
Les réseaux ont des oreilles (critique de Citizenfour, de Laura Poitras)
Citizenfour, c’est le pseudo utilisé par le lanceur d’alertes Edward Snowden pour révèler les informations top secrètes de la NSA concernant les programmes américains et britanniques de surveillance des réseaux. Effarantes par leur ampleur et leur globalité, ces révélations sont l’objet d’un long métrage qui vient d’obtenir l’Oscar du documentaire et qui s’attache aussi, sous les dehors d’un captivant film d’espionnage, à cerner la personnalité de celui qui dit sacrifier sa vie privée pour tenter de préserver le concept même de vie privée.
Par sa fonction d’administrateur systèmes chez un prestataire de services de la défense américaine, Edward Snowden a accès aux listes de tous les ordinateurs et téléphones surveillés par la NSA. Des millions d’appareils, un nombre considérable que le Patriot Act de l’après 11 septembre, qui permet à la défense américaine d’espionner les communications des personnes estimées suspectes, ne saurait justifier. Snowden poursuit ses recherches et découvre que le programme TEMPORA, également utilisé sans vergogne par le gouvernement britannique, sert ni plus ni moins à intercepter et stocker toutes les métadonnées (heures, lieux, adresses IP…) et toutes les données qui circulent entre les émetteurs et les récepteurs à travers le monde. Toutes ? Toutes. Une belle moisson effectuée avec la bénédiction des compagnies de télécom qui, sur simple demande, ouvrent leurs serveurs au mépris de leurs clients. C’est dégueulasse. Et quand il n’y a plus de vie privée c’est au bout du compte, pense à juste titre Snowden, la liberté de penser qui est en jeu : lorsque vous savez que chaque recherche Google effectuée dans le monde est surveillée, vous vous mettez à faire attention à ce que vous tapez sur votre clavier. Ainsi, inexorablement, vous commencez à limiter votre champ d’expansion culturelle.
Le monde dans une chambre d’hôtel
Deux ans après ces révélations, le premier mérite de CITIZENFOUR est donc de nous balancer une bonne petite piqûre de rappel. Le second est de le faire d’une manière qui n’a rien à voir avec le docu en mode « talking heads » que nous infligent trop souvent les anglo-saxons, les confidences de Snowden au journaliste Glenn Greenwald étant filmées par la réalisatrice dans une chambre d’hôtel de Hong Kong au moment même où elles ont lieu. Le calme et la pédagogie dont fait preuve le lanceur d’alertes renforcent encore davantage ses propos, et sa lucidité permet de prendre d’autant mieux la mesure des enjeux qu’elle est émaillée d’accès de paranoïa où l’on est d’abord tenté de voir de l’humour avant de comprendre que non, il faut vraiment faire attention à tout. Agencé comme un véritable film d’espionnage d’envergure mondiale, avec agents doubles et drones mouchards à la clé, le spectacle paradoxalement intime de CITIZENFOUR s’accompagne d’un élan d’admiration pour cet homme discret autant qu’indiscret, en même temps qu’un sentiment d’impuissance face aux forces qui nous dominent. Dans les remerciements en fin de générique, vous trouverez la liste des softwares et des outils de cryptage gratuits qui ont permis au film de se faire. Il paraît que ce n’est pas très compliqué à utiliser. Comment ça, parano ?
En salles depuis le 4 mars.
2014. Etats-Unis / Allemagne / Royaume-Uni. 1h54. Réalisé par Laura Poitras. Avec dans leurs propres rôles Edward Snowden, Glenn Greenwald, William Binney, Jacob Appelbaum…
LE film de l’année so far!!
Le blu ray sera à ranger bien au chaud au côté du grandiose « Révélations » de Michael Mann, qui est un peu son pendant cinématographique.
On va plutôt dire son pendant « hollywoodien », ce sera plus juste. 😉