
#Critique Depeche Mode – Spirit (Mute/Columbia)
Après plusieurs années d’expérimentations diverses, le plus souvent couronnées de succès, Depeche Mode opère un virage à 180° et retourne à ses racines, tant musicales que philosophiques. Et une fois de plus, le résultat force le respect. Plongée au cœur d’une révolution en marche aux côtés d’un groupe pas près de rendre les armes.
À la différence de la grande majorité (la totalité ?) des groupes issus de la new wave, Depeche Mode a toujours placé la politique au cœur de sa création artistique sans jamais se voir affublé de l’étiquette de « groupe engagé ». Pas de grand discours moralisateur à la Bono, encore moins de prise de position publique en faveur d’une quelconque cause, chez Depeche Mode les choses se font plus subtilement.

Quand même un peu non?
Par les symboles en premier lieu, notamment sur les pochettes des albums. Si le personnage illustrant la couverture de A Broken Frame (1982) manie une faucille et celui de Construction Time Again (1983) un marteau, ce n’est pas innocent. Pas plus que ne l’est la rose figurant sur Violator (1990), symbole du parti socialiste britannique comme elle l’est du futur ex parti socialiste français.
Par les paroles des chansons ensuite et les thèmes abordés. En les habillant de jolies couleurs pop, il est plus facile de faire passer les messages distillés par Everything Counts sur l’avidité des sociétés capitalistes, People Are People sur le racisme et les inégalités, Master and Servants sur l’esclavage moderne ou encore Stripped avec son étouffante romance post-apocalyptique. « We’re breathing in fumes, I taste when we kiss / On respire dans la pollution, j’en ai le goût quand je t’embrasse », c’est d’un autre niveau que sauvez la planète bande d’abrutis !
C’est que Martin L. Gore, auteur de la quasi-totalité des titres du groupe, est un homme discret et doux qui n’aime rien tant qu’affronter ses démons et ceux du monde dans lequel il vit dissimulé derrière une cape protectrice, que cela soit un écran d’ordinateur en studio, un clavier aussi haut que lui sur scène ou des métaphores lorsqu’il écrit ses chansons. Jusqu’à aujourd’hui.
Est-ce à cause de l’urgence dictée par l’actualité avec la montée des mouvements nationalistes / fascistes dans le monde et en particulier en Europe, le pathétique Brexit dans son propre pays, la parole raciste qui se libère ? Ou est-ce parce qu’à 55 ans passés, il s’est dit qu’il était peut-être temps d’être plus explicite dans l’expression de ses opinions ? Votre serviteur serait bien en peine d’apporter une réponse à ces questions. Toujours est-il que Spirit, quatorzième album studio en date de Depeche Mode, adopte une position frontale encore inédite pour le groupe.
À commencer par la pochette. Des drapeaux brandis, flottant vers la gauche, et des bottes marchant vers la droite, on hésite quant à l’interprétation de l’image. Doit-on y voir un appel au peuple pour qu’il se mette en marche contre la gangrène qui commence à pourrir la société moderne ou est-ce au contraire un avertissement à ceux qui pensent naïvement que les bruits de bottes dans nos rues ne sont qu’un vestige du passé ?
Going Backwards qui ouvre les hostilités apporte un élément de réponse à ces questions. Ici, plus besoin de dissimuler le message derrière une licence poétique, même si l’on pourrait déceler une certaine ironie dans le titre par rapport à la pochette susnommée… « We’re going backwards, armed with new technology (…) to a caveman mentality/ On fait marche arrière, armés de nos nouvelles technologies, vers une mentalité d’hommes des cavernes ». C’est net et précis. Sur une musique presque martiale, froide et inexorable, Dave Gahan pose des vocaux à la fois pessimistes et déterminés, sur un ton dénué d’ambiguïtés.

Si j’avais un marteau… dans ta gueule.
Where’s the Revolution enfonce le clou, probablement au moyen des marteaux brandis par le groupe sur les photos qui illustrent l’intérieur de l’album, et interpelle l’auditeur sans prendre de gants. « Come on people, you’re letting me down », rien que cela. Résurgence musicale de l’inquiétant Clean (Violator), ce titre résume parfaitement l’état d’esprit de Depeche Mode, il est temps d’appeler un chat un chat et de choisir son camp.
The Worst Crime en rajoute une couche en nous accusant directement d’être complices de la situation actuelle par notre passivité et notre apathie face aux événements, le crime en question étant l’indifférence face à une société qui se délite et perd ses valeurs… Juste une guitare noyée de reverb et un rythme évoquant le tambour qui accompagne le peloton d’exécution, la sentence va tomber et chacun devra payer, ce qui sera le cas avec Scum, attaque d’une incroyable violence ponctuée d’une incantation définitive, « pull the trigger » (« presse la gâchette »), sans que l’on sache s’il s’agisse d’un appel au meurtre ou au suicide.

