
#Critique Biblical : on attend (toujours) l’Apocalypse
Entre philosophie, métaphysique et neurosciences, Biblical choisit de ne pas choisir. Ce roman manque de nerfs et de vie. Dommage, quand on veut décrire la fin de toute existence.
L’histoire : Des hallucinations collectives de proportions bibliques se multiplient aux quatre coins du monde. Des images du passé s’invitent temporairement : tremblements de terre, animaux préhistoriques, invasions de vikings… Le psychiatre John Macbeth se trouve mêlé de près à ces « catastrophes rêvées ». Car si les blessures et les morts sont bien réels, ces images n’existent, en réalité, que dans l’esprit des victimes. Cela a-t-il un lien avec les recherches en intelligence artificielle auxquelles participe précisément Macbeth ?
Mon avis : Du classique, de l’ultraclassique… Biblical est assez efficace en soi, mais sans vraie originalité. Un peu comme si l’auteur avait appliqué une formule – avec un certain savoir-faire, certes, mais sans surprise. Comme si, à l’instar de ses personnages, il avait tenté de recréer un cerveau in vitro. Une pensée sous globe, avec la froideur du scientifique. Intelligent dans ses informations, mais sans jamais cette étincelle qui fait le récit vraiment marquant.
L’histoire de Biblical ne manque pourtant pas d’ambition intellectuelle. Certains passages sont intéressants dans les informations qu’ils livrent, et les liens qu’ils créent entre ces informations : le monde est-il une hallucination ? Sommes-nous dans le rêve de quelqu’un d’autre, ou dans une simulation créée par une machine ? Sommes-nous vivants ou déjà morts, simples souvenirs qui roulent d’écho en écho dans l’esprit d’un autre ?
Il manque, pour orchestrer le tout, un sens aigu de la narration, du rythme. L’auteur tente d’ouvrir des portes dans la vie de ses personnages, mais sans parvenir à créer un vrai lien entre eux et le lecteur. D’autant que, pour la plupart, ils n’ont quasiment aucune importance dans la narration générale. Et même quand ils refont une apparition par la suite, ce n’est qu’en arrière-plan. D’autres sont parfaitement sous-exploités. Tel cet agent du FBI (Bundy, « comme le serial-killer », une blague qui revient jusqu’à devenir irritante pour le lecteur) aux yeux hétérochromes et à la peau marquée par d’étranges dessins visibles uniquement à la lumière violette, et qui se sent à la fois Caïn et Abel. Voilà un personnage complexe, a priori intéressant mais qui ne sert quasi à rien.
Au bout d’un moment, les passages mêmes où des personnages secondaires sont plongés dans le passé deviennent inutiles : on a compris le principe, pourquoi y revenir avec des histoires qui n’ont pas d’incidence sur la trame narrative principale ? À force de tresser les fils, l’auteur paraît avoir oublié l’essentiel ; au lieu d’électriser le récit, il l’affaiblit. En outre, il multiplie les dialogues mais ceux-ci manquent singulièrement de naturel (voir l’extrait ci-après : un ado, même lettré, parle-t-il vraiment ainsi, surtout à son prof d’histoire pendant un voyage de classe à Auschwitz ?) – peut-être est-ce partiellement un problème de traduction, ceci dit.
Si vous aimez : C’est assez bien résumé avec le « blurb » du Daily Mail cité en quatrième de couverture : « Un mélange entre Michael Crichton et Matrix. » Avec les limites de ces deux œuvres de référence… et toutes les limites évoquées ci-dessus. On aurait souhaité, avec un titre tel que « Biblical« , davantage d’éléments culturels liés à la Bible, afin de donner un peu de profondeur (au minimum temporelle) au récit.
Autour de l’œuvre : Biblical est signé Christopher Galt, pseudonyme du Britannique Craig Russell, auteur notamment d’une série de romans centrés sur le personnage de Jan Faber, un enquêteur de la police hambourgeoise. Biblical a été réédité, pour la version poche anglaise, sous le titre The Third Testament.
Extrait : « Le professeur d’histoire commença à se diriger vers Markus d’un pas qui se voulait désinvolte. Il s’assit à côté de Markus.
– Ah ! Markus, dit Hartz, le fixant de ses petits yeux sombres, des yeux de requin dans un crâne humain. Tu as beaucoup de chance. La nature a été généreuse avec toi : tu es quelqu’un de brillant. Tu te sens supérieur à tes camarades ? C’est ton affaire… Mais quand tu te mets à les rabaisser, ça devient la mienne.
– Je n’ai aucun problème avec l’infériorité des autres, Herr Hartz. Mais je ne supporte pas leur stupidité.
– Les gens ne sont pas responsables de leurs capacités intellectuelles, ou de leur manque d’intelligence.
– Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, réagit Markus, exaspéré. Je suis d’accord avec vous ; je ne leur reproche pas leur médiocrité, mais je méprise leur tendance à s’y complaire. La bêtise n’est pas digne de pitié, elle devrait susciter la crainte. Elle finira par tous nous tuer. Peut-être que je me trompe, mais j’ai le sentiment que c’est justement l’objet de notre petite excursion. »
Biblical
Écrit par Christopher Galt
Édité par Bragelonne