#critique Alliés

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Note de l'auteur

Pendant la Seconde Guerre mondiale, deux espions tombent amoureux. Avant de commencer à se soupçonner… Un thriller romantique signé Robert Zemeckis.

 

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Déjà, l’affiche d’Alliés interpelle. Pose problème. On voit Brad Pitt, 20 kilos en trop, en smoking-nœud pap’, et Marion Cotillard, moulée dans une magnifique robe de satin verte. Les deux se tiennent par la main, et portent chacun une mitraillette. Un remake de Mr et Mrs Smith ? Un couple d’espions, d’assassins, plutôt glam et classe, mais les armes semblent d’un autre âge (la Seconde Guerre mondiale) et il y a du feu dans le côté gauche du poster. Est-ce un film de guerre, un film d’espionnage, un drame, un thriller romantique ? L’affiche, étrange, sans repère temporel ni géographique, ne permet pas de le savoir. Mais c’est quoi ce film ?

Je vous rassure, quand on voit Alliés, on ne sait pas trop non plus, au moins pendant la première heure. C’est un drôle d’objet, assez insaisissable, ce qui est plutôt un compliment. L’action se situe à Casablanca, en 1942. Brad Pitt et Marion Cotillard sont des espions. Pitt est canadien, d’où son accent français du plus haut comique, et Cotillard, une résistante française. Ils se rencontrent pour la première fois pour une mission où ils pourraient trouver la mort : exécuter un ambassadeur nazi. Pendant la préparation de l’attentat, Pitt et Cotillard vont se rapprocher, avant de tomber furieusement amoureux l’un de l’autre. Suite à leur mission suicide, le couple s’envole pour Londres afin de préparer la suite des événements. Mais après un mariage et un bébé, Pitt commence à se demander si son espionne de femme n’est pas un agent double, qui roule pour les nazis, et dont les beaux yeux brillent pour Adolf… Il a 72 heures pour l’innocenter ou pour l’abattre.

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Né en 1952, Robert Zemeckis est un des bons artisans d’Hollywood, un « entertainer ». À son palmarès, Forrest Gump, Seul au monde, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Retour vers le futur ou encore Flight. Passionné par les nouvelles technologies, il se vautre parfois avec des trucs improbables comme Le Pôle Express ou Le Drôle de Noël de Scrooge. Cinéaste inégal (La mort vous va si bien, Apparences, Contact…), ses films peuvent être plombés par des scories, comme le récent The Walk, à la fois spectaculaire mais également très corny, très naïf, avec des scènes hilarantes avec des Parisiens avec baguettes et bérets. C’est également un des rares cinéastes US à ne pas pratiquer la langue de bois, notamment quand il parle du déclin de l’usine à rêve, des films de super-héros ou de l’importance du scénario. J’adore notamment cette déclaration : « Vous devez comprendre que les films sont toujours faits pour de mauvaises raisons : pour remplir un planning de sorties, ou faire plaisir à tel ou tel acteur… Il est très rare qu’un studio se lance dans un film juste parce que le scénario est formidable. Ça a toujours été comme ça, cela dit. »

 

Avec Alliés, Zem s’est offert un scénario du Britannique Steven Knight, auteur exigeant de Dirty Pretty Things, Locke ou Les Promesses de l’ombre, un beau coffre à jouets avec explosions, sexe, suspens, romance, de méchants nazis et de beaux espions dans des costumes impeccables. Du Hitchcock, période Les Enchaînés, gonflé aux images de synthèse, avec le couple Pitt/Cotillard qui remplace Cary Grant/Ingrid Bergman. Au bout d’une heure, comme dans Les Enchaînés, c’est le doute qui mène le film. Que se passe-t-il dans la tête de l’être aimé (c’était également l’interrogation de David Fincher avec Gone Girl), derrière les yeux de l’autre ? Bon, je vous rassure, ce n’est pas un drame d’Ingmar Bergman, mais Steven Knight parvient à ciseler de belles scènes, parfois assez vertigineuses, sur ce couple en perdition.

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Côté réalisation, le Zem l’enlumineur se régale. Le film commence comme Casablanca. La reconstitution est simplement magnifique et j’avais l’impression de flotter dans le chef-d’œuvre de Michael Curtiz avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, encore elle. C’est élégant, virtuose bien sûr, et très sexy. Zem, c’est l’homme de la haute technologie, mais ici, il a deux excellents comédiens, et leur offre des moments d’une belle sensualité. Je pense aux scènes sur les toits de Casablanca où les deux espions miment les jeux de l’amour pour convaincre leurs voisins, tandis que le soleil se couche au terme d’une nuit irréelle. Et surtout cette incroyable scène d’amour dans le désert. Pris dans une tempête de sable, Pitt et Cotillard trouvent refuge dans leur voiture et tombent dans les bras l’un de l’autre. Avec une maestria incroyable, Zemeckis filme cette scène d’amour vraiment torride dans le petit réceptacle, tandis que dehors les éléments se déchaînent (attention, métaphore !). Il y a d’autres moments spectaculaires dignes de gros blockbusters, mais on sent que le Zem ne s’intéresse qu’à cette énigme : qui est cet étranger qui dort tous les soirs dans mon lit ? La Seconde Guerre mondiale n’est qu’un prétexte et le Zem ne boxe assurément pas dans la même catégorie que Mel Gibson avec le très barbare Tu ne tueras point. Mel filme la terreur sur les champs de bataille, Zem filme la terreur dans une chambre à coucher, les yeux de Marion Cotillard qui disent tout et ne disent rien. Ici, pas de corps qui explosent ou d’impacts de balles gros comme des cratères, juste des ombres, des regards perdus, des doutes…

À l’arrivée, Alliés est un exercice de style brillant, un Hitchcock de synthèse ou une synthèse d’Hitchcock, un thriller romantique somptueusement tricoté, au charme délicieusement vintage. Bref, un truc de ouf que l’on voit rarement aux USA : un film adulte. Bon, Robert Zemeckis aurait pu couper une vingtaine de minutes pour resserrer l’action et accélérer le rythme. Mais en l’état, Alliés est un drôle d’objet rétrofuturiste et un magnifique écrin pour le talent étincelant et la sensualité de Marion Cotillard, dans un de ses rôles les plus lyriques.

 

Alliés
Réalisé par Robert Zemeckis. Avec Brad Pitt et Marion Cotillard
En salles le 23 novembre

 

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