
#Critique de Okja
Une jeune Coréenne se lance à la poursuite de son cochon péteur géant. Un formidable conte animalier et écolo sur les délires du capitalisme. À déguster sur Netflix.
C’est un des grands du cinéma, auteur d’au moins un chef-d’œuvre du polar, Memories of Murder, et d’une poignée d’excellents films comme Mother, The Host, et dans une moindre mesure Snowpiercer. Âgé de 46 ans, le Coréen Bong Joon-ho est un dynamiteur de genres, un formaliste de génie, un auteur prodigieusement doué pour les changements de tons, les ruptures, le mélange des genres, les multiplications d’émotions contradictoires, doté d’un incroyable sens de l’humour et du grotesque.
Quatre ans après Snowpiercer, Bong Joon-ho revient avec une fable généreuse et spectaculaire dont le pitch pourrait s’apparenter à celui d’un film pour enfants. Il était une fois, donc, la petite Mija, qui vivait dans le paradis vert coréen avec son cochon transgénique, entre l’hippopotame et le porc, un animal énorme avec un cœur gros comme ça. Un beau jour, la méchante Tilda Swinton, à la tête de l’empire Mirando (fuck you Monsanto), décide d’emmener la bébête aux États-Unis pour une grosse opération de marketing. S’ensuit une course-poursuite entre Séoul et New York où Mija, des défenseurs des animaux allumés et l’armée de fachos de Lucy Mirando s’affrontent, se poursuivent et tentent de mettre la main sur le gros cochon baveux.
Bong Joon-ho est l’auteur de l’histoire originale d’Okja et du scénario. C’est une histoire simple, poétique et belle, un conte moral entre Babe et Totoro. Du travail d’orfèvre, mais comme George Miller et Hayao Miyazaki, Bong Joon-ho – véritable contrebandier du cinéma – parle aussi bien à la tête qu’au cœur de son spectateur. Entre deux scènes de baignades bucoliques, ponctuées de pets éléphantesques, le réalisateur alterne les scènes d’actions avec quelques poursuites ébouriffantes et une séries de séquences ouvertement politiques. Si le super cochon est le symbole de l’enfance qui ne veut pas mourir, le film ressemble furieusement à une attaque en règle contre le capitalisme, la cupidité et Tilda Swinton (« Tout se mange, sauf les cris ») – absolument grandiose – l’incarnation du mal absolu : une executive woman, obsédée par ses dents et le profit. Derrière la grâce et l’amitié entre une jeune fille et son animal, Bong Joon-ho cogne, encore et encore. Contre le fascisme d’un capitalisme devenu dingue qui veut se donner des airs de greenwashing, le fascisme de la communication, de la propagande qui ne cherche qu’à nous laver le cerveau (d’ailleurs, le fascisme au cœur du cinéma de Bong Joon-ho aussi bien dans Memories, The Host ou Snowpiercer). Vers la fin, la satire se métamorphose en plaidoyer pro-vegan, contre la production intensive de viande animale, avec une séquence hallucinante dans un abattoir high tech. On ne rit plus, on est tétanisé par l’horreur, le sang, l’odeur de la mort, comme lors du visionnage d’une vidéo du groupe L214. Un film pour enfants, Okja ? Pas si sûr…
Au niveau de la forme, Okja est une merveille. Naturellement, les effets spéciaux sont absolument magiques, comme un Miyazaki live. Pour que l’identification puisse fonctionner, il fallait une créature ultra-réaliste et c’est la perfection à 200%. Que l’on soit dans un commerce de Séoul (illustration parfaite de l’expression « un éléphant dans un magasin de porcelaine »), dans les rues de New York ou à l’abattoir industriel, Bong Joon-ho filme son super cochon à l’égal de l’homme. Résultat, on trépigne, on rit, on pleure. Avec Darius Khondji (Se7en) derrière la caméra, il multiplie les plans radieux au pays du matin calme, les lumières douces et colorées et fait de son film un incroyable livre d’images.
Pour finir, un petit mot sur la polémique Netflix. Le film a été sifflé à Cannes à cause du logo Netflix et à Paris les quelques séances en salle de cinéma ont été annulées. Pourtant, si je me souviens bien, Carlos d’Olivier Assayas, produit par Canal+, avait été projeté à la télé avant la diffusion en salles. Et cette année sur la Croisette, plusieurs critiques qui faisaient leurs malins ont écrit que le premier épisode de Twin Peaks était le meilleur film du festival. Bon, est-ce que Okja est du ciné ? Oui, et du très grand ciné. Les quelques séances en salles n’auraient pu fragiliser le modèle de la chronologie des médias puisqu’elles devaient être gratuites. Pour finir, je pense qu’aucun studio hollywoodien n’aurait allongé 50 millions de dollars pour un film aussi étrange et beau, avec ce final apocalyptique. Très vite, la polémique va s’éteindre. Ne restera plus que le film. Un des meilleurs, et de loin, de cet été, que vous devrez déguster sur votre télé.
Okja
De Bong Joon-ho
Avec Seo-Hyun Ahn, Tilda Swinton, Paul Dano, Jake Gyllenhaal.
À partir du mercredi 28 juin sur Netflix