
Oncle Tom habite toujours là (critique de Dear White People, de Justin Simien)
Sans toucher à la mordante satire des rapports interraciaux annoncée, Dear White People est un premier long métrage qui aborde avec de l’humour, de l’énergie et un fort esprit Spike Lee des problématiques qui n’ont pas fini d’être digérées.
On constate deux aspects du cinéma indé américain. L’un, hérité de Cassavetes, cherche l’immersion au cœur de l’action, favorisant l’émotion et l’implication physique et viscérale du spectateur. L’autre au contraire prend de la distance, il demande le recul de la réflexion et, s’il y a un peu de talent satirique à la Todd Solondz dedans, parvient à se servir du merveilleux outil de l’ironie. Dear White People appartient à cette seconde tendance, celle qui permet d’envoyer du message.
Dans la prestigieuse université imaginaire de Winchester (!) les étudiants se regroupent par affinités sociales, raciales ou, au sens très très large, philosophiques, sous l’égide de ces fraternités qui sont le moteur de pas mal de comédies de campus. En suivant quatre étudiants afro-américains qui adoptent chacun une attitude différente – provocatrice, anticonformiste, conformiste et observatrice – face aux rapports interraciaux, le réalisateur Justin Simien, qui pour son premier film dit s’inspirer de sa propre expérience d’étudiant, tente de faire craquer le vernis d’hypocrisie d’une société proclamant haut et fort qu’il n’y a plus de racisme dans ses frontières. Si haut et si fort qu’elle parviendrait presque à couvrir le boucan des rues de Ferguson.
Dear White People remplit ses objectifs, sans plus. Et il le fait d’une assez belle manière puisque, tout en demeurant ultra-contemporain dans son approche thématique, il élabore une forme soignée qui recourt délibérément aux codes du cinéma de ces années 60, quand le Mississippi brûlait et le KKK fanfaronnait sur le campus d’Oxford. Un temps pas si révolu, donc. En traitant le sujet sur un ton tantôt léger, tantôt rentre-dedans, il ne manque pas non plus de contenu, loin s’en faut. Inondant son film de références à la contre-culture – Altman adulé, Spike Lee revendiqué – le réalisateur déploie toute une panoplie d’arguments et de contre-arguments que brandissent des personnages confrontés à leurs propres contradictions jusqu’à ce que la situation d’ensemble devienne carrément explosive.
Mais à force de brasser les stéréotypes les plus profondément ancrés avec la louable intention de les dénoncer, le film désamorce ses enjeux car, chaque comportement en prenant pour son grade, il ne reste plus qu’à constater l’inanité de toute revendication identitaire. Moins agressif que celui d’un Spike Lee, même du temps de Nola Darling, le ton de Justin Simien n’a pas encore assez d’ampleur pour laisser de trace, sinon celle d’une affable morale un rien désabusée : ce n’est pas parce qu’il est impossible de se débarrasser des stéréotypes qu’on ne doit pas essayer quand même. C’est pas faux.
En salles depuis le 25 mars 2015.
2014. Etats-Unis. 1h48. Réalisé par Justin Simien. Avec Tyler James Williams, Tessa Thompson, Kyle Gallner, Teyonah Paris…
Dear White People : bande-annonce VOST par inthefame