Critique : Happy ! (saison 1, Netflix)

Critique : Happy ! (saison 1, Netflix)

Note de l'auteur

La période de Noël. Un ex-flic reconverti en tueur à gages qui se consume dans l’alcool et le cynisme. Une fillette enlevée. Des mafieux. Et un ami imaginaire en forme de licorne pelucheuse bleue prénommé Happy.
Oui, vous avez bien lu cette dernière phrase. Voilà donc le « concept » de Happy ! (le point d’exclamation est important) qui joue de cette opposition des genres avec une aisance déconcertante.

(Critique sans spoilers)

Les séries « à concept » sont à la mode mais partir d’une idée originale et séduisante n’est pas toujours le gage d’une œuvre réussie… La force de Happy ! est de ne jamais perdre de vue son objectif et de mettre toutes ses audaces au service de la narration et de son thème, l’enfance. Mais attention, si l’enfance est la matrice du récit, Happy ! n’est pas du tout une série pour les enfants. C’est une série sale, trash, mettant en scène, non sans un certain sens de l’esthétisme, une violence d’un type rarement vu à la télévision et qu’on retrouve plus souvent dans les films de Tarantino. Happy ! est la série de l’alliance des contraires : la noirceur la plus abjecte dans un décor de Noël, une sorte de McNulty (en encore plus alcoolique et débauché) allié à une licorne (là, désolée, je n’ai pas de comparaison…), du glauque au service d’une réflexion intelligente sur l’enfance, du cartoonesque qui n’empêche pas l’empathie.

 

La série est adaptée d’un comics

Une originalité entièrement au service de l’histoire

Contrairement à d’autres, Happy ! ne se cache pas derrière son originalité pour excuser toutes les paresses d’écriture. À la place, elle impose sa singularité avec une cohérence qui impressionne : le spectateur est dans la surprise permanente, parfois jusqu’à la sidération lors des premiers épisodes, tant absolument tout semble possible. Les yeux écarquillés, il se surprend à marmonner pour lui-même et en détachant chaque mot comme pour mieux en marteler le sens : « Mais. Qu’est-ce. Que. C’est. Que. Ça… ? ». Alors qu’on est sans cesse surpris par la série, chaque scène, chaque fil narratif apparaît finalement comme nécessaire et naturel, dans une construction très maîtrisée. La saison ne se détourne jamais de son double but, narratif : résoudre l’enlèvement de Hailey, et thématique : interroger la place de l’enfance dans nos vies et dans la société.

Christopher Meloni (co-producteur) porte la série avec une énergie dévorante et débordante qu’on ne lui connaissait pas, même dans son rôle de Chris Keller (Oz). Il est monstrueux, totalement débridé, toujours à la limite du grotesque mais ne basculant jamais dans le cabotinage vide d’un Neil Patrick Harris dans la saison 2 des Orphelins Baudelaire. Meloni incarne donc Nick Sax (comme Saint Nicolas, le protecteur des enfants, le 1×01 s’intitule Saint Nick…) qui apparaît d’abord bien plus proche du Père Fouettard puisque son métier l’amène d’emblée à tuer des frères mafieux présentés comme des gamins. À ses côtés, Happy, la licorne, s’exprime par la voix de Patton Oswalt qui a l’intelligence de l’interpréter au premier degré et sur un ton toujours en équilibre réussi entre gentillesse sincère et vrai désespoir moqueur. Deux femmes mènent l’enquête en parallèle : l’ancienne partenaire de Nick, Meredith surnommée évidemment Merry (…Christmas !) et Amanda, la mère de Hailey qui a été enlevée.

 

Une série de Noël donc une série sur l’enfance… mais avec violence

La virtuosité de la série réside dans son habileté à mêler ultra-violence et réflexion sur l’enfance, et d’abord sur les enfants maltraités : celui que Nick n’a pas pu sauver et qui a scellé sa descente aux enfers, ceux que les adultes s’approprient comme des jouets de leurs désirs pervers, ceux que l’on veut amuser mais pas éduquer, ceux qu’on refuse de voir comme des individus à part entière et qu’on veut domestiquer avec cruauté, ceux qu’on enferme dans des greniers, dans des boîtes, derrière des vitrines, au cœur de décors de cinéma… Ces adultes qui pervertissent les enfants se conduisent eux-mêmes comme des enfants, livrés à leurs pulsions : avides de sucreries et de cadeaux (Santa et ses « fantômes » forcés de rester dans l’enfance), narcissiques jusqu’à la nausée (la mère de Mickey), enchaînant les caprices dignes d’un tout-petit (Blue), privés de sexualisation mais pas de sexualité (forcément perverse donc, dans le cas de Smoothie). L’exemple du petit garçon de Blue, déjà sadique parce que perverti par la violence de son père, rappelle que si tous les enfants maltraités ne deviennent pas bourreaux, les bourreaux ont presque toujours été des enfants maltraités.

Face à ces « méchants », qui portent d’ailleurs tous des noms infantilisants (Sonny Shine, Smoothie, Blue, Santa, Nutcracker…), se dressent quelques adultes « raisonnables » et en premier lieu Amanda, la mère de Hailey. Seul personnage réellement sain de la série, elle offre à sa fille une éducation aimante et équilibrée. Cela est notamment symbolisé par la maison et la chambre de l’enfant, dont la normalité détonne avec la saleté du reste de la série : « c’est son sanctuaire, nous dit Happy, rien de mal ne peut arriver ici ». C’est parce qu’elle a bénéficié de cette éducation positive que Hailey est montrée comme différente des autres enfants de la série qui ne semblent pas avoir eu cette chance : elle est une « good girl » lui dit-on, mais elle est aussi capable d’insolence et de révolte pour se défendre, elle et les autres. Si la mère de Hailey est présentée d’emblée comme équilibrée, Nick et Merry doivent quant à eux devenir adultes au fil de la saison : lui en acceptant de prendre ses responsabilités (je n’en dirai pas plus) et elle en cessant d’être juste la fille de sa mère (et de son père) pour enfin grandir.

 

Pour conclure…

Si la violence ne vous effraie pas et que vous n’êtes pas rebutés par la prémisse de la série, il est assuré que vous apprécierez la rigueur de construction qui se cache derrière cette apparence débridée et parfois grotesque. Vous n’êtes pourtant pas obligés de saisir toutes ces subtilités pour apprécier Happy !, et c’est tant mieux. C’est là que réside la force des œuvres véritablement réussies : elles mettent leurs effets au service de ce qu’elles ont à dire avec une telle aisance et un tel talent, que fond et forme se renforcent l’un l’autre et finissent par former une harmonie saisissante. Happy ! est une perle rare et pas seulement parce qu’elle met en scène une mini licorne bleue qui parle.

HAPPY! (Syfy)
Saison 1 en 8 épisodes disponibles sur Netflix.
Série créée par Grant Morrison et Darick Robertson.
Avec Christopher Meloni, Ritchie Coster, Lili Mirojnick, Medina Senghore, Patrick Fischler, Patton Oswalt et Joseph D. Reitman.

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