
#Critique Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher
Plongée vertigineuse dans l’âme humaine, Ces jours qui disparaissent rend du sens au terme ubuesque. Pas loin de la folie, proche du trouble extrême. Une mise en abyme de ce qu’un homme peut vivre de plus désarçonnant : perdre sa propre identité, sans perdre son corps.
L’histoire : Lubin est double. À son corps et à son esprit défendant, ce jeune homme ne vit qu’un jour sur deux. Le reste du temps, c’est un autre lui qui existe dans son enveloppe corporelle. Un autre lui totalement différent. Et ce locataire de l’âme prend peu à peu le dessus sur le propriétaire originel. Si bien que travail, famille et relations amoureuses connaissent des soubresauts inquiétants. La psychiatrie est-elle la seule solution ?
Mon avis : absolument déroutant. Avec un vrai sens de la montée en puissance. À mesure que l’on progresse dans ce récit, le malaise vécu par Lubin est de plus en plus contagieux. On en arrive à éprouver de la compassion pour le héros.
Faut bien avouer que ce qu’il endure sort de l’ordinaire. Une désappropriation de son corps par un autre. Un être aux antipodes de sa propre personnalité. Quand Lubin est nul en ménage, vivrier et procrastinateur, Lubin le second est une fée du logis, gagne énormément d’argent et ne laisse aucun papier important se perdre. Il résulte des quiproquos tragi-comiques. C’est très bien construit et on en arrive au point où le « vrai » Lubin n’est lui qu’une fois tous les quatre ans. Puisque son « autre » est plus déterminé à prendre sa place que l’inverse. Glaçant.
Cette BD nous parle aussi de nous. De notre capacité plus ou moins prononcée à la bipolarité, de la dualité entre le corps humain et son esprit et plus généralement de notre identité. C’est aussi une belle leçon d’accompagnement des malades. Lubin n’est jamais abandonné par sa famille proche et sa bande de potes. Ce qui lui permet de ne pas sombrer dans une folie destructrice. Seule Gabrielle l’abandonnera mais c’est peut-être la meilleure chose qui lui arrivera. Ces jours qui disparaissent est aussi nimbé d’humour comme si une prise de distance par le biais de l’humour pouvait aider à supporter des phénomènes dérangeants.
Il y a aussi un parti pris intéressant qui est celui de l’acceptation générale du phénomène qui touche Lubin. Lui-même ne se révolte pas contre.
Une très belle surprise.
En accompagnement : Le Jeu de la folie du troubadour jurassien Hubert-Felix Thiéfaine.
Si vous aimez : Split de M. Night Shyamalan avec notamment James McAvoy. Avec un héros qui a déjà révélé 23 personnalités alors que la 24e menace de survenir.
Autour de la BD : à même pas 30 ans, Timothé Le Boucher est un talent précoce, récompensé pour ses jeunes travaux et qui signe son troisième opus pour Glénat.
Extraits : « Gabrielle ? »
« Si tu es bien le Lubin que je connais, j’ai des croissants et du jus de pamplemousse pour toi. »
« Fais attention, je serais capable de mentir sur mon identité pour avoir un tel petit-déjeuner. »
« Bonjour au fait. »
« Je crois que pour nous deux, il est préférable que tu ailles te laver les dents avant tout rapprochement. »
Ces jours qui disparaissent
Écrit et dessiné par Timothé Le Boucher
Édité par Glénat