CRITIQUE DE L’IDEAL : UN FILM DE COLLABO

CRITIQUE DE L’IDEAL : UN FILM DE COLLABO

Note de l'auteur

Après Nicolas Winding Refn, Frédéric Beigbeder montre le côté obscur de la mode. Mais loin d’être une satire vacharde, L’Idéal est un film de collabo qui célèbre ce qu’il prétend dénoncer, une comédie vide et surtout pas drôle. À fuir…

J’aime bien Frédéric Beigbeder. Ancien fils de pub, critique littéraire, éditeur, chroniqueur TV multicartes, rédac chef du magazine de charme Lui, icône médiatique, Beigbeder hante les plateaux télé, ramène sa fraise sur la littérature ou le ciné, avec des arguments souvent drôles ou décalés. Cultivé et marrant, le dandy germanopratin prône l’hédonisme cool, l’activisme chez Castel, sniffe de la coke sur les capots de voiture, se tape des top models. Bref, ça change de Nagui ou Hanouna (quoique !). Bon, ça se gâte un peu avec la littérature. Beig écrit des romans, des best-sellers un poil branchouilles, mais très complaisants et pas vraiment passionnants (j’adore la formule définitive du critique Pierre Jourde, « c’est Toto qui écrit un roman »). L’ancien pubard se rêve Salinger ou Bret Easton Ellis et écrit des trucs comme « Au XXIe siècle, l’amour est un SMS sans réponse ». Comme si Beig était incroyablement doué mais qu’il se regardait un peu trop le nombril et qu’il bâclait ses ouvrages dans les grandes largeurs. Pour le reste, le plan média de ses bouquins ressemble à du renvoi d’ascenseur. Admirable VRP de lui-même, Beig hante les plateaux télé pour faire de la promo et ses potes du monde de l’édition font le service après-vente. Bref, Beig dit du bien de Houellebecq, qui dit du bien de BHL, qui dit du bien de Yann Moix, qui dit du bien de Beigbeder…
En 2012, catastrophe, Beig passe derrière la caméra pour L’Amour dure trois ans, une « rom-com » avec Gaspard Proust. Comme il est malin, Beig embauche Yves Cape, chef op’ de Bruno Dumont. C’est techniquement assez chiadé, emballé comme un Woody Allen première période, avec un héros insupportable, névrosé, qui parle face caméra. Mais c’est plombé par la bêtise, la tiédeur du propos, le melon de l’auteur et ses répliques définitives en forme de slogans publicitaires.
Capture d’écran 2016-06-14 à 15.50.39Mauvaise nouvelle, Beig revient au cinéma avec la suite de 99 francs, l’adaptation de son roman Au secours pardon. Comme Jan Kounen s’est embrouillé avec Jean Dujardin, c’est Beig lui-même qui reprend le bébé. Son héros, Octave Parango, a quitté la pub et est devenu « scout model », un cocaïnomane dépressif tendance pédophile qui sillonne la Russie à la recherche de chair fraîche et se tape des gamines anorexiques de 15 ans. Sa mission : trouver le nouveau top model (donc une Russe de 35 kilos, mineure et vierge) de L’Idéal (il faut lire L’Oréal, humour). Voilà pour le pitch ! Est-ce passionnant ? Pas vraiment. Il y a des filles à poil, des tonnes de coke, des milliardaires russes en rut (pléonasme), des nains qui shootent au taser une directrice de collection forcément hystérique et – attention – une critique de la dictature de la mode… Tout cela de la part d’un mec qui est rédacteur en chef de Lui (et qui ne met que des top ou stars en couverture de son magazine, ce mois-ci, Audrey Fleurot, la vedette de son film, bien vu le pubard, interviewée par… lui-même). 
Pour masquer le vide, il y a des partouzes, de la coke, des petites culottes et quelques répliques gondolantes comme « Tu sais qu’au Moyen Âge on brûlait les rousses ? Ne me fais pas regretter cette époque. » Ou encore : « C’est fou quand on y pense. Si un Black se fait refuser l’entrée d’une boîte, ça s’appelle du racisme, et c’est interdit et… je suis contre, bien entendu. Et si on vire les moches, ça s’appelle la mode ! Et c’est que du bon sens. »

l-ideal-de-frederic-beigbeder-11536679ihzqt_1713Pour aller vite, L’Idéal s’apparente à une catastrophe industrielle. Sans vouloir être cruel, osons une petite comparaison avec 99 francs. Jan Kounen n’a jamais été d’une grande subtilité, mais son film était un objet étrange, entre trip hallucinogène et attaque en règle de la pub. Le tout saupoudré de scènes réjouissantes, rarement vues au sein du cinéma français. Bref, du sperme, de la drogue et de la dénonce. Dans L’Idéal, Beig ne dit rien, ne dénonce rien. Le film est censé être une attaque en règle de la mode, mais Beig enfile les clichés comme Karl les perles. De plus, et c’est assez déplaisant, Beig flatte ce qu’il est censé dénoncer. Il déclare que la mode s’apparente à la traite des esclaves mais accumule les séquences avec des jolies filles anorexiques peu vêtues. Il fait un clin d’œil aux Femen, mais dépeint tous les mannequins comme des créatures décérébrées. Il dénonce le diktat de l’apparence, mais avec des canons pré-pubères sous la douche. Beig se veut moraliste, mais qui parle ? Le cinéaste, le rédacteur en chef de Lui, le metteur en scène de pubs à la solde des grandes marques ? Alors, réalisateur ou collabo ? Pourtant, il y a un vrai sujet, non ? L’aliénation des femmes (et des hommes), notre soumission démente aux canons de la mode, les mannequins d’Europe de l’Est qui finissent comme de la viande à baiser sur YouPorn. Très malhonnêtement, le Beig joue sur les deux tableaux et se plante bien sûr.
Au niveau de la mise en scène, c’est un cauchemar. Malgré le monteur d’Intouchables et le directeur de la photographie de Quand la mer monte, rien ne fonctionne. Ce n’est pas drôle, trop long (90 minutes qui en paraissent le double), mal joué (revoyez 99 francs, vous verrez la différence entre la subtilité de Jean Dujardin et le charisme de bulot de Gaspard Proust) et réalisé comme un téléfilm, avec de beaux champs / contrechamps. Si le Beig sait torcher une pub de 15 secondes, il a encore des progrès à faire pour raconter convenablement une histoire sans faux raccords et avec deux ou trois idées de cinéma.

En salles depuis le 15 juin. 2016. France. Réalisé par Frédéric Beigbeder. Avec Gaspard Proust, Audrey Fleurot, Jonathan Lambert.

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