#Critique Brimstone

#Critique Brimstone

Note de l'auteur

Dans l’Ouest sauvage, une jeune femme est pourchassée pendant des années par un révérend diabolique. Tourné en Hongrie, un western féministe crépusculaire. La révélation du talent éclatant du nouvel « Hollandais violent », Martin Koolhoven.

 

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La critique n’en finit pas de m’étonner. La semaine dernière, les journalistes spécialisés bavaient devant le génie supposé de Julia Ducournau, réalisatrice de Grave, signaient des critiques dithyrambiques avec plein de métaphores culinaires dedans (« un film saignant », « un film cannibale mordant »…), évoquant le cinéma de genre elevated ou – excusez du peu – David Cronenberg. Complètement consternant, alors que Lost City of Z de James Gray sortait le même jour, et se ramassait des critiques beaucoup plus mitigées. Cette semaine, c’est Brimstone qui déboule en salles et une bonne partie de la presse dégueule sur le film. Pourquoi ? À cause de sa violence prétendument insoutenable, voire sadique. Dans Grave, l’héroïne boulotte des doigts au petit-déjeuner ou grignote son petit copain en hors-d’œuvre. No problemo ! Dans Brimstone, le Hollandais Martin Koolhoven (Suzie Q, Winter in Wartime) parle de la violence faite aux femmes avec des scènes la plupart du temps hors champ et là, c’est insupportable. Étonnant, non ? Plus grave (sans jeu de mots), les critiques qui se délectent du cinéma de Quentin Tarantino en général et des 8 Salopards en particulier déliraient sur son western enneigé où Jennifer Jason Leigh se fait copieusement exploser la tête, casser les dents, asperger de sang et de cervelle et se retrouve finalement pendue, dans un final gore bien complaisant. Mais la violence des 8 salopards était cool, fun, et je me souviens de la projo en 70 mm où les fans de Mister T. hurlaient de rire. Dans Brimstone, la violence est sale, insoutenable, réaliste, dépeinte de façon « morale », comme me l’a assuré Martin Koolhoven en interview. Eh bien, j’ai rencontré plusieurs critiques ulcérés par cette façon de filmer la violence, et certains pensaient que le film devrait être interdit aux moins de 18 ans, voire interdit tout court, jusqu’à arguer que ce malade de Koolhoven devrait avoir honte d’avoir fait bosser une jeune fille dans un truc aussi dégueulasse. Je ne peux m’empêcher de penser à la définition des critiques que m’avait balancée un jour Alejandro Jodorowsky : « des flics de la pensée ».

Pourtant, il ne faudrait pas que cette violence, cette incroyable intensité ne fasse oublier l’essentiel : Brimstone est un putain de grand film. Cruel et féministe, Brimstone se déroule dans une petite ville de l’Ouest américain, à la fin du 19e siècle. Sur une quinzaine d’années, Koolhoven raconte le calvaire d’une jeune femme muette, incarnée par Dakota Fanning, qui va tenter d’échapper à un mystérieux pasteur largement psychopathe, un Guy Pearce branché sur 2 000 volts, qui oscille entre le Robert Mitchum de La Nuit du chasseur, le requin des Dents de la mer et le Robert De Niro de Cape Fear.

 

DSCF6757Ciselé par Martin Koolhoven, le scénario de Brimstone est une merveille. Il bouleverse astucieusement la chronologie et signe une œuvre en 4 chapitres (Révélation, Exode, Genèse, Rétribution), qui s’étale sur 2h30. Le film-puzzle commence donc avec l’héroïne adulte, mère de deux enfants, muette, persécutée par un prêtre balafrée. Puis, 30 minutes plus tard, une seconde partie nous révèle son terrifiant passé et sa première rencontre avec le prêtre de l’enfer qui va prendre quelques cicatrices. Du grand art. Avec ce script somptueusement construit, où plane l’ombre de Bergman, bourré de détails véridiques (le masque de fer apposé sur le visage de la mère de l’héroïne), Koolhoven propulse son spectateur au cœur de l’Ouest sauvage, l’Ouest de Sam Peckinpah, de Blueberry ou de Sergio Leone, hanté par la mort, les sales gueules, des ordures à la gâchette facile. Plus fort encore, en parlant du 19e siècle, Koolhoven parle de notre époque. Il nous présente des femmes brimées, mutilées, violées, réduites en esclavage qui ressemblent étrangement à des millions de femmes qui vivent encore aujourd’hui ce calvaire sous d’autres latitudes. Bref, Brimstone est aussi le constat dramatique sur les violences faites aux femmes depuis des siècles. Et Koolhoven s’offre en cadeau bonus une attaque frontale contre le fanatisme religieux en suivant le parcours sanglant d’un fou de dieu, violeur, incestueux et assassin. Pas mal pour western…

 

Brimstone3Il y a donc du sang neuf en Hollande. Après son compatriote Paul Verhoeven, Martin Koolhoven monte sur le ring pour choper le titre de nouvel « Hollandais violent ». Il met tous les compteurs dans le rouge avec une série de séquences haute tension, mais comme je le disais plus haut, avec une violence graphique hors champ (quand une prostituée se fait couper la langue, Koolhoven tourne sa caméra vers un personnage qui assiste, horrifié, au supplice). Fan de Stanley Kubrick, du western spaghetti ou de David Lean, Koolhoven mixe les influences comme La Nuit du chasseur, La Leçon de piano ou Le Grand Silence. Le film prend tour à tour la forme d’un western bien sûr, mais aussi d’un film d’horreur, un survival, un drame historique, un conte gothique… Épaulé par le génial directeur de la photo Rogier Stoffers (Quills, la plume et le sang), Martin Koolhoven vous propose un ride infernal dont la force tellurique, la beauté noire, les visions inoubliables vont vous brûler les rétines et vous hanter.

Grand film.

 

 Brimstone-Affiche

 

Brimstone
Réalisé par Martin Koolhoven
Avec Dakota Fanning, Guy Pearce
En salles depuis le 22 mars 2017

 

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