
CRITIQUE : Hitchcock de Sacha Gervasi (par STEPHANE BOULAN)
Attention, please ! Le texte qui suit n’est pas de moi : son auteur est Stéphane Boulan, journaliste et co-auteur de la pièce Hitch, qu’il a créé en 2011 au Lucernaire avec Alain Riou. Collaborateur ponctuel à notre webmag’ bien aimé, Stéphane avait déjà signé ici-même un précédent article sur Les Revenants. Alors que le Hitchcock de Sacha Gervasi sortira le 6 février, notre camarade nous a aimablement proposé de partager ici son avis critique sur le film, très diversement apprécié par la critique. Stéphane s’exprime à l’aune de sa propre expérience de co-auteur de Hitch : qu’on partage ou pas son opinion, son regard a donc ceci d’intéressant qu’il vient d’un autre créateur d’une oeuvre artistique parlant d’Hitchcock. Difficile donc pour lui d’écrire sa critique sans tracer quelques comparaisons avec sa propre pièce et c’est bien logique. De notre côté, nous vous proposerons mercredi une interview de Sacha Gervasi ainsi que ma propre critique du film.
John Plissken
LA CRITIQUE DE STEPHANE BOULAN :
Le 3 décembre dernier, j’ai assisté, dans une salle quasi pleine – comme quoi le film est attendu, au moins par la critique – à une projection presse de Hitchcock, qui sortira le 6 février. Le public a eu l’air plutôt conquis et c’est vrai qu’Hitchcock devrait plaire aux cinéphiles. Qui d’entre nous n’aurait pas rêvé d’assister au tournage de la scène de la douche de Psychose ? Ce Hitchcock signé Sacha Gervasi recèle par ailleurs de vraies trouvailles de mise en scène, qu’il s’agisse de recréer le fait divers à l’origine du scénario de Psychose ou de montrer Hitchcock face caméra se racontant comme aux meilleures heures de sa mythique anthologie télé Alfred Hitchcock Presents. Le pari de la forme était l’un des challenges de Sacha Gervasi et c’est bien le moins quand on tourne un biopic sur le « plus grand inventeur de formes depuis Murnau », dixit François Truffaut.
Comme dans Hitch, la pièce que nous avons écrite, Alain Riou et votre serviteur, si vous m’autorisez la comparaison, le plaisir du spectateur tient ici pour beaucoup au sentiment de partager l’intimité de ce grand homme qu’on admire. On entre littéralement dans la tête du maître du suspense, on explore ses fantasmes, ses frustrations, ses peurs. Il y a d’ailleurs plusieurs répliques qui sont vraiment de lui ou en tout cas qu’on lui prête. Cette idée en particulier qu’il n’aimait pas être « quitté » par ses actrices, procès qu’il aurait fait à Vera Miles et Grace Kelly qui lui avaient refusé des rôles.
J’émettrai quand même quelques réserves sur le film. D’abord, je ne pense pas que ce qui a déclenché chez Hitchcock l’envie d’adapter le roman Psycho était le fait divers lui-même (l’affaire Ed Gein…) ni la personnalité de Norman Bates, comme le laisse penser le scénario. Hitchcock s’intéressait assez peu à la psychologie des personnages : même Pas de printemps pour Marnie, son film pourtant le plus psychanalytique, est à ce titre assez décevant, ce qu’il admettait lui-même. Non, Hitch ne pensait que par et pour l’image. Tout laisse penser qu’il n’a tourné Psychose que pour la scène de la douche, pour le défi représenté par le fait de filmer un meurtre sans montrer ni plaie, ni corps nu, censure oblige.
Peut-être que la scène de l’assassinat du détective et sa chute dans l’escalier, poignardé par la « mère » de Bates, l’intéressait aussi. Mais quoiqu’il en soit, la seule chose qui motivait le maître du suspense (qui, rappelons-le, avait une formation d’ingénieur et avait débuté au cinéma par le dessin), c’était de susciter un choc visuel (quitte à le doubler d’un effet sonore), porter à son paroxysme le pouvoir suggestif de l’image, utiliser au fond tous les attributs de ce qui fait la force et la spécificité du cinéma.
La seconde objection vient du portrait que Gervasi fait de Hitchcock. C’est très anglo-saxon cette manière d’explorer la face la plus sombre et la plus perverse d’un personnage. La biographie de Patrick McGilligan, parue l’an dernier en France, charge bien la barque sur ce plan-là (Alfred Hitchcock : une vie d’ombres et de lumière, Institut Lumière/Actes Sud). L’auteur le montre en gros bébé frustré, boulimique plus que gourmet, salace plus souvent que gentleman. McGilligan évoque tant le harcèlement sexuel auquel se serait livré le cinéaste à l’égard de Tippi Heddren sur le tournage des Oiseaux (c’est d’ailleurs le thème de The Girl, téléfilm diffusé fin 2012 sur HBO avec Toby Jones dans le rôle d’Hitchcock et Sienna Miller dans celui de la blonde) que les infidélités supposées d’Alma Reville, l’épouse d’Alfred.
