
On a lu…Bitch Planet (T.1) de Kelly Sue DeConnick et Valentine de Landro
Grosse sortie de chez Glénat, précédée d’une excellente réputation aux USA et portée par un propos féministe lui conférant une certaine aura, Bitch Planet est-il à la hauteur de sa réputation ? Kelly Sue DeConnick saura-t-elle enfin nous envoûter ? Réponse : Ce n’est pas encore pour aujourd’hui. En route pour un avis non-conforme aux autres.
Série de science-fiction, Bitch Planet nous entraîne dans un futur pessimiste où la femme se doit de se conformer à une norme stricte et soumise à l’homme. Toutes rébellions et différences sont punies par de la prison et de la rééducation au sein d’une prison située sur une autre planète. À cela s’ajoute la popularité d’un sport extrêmement violent, le Megaton, auquel vont participer des détenues bien décidées à bousculer les règles.
Dessiné par Valentine de Landro (X-Factor, G.I. Joe, la minisérie Oz consacrée au personnage de la série télévisée Buffy, the vampire slayer), Bitch Planet est le dernier bébé en date de Kelly Sue DeConnick, scénariste qui commence à avoir une très bonne réputation à travers des séries comme Captain Marvel, Sif ou bien encore Pretty Deadly. À chaque fois, des prestations correctes mais dénotant tout de même de problèmes de rythme ou de construction, le pire étant atteint avec le très mauvais Ghost.
Heureusement, Bitch Planet n’atteint pas la médiocrité de la série dessinée par Phil Noto. On peut même dire que sa collaboration avec Valentine de Landro tire l’œuvre vers le haut, grâce à un travail graphique intéressant dans certaines constructions de planches, une certaine vivacité dans les cases et la mise en place d’une ambiance. Toutefois, cela ne fait pas tout et ne parvient pas à rendre stable un bâtiment posé sur des fondations branlantes.
Présenté et vendu comme un univers impitoyable pour les femmes, l’univers de Bitch Planet manque de concret et de profondeur. Les éléments sont là (même si la similarité avec des œuvres plus anciennes fait tiquer), mais la mise en place pose problème. Ainsi, Bitch Planet parle d’un futur terrible mais peine à l’illustrer correctement et simplement, à un point où l’on se demande si on en apprend pas plus via le résumé du quatrième de couverture, les communiqués de presse ou les différents articles de sites et blogs louant les qualités de la série.
Cela vient avant tout d’une narration tombant dans le sempiternel piège de la décompression. En pensant avant tout à la parution en recueil et non en numéro mensuel, la scénariste peine à gérer ses effets et à accrocher le lecteur. L’idée de présenter l’univers au lecteur à travers des personnages féminins arrivant elles-mêmes dans la prison (de la même façon qu’Oz s’ouvre sur l’arrivée de l’agneau Tobias Beecher) est parasitée par une multitude de situations en parallèle qui, bien que lançant des arcs futurs, alourdissent le récit. On pense par exemple à cette scène de quiproquo classique dans l’idée (et idéal pour désorienter le lecteur et renforcer l’injustice de cette société) mais étrangement exécutée¹. À plusieurs moments, la série semble privilégier une complexité inutile au détriment d’une clarté plus efficace dans la construction de l’univers.
Bitch Planet est blindé de qualité, en premier lieu des personnages intéressants (En priorité Penny) jouant des clichés pour mieux les maîtriser et apporter un recul bienvenu². En reprenant l’imagerie des films Grindhouse à travers, notamment, les couvertures, Bitch Planet effectue ainsi un renversement d’une norme en passant les femmes du statut de victimes (généralement) à celui de combattantes (merci à Quentin Tarantino au passage). Toutefois, les défauts de la série les supplantes faisant de ce premier volume une œuvre moyenne, potentiellement intéressante (la suite confirmera ou infirmera) mais dont le succès critique interroge et nous laisse perplexe.
Offrant des interviews et des portraits en bonus très intéressants, Bitch Planet est, à n’en pas douter, un bel ouvrage. Mais un propos militant et un bel enrobage ne font pas tout. Les fondations essentielles à tout récit, que sont la construction scénaristique et le rythme, étant branlantes, on ne peut décemment participer à l’enthousiasme collectif qui semble davantage porté par les valeurs vendus par l’œuvre que par ses qualités intrinsèques. On pourra même s’interroger quant à l’utilisation du féminisme comme outil marketing. Il y a ainsi quelque chose de gênant dans la mise en avant du phénomène qui voit nombre de fans se tatouer un « NC » (pour Non Conforme), et dans la proposition de tatouage pour promouvoir la série. Il est paradoxal de revendiquer un non-conformisme à l’aide d’un signe reproduit par un grand nombre.
N’en doutez pas. On voudrait aimer Bitch Planet mais pour ses qualités d’écritures et de dessins avant son propos. Quand, dans le même temps, des séries comme Lazarus de Greg Rucka (également chez Glénat), Velvet d’Ed Brubaker ou Thor de Jason Aaron (proposant les aventures fabuleuses d’un avatar féminin) sont trop souvent snobées malgré leurs grandes qualités (coupable d’être écrites par des hommes et/ou éditées par des gros éditeurs ?), on se dit que, décidément, la forme prime trop souvent sur le fond et qu’un message bien marketé est plus efficace qu’une série bien écrite.
Bitch Planet – Tome 1 : Extraordinary Machine (Glénat Comics, Glénat, Image Comics) comprend les épisodes US de Bitch Planet #1 à #5
Écrit par Kelly Sue DeConnick
Dessiné par Valentine de Landro
Prix : 16.95 €
¹N’ayant pu lire la version originale, on pourra toutefois se demander si le problème de clarté ne vient pas de la traduction
² Et gênant en cela des critiques basant leurs propos sur des grilles de lectures toutes faites