsi une beauté innocente ou la monstruosité la plus infâme. Les hommes et femmes qui parcourent la série ne sont pas des livres ouverts mais des ouvrages aux couvertures abîmées, aux pages écornées que Ray McKinnon effeuille au fil des épisodes. Certains restent des puits de mystère, quasi illisible, imprévisible (Daniel), d’autres, plus généreux, aiment se découvrir (Amantha). Et dans la grande bibliothèque que constitue Rectify, tous ces manuscrits figurent la fresque éthéréenne d’une comédie humaine aux âmes tourmentées.
Rectify nous apprend également à mesurer le temps. La série aime le suspendre, comme au terme de la seconde saison. Pour le spectateur, la suspension dure presque un an. Une éternité auquel Ray McKinnon répond avec une nonchalance presque insolente. Il suffira de quelques secondes silencieuses pour replonger au cœur d’un suspense douloureux. Une année, repliée sur elle-même, en une fraction. C’est la magie des séries, le sacerdoce du sériephile, que cette figuration du temps. Et Rectify la cultive à plusieurs échelles. Les saisons se vivent dans une évanescence sidérée, bercées par la lenteur hypnotique d’un rythme clapoteux.
Les deux premiers épisodes de cette troisième saison ne dérogent pas à la règle. Ils fixent les personnages, les épinglent à leur tourment. Alors on attend. En silence. On s’observe beaucoup dans l’espoir de comprendre. Les mots, rares, n’ont aucune espèce de valeur sinon de prolonger les errements. Daniel, au centre des interrogations, accentue sa part fantomatique. Il est un phare qui a cessé de guider les navires. Cette année sera peut-être celle d’une prise de conscience, d’un détachement, d’une révélation. Pour l’instant, il faut composer avec l’obscurité et l’incertitude. Au mutisme de Daniel, plus rien n’est répondu, aucune réaction. Comme un détachement nécessaire devant un bloc insondable, un spasme de préservation.
En un peu moins d’une vingtaine d’épisodes, les personnages de Rectify ont montré une belle endurance. Dans une intensité silencieuse, ils semblent avoir déjà vécus plusieurs vies. Rectify est de ces séries qui observent les retombés, plus intéressée par les cercles concentriques que la nature de l’explosion. De l’anthropologie à l’échelle familiale où la poésie aurait remplacé la science. Il y a des choses en mouvement à l’aube de cette troisième saison. Un horizon chargé d’électricité jusqu’à rendre la situation instable. De ces mouvances aux effets comme aux résultats incertains, surgit un nouvel état : pendant un temps (peut-être), la focale sur Daniel s’est légèrement déviée. Comme si l’on s’était suffisamment habitués à sa présence pour le délaisser et s’occuper davantage d’un monde qui ne tournerait plus autour de lui. Le cordon n’est pas encore coupé, voyons jusqu’où cette troisième saison va l’étirer.
Rectify, Saison 03, épisode 01 : Hourrah ; épisode 02 : Thrill Ride
Ecrit par Ray McKinnon
Réalisé par Stephen Gyllenhaal (Hoorah) et Lawrence Trilling (Thrill Ride)
Avec : Aden Young (Daniel Holden), Abigail Spencer (Amantha Holden), Adelaide Clemens (Tawney Talbot), Clayne Crawford (Teddy Talbot)…
Rectify est diffusée sur Sundance Channel aux Etats-Unis et Sundance Channel puis Arte en France.