#Critique : Concaténation (Mosaic / HBO / OCS)

#Critique : Concaténation (Mosaic / HBO / OCS)

Note de l'auteur

Découvrir une œuvre de Steven Soderbergh est systématiquement une expérience nouvelle. Voilà quelqu’un qui, indépendamment du récit dont il s’empare, cherche à ne jamais se répéter. Et c’est plus que jamais le cas avec Mosaic qu’il décline ici d’une expérimentation vers une minisérie plutôt austère mais — comme toujours avec le maestro — très soignée.

Olivia Lake est une artiste à succès en littérature jeunesse qui vit non loin de la très aisée Park City dans le comté de Summit (Utah). Célibataire, elle fait la rencontre de deux hommes. Le premier est un personnage mystérieux qui prétend lui éviter une arnaque financière. Le second est un jeune artiste (et admirateur) qu’elle rencontre alors qu’il officie en tant que barman pour une réception. Lorsqu’Olivia disparaît, tous les regards suspectent inévitablement ces deux relations…

Au départ, Mosaic a été conçu comme une application pour smartphones et tablettes (lancée en novembre 2017 sur iOS et tvOS puis sur Android et la semaine dernière directement sur un site internet dédié, ne cherchez pas, uniquement disponible aux E.-U.). Frustré d’avoir pour matériaux des récits ordonnés suivant les mêmes conventions, Steven Soderbergh était séduit par l’idée de pouvoir proposer une narration “par branche” à l’utilisateur. La découverte commence par une première vidéo, puis les points de vue se séparent et chaque étape est agrémentée de “découvertes”, des éléments connexes à lire, écouter ou voir (emails, messages répondeurs, etc.).

Vous vous demandez alors sûrement quel peut bien être l’intérêt de découvrir Mosaic sous une forme qui n’est pas celle pour laquelle elle a été conçue ? (l’application dépassait les 7 heures de contenu et la minisérie est constituée de 6 épisodes d’environ 50 minutes). Pour y répondre, il faut bien comprendre la genèse du projet. Après avoir essuyé quelques refus, Soderbergh parvient à convaincre HBO de soutenir son projet (la chaîne avait notamment produit pour Cinemax sa brillante série historique : The Knick). Mais le chantier envisagé par Soderbergh et son scénariste, Ed Solomon, dépasse le budget initial. Le cinéaste soumet alors à HBO l’idée d’en faire un montage supplémentaire sous la forme d’une série si la chaîne accepte de financer la rallonge.

Mettre les deux versions côte à côte démontre tout le savoir-faire de Soderbergh pour l’art du montage. Il utilise parfaitement les multiples points de vue (conçus pour l’application) afin de servir une autre lecture du récit. Paradoxalement, la minisérie est fondamentalement moins linéaire que l’application. Privé·e de la liberté de choisir son cheminement, le·a téléspectateur·rice est guidé·e selon un principe de vision plus globale, un flash-forward d’emblée permettant d’instaurer tout de suite les enjeux là où l’application prend le temps d’imposer les personnages avant de déployer réellement l’intrigue.

Formellement, le travail de Soderbergh est une nouvelle fois remarquable. C’est à peine si l’on s’aperçoit de la concentration en plans rapprochés, mieux adaptés à un visionnage sur petits écrans. Les angles de caméras sont très variés, les champs/contre-champs sont souvent obstrués par l’interlocuteur dans le flou de la profondeur et les séquences à l’épaule sont légion. Le travail sur l’ambiance est fabuleux même si les accompagnements musicaux de David Holmes sont un peu clairsemés.

À côté de cela, Soderbergh obtient surtout des merveilles d’un casting hétéroclite. La revenante Sharon Stone est brillante en cougar à la recherche d’un second souffle. On est un peu surpris devant le caractère ingrat du personnage interprété (néanmoins avec grande classe) par Beau Bridges. Et le quatuor des intervenants principaux, Jennifer Ferrin, Devin Ratray, Garrett Hedlund et Frederick Weller est tout simplement parfait.

Tout ce beau monde navigue toutefois dans un polar qui pourrait sembler artificiellement compliqué. Si la minisérie est évidemment simplifiée pour ne pas créer de répétitions inutiles, la dilution du récit est inévitable et certains enchaînements ne passionnent pas.

Il n’empêche que l’objet, ici sériel, reste très au-dessus de la moyenne. On ne peut que regretter — en tant que sériephile — que l’orfèvre Soderbergh semble avoir décidé de revenir aux longs métrages !

MOSAIC (HBO) minisérie en 6 parties
diffusée (quotidiennement) sur OCS dès le 23 janvier.
Minisérie créée et réalisée par Steven Soderbergh.
Minisérie écrite par Ed Solomon.
Avec Sharon Stone, Beau Bridges, Garrett Hedlund, Frederick Weller, Paul Reubens, Jennifer Ferrin, Jeremy Bobb, James Ransone, Devin Ratray, Maya Kazan, Zandy Hartig, Michael Cerveris et Bridey Elliott.
Musique originale de David Holmes.

Visuels : The Verge (capture de l’app) / Mosaic © 2018 Home Box Office, Inc. All rights reserved. HBO® and all related programs are the property of Home Box Office, Inc.

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