En route pour la joie (ou pas)
Comme conscients de devoir relâcher la pression après une telle charge, Depeche Mode renoue avec son autre obsession favorite, le sexe et les relations qui en découlent. Du sensuel You Move à Poison Heart et son arrière goût de matin blème où les amants n’ont plus rien à se dire, on retrouve Martin L. Gore face à son miroir, essayant toujours de trouver la clef des relations humaines lorsqu’un oreiller fait partie de l’équation.
Mais l’accalmie est de courte durée… Le délicat Eternal dédié à ses enfants, où il espère pouvoir les protéger de futures retombées radioactives fait figure de bluette comparée à Poorman, nouvelle critique de l’aveuglement de notre société face à ses laissés-pour-compte en mode blues synthétique qui renvoie aux sonorités de Delta Machine (2013) et surtout Fail qui conclut l’album sur une note sans appel, plus d’espoir, on s’est baisés tout seul (we’re fucked, littéralement), c’est l’échec.
On sort donc de Spirit le nœud coulant à la main (sans jeu de mot), en se demandant si on va le passer autour du cou du premier réactionnaire venu ou si on doit chercher une branche bien solide pour s’y pendre. Avec cet album, Depeche Mode nous offre sa vision du monde la plus pessimiste depuis Black Celebration (1986) qui annonçait déjà la couleur dans tous les sens du terme. Trente ans plus tard, l’esprit invoqué par cette messe noire a atteint sa maturité, et ça fout les jetons. Attention chef-d’œuvre.
A la première écoute du tout dernier opus de depeche mode, c’est encore une fois le sentiment de déception et la désillusion qui m’étreint depuis playing the angel. En effet, au niveau arrangements, le groupe semble régulièrement se complaire dans des sons métalliques, industriels, stridents, saturés et pour tout dire désagréables à entendre quand on pense à la pureté des sons synthétiques qui ont accompagné et construits leur marque de fabrique et leur carrière précédemment. Inversement, à chaque nouvel album, on les sent de plus en plus fatigués car l’absence de morceaux rythmiquement entrainant se généralise.
Il faut croire que le groupe pense y gagner là ses gallons d’authenticité…
Et puis, à quoi bon avoir un materiel hifi de plus en plus performant, des enregistrements digitaux pour entendre la merveilleuse voix de David Gahan comme tout droit sortie d’un interphone ? Ca suffit !
Personnellement, je ne pense pas que le fait d’avoir des morceaux entrainant, voire dansant, soit un obstacle à véhiculer des messages forts. Au contraire, les chants révolutionnaires sont souvent hauts en couleur en rythmique et en mélodie car de cette association du corps et de l’esprit, on obtient des chansons qui restent et qu’on fredonne. Pouvez vous me dire aujourd’hui de combien de morceaux sur tout un album, vous vous souvenez depuis Exciter à part le seul extrait qui est en tête de gondole et auquel les fans se raccrochent le plus souvent parce qu’il est accessible bien avant la sortie de l’album à la manière d’un teaser ? Pas des masses pour un groupe qui prétendait composer for the masses 🙂
Sans remonter jusqu’à l’iconique violator, il y a encore beaucoup de mélodies accrocheuses dans Ultra et Exciter avec un son qui flatte les oreilles, alors qu’il les agresse aujourd’hui.
Bien sûr que je vais réécouter cet album et bien sûr que je vais finir par l’apprécier mais ce sera moins dû à sa qualité qu’à mon affection pour ce groupe et à l’auto-persuasion, comme on veut toujours pardonner à quelqu’un qu’on aime en se disant : « c’est pas si grave… » et en espérant qu’il s’améliore la prochaine fois. La prochaine fois…
« Depeche Mode opère un virage à 180° et retourne à ses racines »
Rien que cette première phrase de l’article discrédite tout son contenu… Que sait donc son auteur à propos de Depeche Mode pour faire une telle assertion ? « Spirit » est probablement – avec « Songs of Faith and Devotion » – l’album ayant le moins de rapport avec lesdites « racines ». Il en est loin. Très loin même.
Et c’est bien là le problème avec DM.
Je possède environ 100 vinyles du groupe, les albums, bien sûr, mais aussi une flopée de maxis. Et la meilleure période reste sans conteste la première décennie, de « Speak & Spell » à « Violator ». Depuis, on a juste l’impression d’avoir affaire à un autre groupe, et rares sont les morceaux vraiment marquants. Les albums demeurent bons dans l’ensemble, certes, mais très en-dessous de ce à quoi nous avait habitués le groupe auparavant.
Jusque là, ça restait encore acceptable, mais avec « Spirit », la limite de l’acceptable a pour moi été franchie.
