#critique Gimme Danger. Ou presque.

#critique Gimme Danger. Ou presque.

Note de l'auteur

Gimme Danger, donne-moi du danger, est un film documentaire sur Iggy and the Stooges, sorti le 1er février 2017 et réalisé par Jim Jarmusch. Avec un tel titre, nous étions en droit de nous attendre à un docu. saignant, ultime témoignage du son rageur et furieux d’un groupe devenu totalement mythique. Nous étions en droit de sentir à nouveau, malgré l’âge avancé de tous ses pionniers, le sentiment d’urgence et de spontanéité qui habite le rock. Or, le problème est que l’expérience cinématographique reste dans l’ensemble relativement inoffensive, quand bien-même le film relate la carrière d’un groupe dont les concerts étaient parfois mouvementés, sinon dangereux.

191508Le film de Jarmusch est mignon. C’est atroce. Un film sur les Stooges mignon. Images d’archives, photos de famille, interviews de vieux potes et un Iggy Pop radotant. Il radote ses souvenirs de gosse heureux avec des parents aimants, il radote les moments passés à jouer de la batterie dans son mobile home. Il radote sur l’importance d’être libre et toutes ces conneries de vieux rockeur. On en viendrait presque à parfois regretter le fait que le rock ne soit pas, une bonne fois pour toute, mort et enterré d’autant que d’ici peu de temps, le film de Jarmusch sera probablement disponible sur Netflix, à côté d’autres documentaires sur l’art d’embaumer les vieilles carnes. Des tas de gamins se diront alors que ce n’est pas si mal de se foutre de l’héro plein les veines et de montrer sa bite sur scène.

Au reste, chacun fait ce qu’il veut de sa bite. Et puis Iggy aura eu une vie sympa après tout : une jeunesse passée à faire, avec des potes musiciens tous plus mauvais les uns que les autres, des concerts désastreux et à enregistrer au moins deux albums absolument mythiques – Fun house et Raw Power. Parce que bon, il faut bien l’avouer, ces boutonneux, une fois réunis, produisaient un son miraculeusement puissant, voire le son le plus violent de l’histoire du rock. À la rigueur, le reste n’est que détail : les histoires avec les MC5, les plans baise des uns et des autres, la mort du bassiste-devenu-déchet des Stooges, Dave Alexander, ne faisant que nourrir un peu plus cette invraisemblable et pourtant réelle soif de culte qui habite l’espèce humaine.

L’Art est mort à la Renaissance, à partir du moment où les peintres se sont mis à signer leurs toiles. Et face à cet insignifiant objet filmique qu’est Gimme Danger, la question du rapport que nous entretenons avec les artistes se fait encore plus pressante, Louis-Ferdinand Céline étant, en la matière, le paradigme ultime de l’homme dont les choix de vie auront irrémédiablement entaché l’œuvre. Que ces types soient des salauds, des déchets, des pédophiles ou de parfaits chrétiens n’a, en vérité, aucune espèce d’importance. Les œuvres vivent par elles-mêmes, livrées à notre jugement et les hypothétiques exactions commises par leurs auteurs seront jugées par qui de droit. L’artiste est un type en général insignifiant, laissons-le mener sa vie de type insignifiant.

Mais non, des gens comme Jim Jarmusch continuent, pensant bien faire, à balancer tous azimuts des biopics touchants, navrants, drôles et finalement inutiles. Gimme Danger : si l’on peut déceler un quelconque danger dans ce documentaire, c’est bien celui de nuire à l’œuvre en laissant s’exprimer l’artiste. D’autant que, s’agissant d’évoquer un quelconque danger à mener une vie rock’n’roll, le documentaire de Jarmusch tombe complètement à plat. Le danger dans le rock n’existe plus que dans les souvenirs de vieux débris à l’odeur de naphtaline. Se faire joyeusement bousiller les dents de devant par une bande de soûlards venus perturber un concert de One direction, ou se faire renverser par une poussette aux Vieilles charrues, c’est ça le danger dans le rock aujourd’hui. Au mieux sommes-nous autorisés, voire encouragés, dans un monde où l’innocuité est reine, à entretenir des cultes, à aimer sans réelle fièvre, et finalement à dire tout haut ce que tout le monde pense tout haut. “Iggy c’est un mec COOL ! Keith Richards c’est le grand-père que j’aurais aimé avoir, mec !”. Quelle dangereuse révolution !

En vérité, les questions qui fâchent, on préfère les balayer sous le tapis. Ce beau tapis sur lequel se pavane l’iguane, toujours à moitié à poil, les dents plus blanches que jamais et tout fier d’être devenu une icone, une sorte de d’objet plus vrai que la réalité, un simulacre de rockeur.XVM9c72fbac-4cba-11e5-806e-3d05a89914d1
Pourtant Iggy le sent toujours ce danger inhérent à l’acte de vivre. Preuve en est : il s’est fortement inspiré des écrits de Michel Houellebecq pour la sortie de son album Préliminaires en 2009. Y a-t-il en effet plus urgent que la lecture de notre écrivain contemporain le plus important et corrosif ? Comment survivre après que notre Houellebecq nous a ouvert les yeux sur l’atrocité et la quasi-impossibilité de s’épanouir dans un monde ultra libéral ? Monde dans lequel l’humain est devenu un nihiliste à la petite semaine, pour employer une expression que le philosophe Gianni Vattimo n’aurait pas reniée.

Une rencontre avec la rage et le désespoir dont témoigne la musique des Stooges est donc encore possible, Monsieur Jarmusch. Mais aucunement dans les images suintantes d’amour pour Jim Osterberg, alias Iggy Pop, en vérité le seul sujet de ce Gimme Danger. Laissez donc ces vieilles momies se complaire dans leur passé et balancez simplement les watts, le riff intemporel de Ron Asheton sur TV Eye – plus violent et dangereux que n’importe quel biopic – marquant définitivement la frontière entre l’action d’évoquer un passé par essence inexistant et l’action de faire éprouver un présent plus insupportablement violent que jamais.

 

Gimme Danger
Musique / Documentaire
Écrit et réalisé par Jim Jarmusch
Sortie le 1er février

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