#Critique Anno Dracula : meurtres de sang chaud

#Critique Anno Dracula : meurtres de sang chaud

Note de l'auteur

La fin de règne de Victoria continue d’électriser les inspirations. Au moment où Alan Moore et Eddie Campbell débutaient leur collaboration ripperologique avec le magnifique From Hell, Kim Newman faisait paraître Anno Dracula, roman où il mêlait avec un malin plaisir les univers : l’Éventreur, Dracula, Sherlock Holmes, le Dr Jekyll…

annodraculacoverNote : 3/5

L’histoire : un mystérieux assassin, surnommé Scalpel d’Argent, hante les rues brumeuses de Whitechapel en cette année 1888. Une bien étrange période, où l’on a vu la reine Victoria retrouver sa jeunesse au contact du comte Dracula, lui-même devenu Prince consort et Lord protecteur. Les conversions au vampirisme se multiplient afin de profiter au mieux de la nouvelle donne, et la vie, lentement, se déplace du jour vers la nuit. Tout irait pour le « mieux » si ce tueur ne sévissait dans les ruelles obscures, et si les empalements ne se multipliaient pas à ce point… Le « sang-chaud » Charles Beauregard est mandé par le Diogene’s Club de Mycroft Holmes de mettre un nom sur cette ombre meurtrière. Il devra, pour cela, unir ses forces à Geneviève Dieudonné, vampire depuis plus longtemps que Dracula himself.

Mon avis : Jack l’Éventreur, Dracula, le Dr Jekyll, Oscar Wilde, l’inspecteur Lestrade… Toutes les grandes figures, fictionnelles ou réelles, de l’époque sont invoquées par l’auteur, Kim Newman, pour peupler son Londres victorien. Plutôt bien vu, même si ce name-dropping implique qu’il ne fait que les survoler pour la plupart.

Jouer la carte « vampire » pour la mêler à une partie assez classique de « whodunit » dans l’Angleterre embrouillardée de la fin du 19e siècle est à la fois intéressant et un poil trop évident. Kim Newman joue la partie avec honnêteté et sincérité jusqu’au bout, mais on en ressort avec regret, celui d’une vraie surprise qui aurait pimenté la fin du jeu. Une fin qui, d’ailleurs, est un peu vite expédiée, comme si l’auteur n’avait pas réellement su ou voulu se donner la peine d’en exploiter toutes les ramifications potentielles.

annodraculacover3Pour tout dire, il est intéressant, en cela, de lire les bonus qui complètent cette belle réédition. Et notamment la fin alternative, plus éclairante sur la dynamique générale du récit que le final adopté par Newman. Celui-ci adjoint un extrait de l’ébauche de scénario qu’il avait lui-même rédigé pour une hypothétique adaptation de son roman sur grand écran, ainsi qu’une nouvelle voyant un Dracula s’intéresser de près aux innovations de son temps en matière de transports. Des bonus bienvenus, donc.

L’atout principal d’Anno Dracula touche sans doute à la nature même de l’invasion vampirique décrite par le roman. Point de propagation épidémique à la Salem de Stephen King. Les vampires, chez Kim Newman, sont littéralement sortis de l’ombre dans le sillage du Comte qui règne de facto sur l’empire britannique. Ils composent une nouvelle aristocratie à laquelle tous les ambitieux du royaume veulent appartenir. La question, désormais, n’est plus de savoir comment combattre le Comte et ses sbires, mais s’il ne faudrait pas s’arranger pour passer au plus vite du côté des ténèbres… Un peu à la façon d’une armée d’occupation. La contamination n’est plus virale mais sociale. Certes un thème encore un peu sous-exploité, mais bien présent malgré tout.

Si vous aimez : From Hell et La Ligue des gentlemen extraordinaires d’Alan Moore, la série télé Penny Dreadful, mais aussi le film de 1979 Meurtre par décret (pour le duel Sherlock Holmes/Jack l’Éventreur dans le brouillard). Et, pourquoi pas, pour son humour décalé et sa société inversée dominée par les vampires, la série BD Requiem, chevalier vampire de Pat Mills et Olivier Ledroit.

Kim Newman

Kim Newman

Autour du livre : Anno Dracula a reçu l’International Horror Guild Award en 1994 dans la catégorie « roman », tandis que Neil Gaiman le décrochait dans la catégorie « recueil ». Gaiman paraît d’ailleurs avoir participé à l’élaboration de la série Anno Dracula (qui comporte, outre le roman éponyme, deux romans ainsi que des nouvelles et novellas). En retour, l’auteur célébré d’American Gods s’est laissé influencer par la série de Newman lors de l’écriture de sa propre nouvelle A Study in Emerald. Tout est dans tout…

Extrait : « (…) et le Prince, assis à son aise sur le trône, incarnation inhumaine du chaos. Le visage de Dracula semblait peint sur l’eau. Parfois aussi figé que la glace la plus dure, la plupart du temps mouvant. Beauregard discernait l’ébauche fugitive d’autres faces derrière celle de Tepes. Les yeux rouges et les dents de loup restaient une constante, mais autour de ces points fixes les formes changeaient continuellement, passant d’un museau poilu à un crâne fin et luisant. (…) Le Prince eut un rictus féroce et ses moustaches craquèrent comme des lanières de cuir. »

Anno Dracula
Écrit par Kim Newman
Édité par Bragelonne

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