J’ai écouté ce 14ème album studio et il m’a prodigieusement gonflé dans l’ensemble. Trop de travail sur les sonorités « tendance » au détriment d’un vrai travail de composition. Où sont passées les mélodies imparables d’antan ? Où sont passés les arrangements de génie qui conféraient au groupe ce son et cette ambiance si fabuleux ? Partis avec Alan Wilder ??..
C’est Depeche Mode qui m’a donné envie de faire de la musique quand j’étais adolescent, et j’en ai fait beaucoup par la suite, après avoir tanné mes parents pour qu’ils m’achètent mon premier synthé. DM a changé ma vie à jamais. Il a toujours été et reste encore aujourd’hui un des mes groupes préférés, je l’adore et l’écoute depuis plus de 30 ans et je l’écouterai jusqu’à la fin de mes jours. Mais cela se fera sans « Spirit » car je ne l’achèterai pas, tout comme j’avais boycotté « Songs of Faith and Devotion » en 1993, ces deux albums étant pour moi les pires productions de ce groupe autrefois si magistral.
Bref, je suis terriblement déçu et profondément dégoûté, car cette fois fois j’ai l’impression que c’est définitivement mort, que Depeche Mode est parti bien trop loin et qu’il ne reviendra plus jamais.
Je persiste et signe. Les racines de Depeche Mode, le truc originel, ce ne sont pas les mélodies sympathiques de « Speak & Spell » qui sont l’oeuvre de Vince Clarke et que l’on retrouvera dans la musique d’Erasure et de Yazoo par la suite. Je faisais référence aux balbutiements d’un jeune Martin L. Gore devenu seul maître à bord à partir de « A Broken Frame » et surtout « Construction Time Again », à des titres comme « Monument », « The Landscape Is Changing », « Two Minutes Warning » et même les singles « Leave In Silence » ou « Love,In Iself » qui ne se caractérisent pas par ces mélodies « imparables » qui prendront réellement leur essor avec l’album « Some Great Rewards ». Certes il y a « Everything Counts », « See You » ou « The Meaning Of Love » qui annoncent déjà la chose mais pour ma part, je trouve cela secondaire par rapport à l’ambition principale qu’avait Martin Gore à l’époque… En effet, l’essence de Depeche Mode à la base, c’est les messages et les symboles que tente de transmettre ce groupe issu d’une petite ville ouvrière (Basildon) frappée de plein fouet par la politique du gouvernement Thatcherien de l’époque. Le temps va passer, les moeurs et l’époque vont évoluer et le propos du groupe avec, à l’image d’un Martin Gore plus préoccupé par les histoires de sexe et de religion que par la politique… Du coup, ce retour en force de la politique dans les sujets abordés par le groupe me semble correspondre à un retour aux sources, tant musical que philosophique, l’aspect musical correspondant à un certain dépouillement par rapport à des productions plus récentes. Voilà.
À titre personnel, j’avais adoré « Songs Of Faith And Devotion » dès sa sortie, prolongement logique de « Violator » à mon sens, certains de mes titres favoris y figurent, le génial « I Feel You », « Higher Love » qui me scotche toujours autant, « In Your Room », « Condemnation », la liste est longue… Tout comme j’avais adoré l’évolution de U2 avec « Achtung Baby » à la même époque. Mais je me souviens parfaitement des réactions des « puristes » de ces deux groupes, les mêmes qui avaient craché sur Dylan lorsqu’il avait électrifié sa musique… La musique d’un artiste lui appartient, il en fait ce qu’il veut, qui sommes-nous pour le juger, voire « boycotter » comme vous dites? Ça s’appelle du conservatisme et ça poque un peu du derche si vous me permettez cette expression un peu triviale. Notre modeste rôle de plumitifs consiste à tenter de partager une impression, un goût, que chacun a bien sûr le droit de partager ou pas.
En espérant vous avoir rassuré sur ce que je sais du groupe lorsque j’asserts et ainsi avoir retrouvé un peu de crédit à vos yeux, je vous souhaite, ami lecteur, une bonne journée !
Martin adorait Bowie parce qu’il n’avait de cesse de se renouveler, quitte à explorer de nouveaux horizons, à prendre des risques, à interroger ses fans. DM c’est un peu la même chose : dans leur première décennie, ils sortaient un album par an, en enchaînant les tubes, mais au final il en ressortait toujours la même sonorité.
Depuis Black Celebration véritablement, on peut dire que chaque album possède sa propre identité, se différencie des précédents.
C’est encore le cas pour Spirit, dans lequel le groupe semble s’être définitivement affranchi de cette idée de vouloir absolument sortir un tube (même si Going Backwards / Where’s the Revolution / So Much Love ont un certain potentiel). Un album qui peut sembler plus modeste, presque trop simple, où l’absence de mélodie pourrait être frustrante à juste titre pour les fans de la première heure. Quoi que pour moi, ça serait plutôt une bonne chose, à condition que l’ensemble soit cohérent et l’ambiance réussie. Non seulement c’est le cas, mais la véritable alchimie, c’est d’avoir su rester DM, et toujours dans l’air du temps après 37 ans de vie commune.