Si j’en crois le dossier de presse du film de Gervasi, avec son scénariste John J. McLaughlin, le réalisateur est parti du livre de Stephen Rebello, Alfred Hitchcock and the Making of Psycho, mais il s’est aussi inspiré de ce qui s’était dit et écrit sur la relation conjugale des Hitchcock, autrement dit forcément de la bio de McGilligan. Le public anglais est friand de ce genre de révélations et les stars anglo-saxonnes poussent elles-mêmes les scénaristes à tirer leur personnage vers plus de complexité et donc souvent de vice. On se demande par exemple dans quelle mesure il n’a pas fallu en rajouter à propos d’Alma et de sa supposée liaison avec un scénariste, pour que l’immense Helen Mirren accepte le rôle (je confirme, Mirren a exigé que son rôle ne se cantonne pas à celui de femme effacée souvent évoqué au sujet d’Alma – NDPLissken).
Ma dernière réserve vient précisément des acteurs qui incarnent les époux Hitchcock. Je l’avoue, c’est peut-être parce que dans mon esprit Joe Sheridan et Patty Hannock, les deux comédiens qui ont créé les rôles pour nous au théâtre, forment le seul couple légitime et que je me suis demandé tout le temps de la projection qui étaient ces usurpateurs ! Blague à part, je trouve qu’Anthony Hopkins manque de charme. Est-ce le poids de ses rôles précédents, mais il ne parvient pas à rendre son Hitchcock attachant. Cela tient en partie au fait, nous l’avons dit, que les scénaristes se sont intéressés surtout au caractère fétichiste et complexé du cinéaste, ce qui nourrit formidablement le scénario mais nuit au charisme du héros. Ce qu’on gagne en monstruosité, on le perd en charme. Et, à mon avis, Hopkins lui-même manque naturellement d’onctuosité, de moelleux.
A aucun moment, il ne nous fait ressentir de l’empathie ou de la sympathie pour ce génie-là. Même quand le personnage fait de l’humour. Le public de Hitch’, tout comme la critique, a au contraire été conquis par la bonhomie de notre comédien écossais, Joe Sheridan. Le vrai Hitchcock était-il à ce point dénué de savoir vivre, de gentillesse et d’autodérision ? Pour avoir parlé avec des gens qui l’avaient côtoyé, j’en doute. Je pense en particulier à cette histoire qu’un photographe français m’avait raconté : quoique jeune et débutant (ou justement parce qu’il l’était), il avait proposé à Hitchcock qui était à Paris pour la promo d’un film (L’Etau ou Frenzy ?) d’aller faire une photo au cimetière Montmartre plutôt que dans l’éternelle suite du Plaza Athénée, ce que le pape du thriller avait accepté de bonne grâce, désorganisant, j’imagine avec bonheur, le planning des publicistes.
Je veux garder cette image de Hitch, qui est aussi celle de la série Alfred Hitchcock Presents et de toutes ses apparitions à la télévision. Quant à Helen Mirren, c’est évidemment une actrice merveilleuse, mais il est étonnant de voir que, pas plus que Patty Hannock, notre Alma Reville au théâtre, elle ressemble à la vraie Alma. Elle ressemble en fait à… Patty, à moins que ce ne soit le contraire. Peu importe, c’est injuste mais personne ne se souvient du physique de Mme Hitchcock. La critique américaine a objecté, je crois, que Mirren, était trop sexy. C’est ce que je reproche aussi affectueusement à Patty, d’être trop jolie pour que Hitchcock aille voir ailleurs, fut-ce en rêve.
Stéphane Boulan
Post scriptum : puisque le film et la pièce se complètent, et pour que vous puissiez juger de l’interprétation de Joe Sheridan, Patty Hannock et Mathieu Bisson (dans le rôle de François Truffaut), je profite de ce papier, merci Philippe – pardon, John ! – pour vous annoncer que Hitch (déjà 172 représentations entre le Lucernaire à Paris, la province, la Suisse, Hongkong et Avignon) repart en tournée en province et région parisienne de septembre à novembre 2013 et que nous avons de bons espoirs de revenir prochainement dans une grande salle de la capitale. Une captation du spectacle a en outre été réalisée par le metteur en scène de la pièce et cinéaste, Sébastien Grall. Elle devrait être diffusée d’ici l’été par OCS. Le générique et deux extraits sont en ligne.
Fin 2013 devrait aussi sortir le film d’Olivier Dahan sur Grace Kelly (Grace of Monaco), avec Nicole Kidman, où l’on croisera la silhouette d’un certain Hitchcock Alfred ressuscité sous les traits, cette fois, de Roger Ashton-Griffiths.
La bande-annonce en VOST de Hitchcock, de Sacha Gervasi
Ci-dessous : deux photos tirées de la pièce Hitch’, de Stéphane Boulan et Alain Riou. Avec Joe Sheridan (Hitchcock) et Patty Hannock (Alma)
Ayant vu le film (pas la pièce désolé) vendredi je dois marquer ici mon accord avec Stéphane Boulan.
J’irais même plus loin : Ce bio-pic est globalement assez mauvais.
La principale gêne vient de l’absence de point de vue. En effet, on ouvre avec Ed Gain et tout au long du film sa présence ponctue la psyché de Hitch, mais cet aspect reste superficiel.
On nous parle de la vie intime d’Alma mais sans la mettre en perspective réellement avec Hitch, et, pardon pour Helen Mirren qui est certes excellente dans le role, on se fou complètement de la vie intime de Mme Hitch si celle-ci ne mets pas en perspective l’artiste.
Enfin le rapport avec Psycho, au coeur du scénar, reste assez flou.
Bref, a part le fan service sympathique, je ne sais toujours pas de quoi ce Hitchcock parle au juste…