
#Critique Dead Dead Demon’s Dededededestruction (T. 2)
Après un premier tome coup de cœur et coup de poing, l’ovni d’Inio Asano revient dans un second tome toujours aussi maîtrisé et atypique. Le mangaka, qui n’en est pas à son coup d’essai, rappelons qu’il est derrière les titres Bonne nuit Punpun, Solanin ou encore La Fin du monde avant le lever du jour, signe ici, une œuvre à la poésie aussi contemporaine, qu’absurde. Une sorte d’état des lieux du Japon post-Fukushima, quelque part entre complotisme et paranoïa ambiante. La fin du monde, annoncée par Asano dans ses précédents titres, semble enfin là… Et nous sommes aux premières loges pour y assister.
Comme une rébellion sourde, comme un refus d’étouffer sous le poids d’une société qui n’a rien à offrir, Dead Dead Demon’s Dededededestruction s’aborde comme un manifeste poétique dans lequel l’absurdité n’est jamais loin. Voilà trois ans déjà que plane au-dessus de Tokyo un gigantesque vaisseau extraterrestre, tel un couvercle menaçant d’écraser la ville. La situation partage la population, tandis que certains sont terrorisés, d’autres semblent faire abstraction de cette menace, en toute insouciance. C’est notamment le cas de Kadode, Ôran et leurs copines, de jeunes lycéennes quelque peu blasées, qui poursuivent leur vie comme si rien ne pouvait venir la bousculer. Une forme de nonchalance qui traduit le malaise d’une jeunesse affable mais profondément humaniste, qui s’oppose et se heurte à la peur qui gangrène notre société. Ce refus de succomber à la panique, tel un acte de résistance et non de résilience, donne lieu à un récit parfaitement décalé et plus moderne que jamais. La survie de l’humanité ne semble tenir qu’à un fil et c’est en attendant tranquillement la fin du monde, que Kadode, Ôran et leur petite bande, continuent d’aller au café, de jouer aux jeux vidéo et de flirter avec les garçons. Cette déconnexion apparente du réel est en fait plus une envie de ne pas se laisser broyer par la peur et l’anéantissement. De ce flottement, de ce décalage naît un récit hybride dans lequel se télescopent tranches de vie adolescente, SF pure et questionnements sociétaux.
Ce second tome insiste bien plus sur la réponse militaire à apporter face aux envahisseurs. On plonge au sein de l’entreprise Santilli Elements Solution, qui est passée en quelques dizaines d’années de fabricant en électroménager à développeur de hujin, des robots anti-Alien. Dans ce Japon en constant état d’urgence, Inio Asano met en lumière un militarisme assumé à travers le discours conservateur, voir nationaliste du premier ministre Shinzō Abe. Les résonances avec les troubles que connaissent de nombreuses sociétés à l’heure où j’écris ces mots, rendent le sujet d’autant plus d’actualité. Concernant le style de l’auteur, on reconnaît toujours autant sa précision photographique. Les installations, décors, vaisseaux et robots sont hallucinants de réalisme et de détails. Il fait preuve une fois de plus de maîtrise et de rigueur tout en donnant à son chara-design, une forme plus fluide et presque naïve. Sur la forme comme sur le fond, Dead Dead Demon’s Dededededestruction trouve sa plénitude dans une certaine forme d’hybridation. Une nouvelle fois, Asano nous propose une œuvre exigeante, subversive et terriblement moderne et ça fait juste un bien fou, dans un marché saturé de shônens interchangeables et sans saveur et de seinens gratuitement trash ou sadiques. En un mot, merci !
Dead Dead Demon’s Dededededestruction (T. 2)
De Inio Asano
Édité par Kana