Cher Scred,
Non, vous ne m’avez pas rassuré, et encore moins convaincu.
D’une part, parce que je n’ai pas besoin de l’être, et d’une autre, parce que j’en sais probablement au moins autant que vous sur Depeche Mode… Merci.
Vous n’écoutez pas la musique, vous dissertez sur les textes comme s’il s’agissait de littérature ou de poésie.
Cela en dit long sur votre façon d’écouter les disques.
Vous intellectualisez une chose qui avant tout se ressent avec les tripes. Vous faites une exégèse de Depeche Mode, vous dissertez sur leur parcours et la teneur de leur propos mais vous n’entendez pas leur musique.
Et pourtant, c’est bien de musique dont il s’agit avant tout.
Les textes sont purement secondaires, pour ne pas dire accessoires, et Dave Gahan pourrait bien chanter sa liste de courses que je m’en foutrais pas mal à partir du moment où il le ferait avec une bonne mélodie.
D’ailleurs, qui analyse vraiment les paroles, hormis ceux qui maîtrisent parfaitement l’anglais ? Et ici, en France, tout le monde n’a pas votre connaissance de la langue de Shakespeare, moi le premier !
Vous avez un discours élitiste, vous privilégiez le sens et la profondeur des textes alors que la musique c’est avant tout une question de mélodies, de vibrations et d’harmonies ; c’est quelque chose qui se vit dans sa forme la plus élémentaire. Vous êtes tellement obnubilé par le propos que vous en oubliez l’essentiel, et si Martin Gore avait écrit « Where’s the Revolution » sur la musique du petit bonhomme en mousse, vous auriez trouvé ça génial.
La musique, ce sont des sons avant des mots.
Et d’un point de vue purement musical, Depeche Mode est très loin de ses racines, que vous le vouliez ou non.
Et c’est bien ce que lui reprochent un grand nombre de fans de la première décennie. Et il n’y a rien de « conservateur » à préférer l’ancien au nouveau quand le nouveau est nettement inférieur en tout point.
« Spirit », c’est 4 morceaux intéressants sur 12. Les 8 autres sont purement et simplement à jeter. Car même si les textes sont super biens à vous lire, les mélodies et les arrangements sont juste pitoyables et d’une indigence qui ne fait vraiment pas honneur au groupe. C’est peu inspiré, soporifique à souhait, et même après plusieurs écoutes on n’en retient absolument rien.
Ah, et pour répondre à votre question « qui sommes-nous pour le juger, voire [le] boycotter ? », eh bien je vous rétorquerai que je suis un gars qui a acheté plus de 100 (cent) disques du groupe, avec ses propres deniers, et que j’ai tout de même le droit de dire ce que je pense sur ce que j’achète, surtout au prix où sont les skeuds aujourd’hui !!.. Mais en tant que « chroniqueur musical », peut-être recevez-vous gracieusement les disques que vous critiquez, ce qui expliquerait une plus grande tolérance de votre part vis à vis de ces derniers ?..
« Les textes sont purement secondaires, pour ne pas dire accessoires », vous êtes sérieux là? Ce n’est pas parce qu’on a mal travaillé à l’école et qu’on ne parle pas anglais que les paroles d’une chanson ne servent à rien !!! Du coup, « Imagine » c’est une jolie mélodie au piano et rien de plus? Ce n’est pas parce qu’on parle anglais et qu’on est touché par des textes qu’on est élitiste, ça veut juste dire qu’on est un peu cultivé ! Dave Gahan ironisait dès 1985 sur le fait que DM pourrait sortir, je cite, « un bruit strident de trois minutes » et qu’il y aurait sûrement des fans pour l’acheter, faut croire qu’il avait raison !
Entre parenthèses, c’est ce genre d’attitude anti-intellectualisme qui a fait le succès de Trump aux USA, plus de tripes, moins de cerveau, super…
À côté de cela, je voudrais préciser qu’au Daily Mars, on ne reçoit pas « gracieusement » les disques, jamais. Pas plus qu’on est invités aux concerts. Si « Spirit » passe en boucle chez moi, c’est parce que j’adore cet album, pas parce qu’on me paye pour le dire. Encore une petite couche de parano anti-journaliste bien dans l’air du temps…
PS: je vous conseille d’envoyer immédiatement un courrier au jury du prix Nobel de littérature qui a honteusement attribué ledit prix à Bob Dylan en leur expliquant que les textes des chansons, on s’en balance ! On se demande en effet à quoi ils pensaient… Si ça se trouve, on parle anglais en Suède remarquez…