
#Critique Amanda Palmer and Edward Ka-Spel : bande-son d’un conte obscur
Crédit photo : Viki Beshparoa
(Pour ceux qui connaissent mon amour immodéré pour les contes et leur noirceur, version Hannibal Lecter ou la première écriture de l’histoire de Blanche-Neige, vous imaginez bien avec ce titre, que c’est un album qui m’a convaincue.)
Amanda Palmer est de retour dans les bacs, dans un album écrit à deux, en compagnie d’Edward Ka-Spel, auteur, musicien, chanteur du groupe The Legendary Pink Dots. Un album de 9 pistes, mis sous presse par le label indépendant Cooking Vinyl.
La dernière fois qu’Amanda Palmer a sorti un album, c’était en 2016 pour un enregistrement avec son père, Jack, intitulé You Got Me Singing. Un album de reprises, réalisé alors qu’elle était enceinte de son fils, Ash. Nous avions alors eu la chance de l’interviewer, pour parler de son livre, The Art of Asking, d’art, de création, de maternité. Et notamment de l’impact que peut avoir le fait de mettre un enfant au monde. À l’époque, elle nous avait dit : « J’espère que cela ne changera pas ma manière de voir l’art. J’espère que cela développera, augmentera cette vision. J’ai l’impression que ma vie est en croissance constante et j’espère qu’avoir un enfant ne va pas arrêter cette expansion ou la diminuer. » Ka-Spel et elle devaient d’abord enregistrer en juillet 2015. Malheureusement, à la même période, elle apprend l’avancée de la maladie de son ami, Anthony et décide de se rendre à son chevet. C’est finalement au printemps 2016 que la rencontre des deux artistes finit par se faire. Un an après nous arrive ce bel album.
I Can Spin a Rainbow est donc un album marqué par ces deux événements : l’arrivée d’un enfant et la mort d’un ami d’enfance, cher au cœur d’un artiste. Le tout, englobé du plaisir simple de partager sa musique avec un autre artiste. Nous sommes donc dans un album bien loin de Theatre Is Evil. Déjà en termes de production. Theatre is Evil avait été financé grâce à Kickstarter, un financement participatif parmi les plus réussis de la plateforme. I Can Spin a Rainbow est lui financé en partie via le patreon de l’artiste, dont les mécènes ont eu les primeurs de l’album digital. La preuve non seulement de l’évolution de l’artiste, mais surtout de l’évolution technologique qui permet aujourd’hui à une artiste, à un duo, de faire un CD pour eux, et pas sur commande.
Alors, comment présenter I Can Spin a Rainbow sans abîmer la première écoute ? Sans divulgâcher l’étrange univers qui vous ouvre les portes avec cet album ? Déjà, mon conseil personnel : écoutez-le d’une traite. Tous les morceaux se suivent, se répondent, différents et pourtant unis par un seul monde. Laissez-vous entraîner depuis l’étrange monde d’un cirque, version Cirque du Soleil, à celui d’un Labyrinthe de Pan. Celui des adultes qui transforment le monde de l’enfance mais dans toute sa noirceur, ses monstres. On nous a présenté l’album comme appartenant à la mouvance du dark cabaret. Effectivement, on se voit bien, invités par les morceaux à s’asseoir dans un profond fauteuil de cuir, un verre de whisky (Octomore, ou autre tourbe puissante) à la main, alors qu’une étrange créature aux yeux de khôl nous regarde depuis la scène.
Ici, un air de piano, là un violon nous emmène marcher sur une corde sous le chapiteau, armée d’une simple ombrelle (The Changing Room). Des boucles électroniques nous font étrangement voyager dans le temps, au tournant du millénaire, à une époque où les pyramides d’Égypte étaient illuminées par des rais de lumière musicaux (The Shock of Kontakt). Une boîte à musique nous ramène à une petite chanson d’enfance au goût de danger (The Clock at the Back of the Cage). Un orgue de barbarie nous fait sortir un temps de cette rêverie sombre, par un sourire farouche (The Jack of Hands). La voix de Ka-Spel se mêle à celle d’Amanda Palmer, dans une note cristalline mais un peu plus grave, parfois en contrepoint.
Autant dire que ceux qui attendaient des accents plus rock de ses albums précédents risquent d’être un peu surpris. Ceux qui la suivent sur les réseaux sociaux, l’ont vue évoluer depuis Machete écrit pour les funérailles d’Anthony, à Wyken, Blynken and Nod, et seront bien plus bercer par cette transition. Celle d’une artiste qui ne cesse de se réinventer au fil de ses rencontres, d’un piano qui l’accompagne, de deux voix qui se parlent et échangent. Un album différent et pourtant toujours empreint d’une patte, celle des artistes. Et si vous avez un grand besoin d’évasion en ce lundi, et que vous acceptez de vous laisser porter, cet album est fait pour vous.
Amanda Palmer et Edward Ka-Spel seront en concert en France, à Paris, le 11 juin à la Cigale.