
On a lu…Jessica Jones – Alias (T.1) de Brian M. Bendis et Michael Gaydos
En adaptant pour la télévision les aventures de Jessica Jones, Marvel met sur le devant de la scène un personnage remarquable et bien à part dans un monde peuplé de super-héros. L’occasion pour nous de revenir sur la bande dessinée à l’origine de tout.
Jessica Jones était une super-héroïne comme il en existe des centaines. Sous le nom de Jewel, elle survolait les rues de New York et protégeait la veuve et l’orphelin grâce à sa super-force acquise après que la voiture dans laquelle elle se trouvait avec sa famille eut percuté un camion rempli de produits chimiques. Adoptée par les Jones suite à la mort de ses parents et de son frère, elle développa ses pouvoirs peu après et commença sa carrière. Toutefois, tout cela fut de courte durée et se trouve être dorénavant de l’histoire ancienne, aujourd’hui Jessica Jones est détective privée. Au sein de l’agence Alias (dont elle est le seul membre), elle résout de banales affaires de maris ou femmes trompés. Jessica ne s’aime pas, a un fort penchant pour la bouteille et trouve dans le sexe un moyen d’oublier une existence qu’elle juge misérable. Bref, Jessica Jones est paumée. Un jour pourtant, en se trouvant liée à une affaire de meurtre impliquant Captain America, la jeune femme va entamer le chemin qui la mènera vers la reconstruction de sa vie.
Parler de Jessica Jones, c’est d’abord parler de la collection Max dont Alias (le nom original de la série) est le premier titre. Faisant partie de la stratégie de Joe Quesada pour reconquérir le marché du comic book, ce label lancé en 2001 permit de s’affranchir des contraintes liées au langage et à la nudité à la manière de DC avec la collection Vertigo. De fait Jessica Jones – Alias est une série au ton plus cru (le premier mot de la série est un puissant « fuck ») et offre une approche inédite chez un éditeur qui tentait à l’époque de se reconstruire après quelques pénibles années. Il est d’ailleurs intéressant de voir à quel point la problématique du personnage de Jessica Jones se fait l’écho de celle de son éditeur. En effet, au cours des 28 épisodes qui composent la série, la jeune femme va reprendre sa vie en main. Parallèlement à cela, le début de l’année 2001 correspond également au retour en force de Marvel sur le devant de la scène, notamment grâce à un homme : Brian Michael Bendis, l’un des deux papas de Jessica Jones.
Scénariste des X-Men depuis 2012 et en charge de la série Invincible Iron Man après Secret Wars, Brian Bendis fut considéré comme un très grand espoir à la fin des années 90 avec des titres comme Torso, Sam & Twitch ou Powers. Sens du dialogue rythmé, ambiance noire et approche moderne de la figure super-héroïque font partie des éléments qui font sa marque. Si on les retrouve dans sa superbe reprise de Daredevil (réédité à partir de février chez Panini Comics) et s’ils sont la base du travail de renouvellement des Avengers durant les années 2000, c’est véritablement Jessica Jones – Alias qui synthétise tout le talent d’un homme qui s’est depuis perdu en cours de route.
Même l’utilisation, souvent délicate et rarement réussie, de la rétro-continuité est ici finement gérée. En effet, bien que créée à la fin des années 90, Jessica Jones est présentée comme une héroïne ayant un passif au sein de la communauté super-héroïque et devient même un Vengeur. Cette réécriture de l’histoire¹ est cependant bien acceptée compte tenu du caractère intimiste de l’histoire et de la faible influence des vedettes dans l’histoire. Car Bendis et le dessinateur Michael Gaydos s’intéressent à Luke Cage (ami/confident/amant de Jessica) plus qu’à Tony Stark. De fait, si les grands super-héros sont évoqués dans Jessica Jones – Alias, ils le sont surtout de manière détournée et de façon à participer à l’évolution de Jessica Jones.
Actuellement en phase de conquête d’un nouveau lectorat à travers une plus grande diversité², notamment par la mise en avant de personnages féminins, Marvel semble toutefois oublier Jessica Jones. Pourtant quasi pionnière en la matière. Car si la firme de l’Araignée ne manque pas de figures passionnantes et formidables (Jean Grey, Tornade, Miss Hulk, Susan Richard alias la Femme Invisible, la Sorcière Rouge, Kitty Pride ou bien encore Elektra pour n’en citer que quelques unes), Jessica est d’une autre trempe. À mi-chemin entre le comic mainstream et l’underground, Jessica Jones – Alias va séduire autant les réfractaires des super-héros par son traitement et sa relative indépendance vis-à-vis de l’univers Marvel que les amateurs de ces icônes par une approche dénuée de glamour et d’épique. Captain America est lié à une affaire de mœurs, une jeune spider-girl sombre dans la drogue et les discussions entre Jessica et son amie Carol Danvers tourne beaucoup autour de leurs affaires de cœur et de cul.
On serait tenté de dire que Jessica Jones – Alias participe à ce mouvement de désacralisation, voire de diminution, de la figure du super-héros en les montrant plus humains qu’ils ne le sont mais à bien y regarder, la série est autrement plus intelligente que la flopée de titres idiots censés donner un coup de pieds dans le derrière à un genre qui ne les a pas attendus pour se remettre régulièrement en question. En mixant savamment des enquêtes classiques dans un univers super-héroïque bien connu de tous, Bendis et Gaydos ne se moquent jamais des super-héros mais leur confèrent une nouvelle profondeur. En mettant en valeur l’identité civile plus que le masque et la cape, c’est tout le personnage qui en ressort grandis. Il en est ainsi de Scott Lang/Ant-man qui se révèle être un homme maladroit mais gentil dans sa tentative de séduire Jessica à l’opposé d’un Luke Cage beaucoup plus sûr de lui en apparence. Il en est ainsi de Captain America, de Jessica Drew ou Carol Danvers. Il en est surtout ainsi de Jessica Jones.
Il faut le dire au moins une fois pour être clair. On aime Jessica Jones ! Elle fait partie de ces rares personnages à qui on souhaite tout le bien possible, qu’on aime retrouver au fil du temps et dont on veut connaître la suite de sa vie. Jeune femme paumée au début de la série, Jessica ne trouve qu’un peu de réconfort dans le sexe et la boisson. On sent chez elle une véritable détresse et un gros appel au secours seulement retenue par une fierté mal placée. Série policière et super-héroïque, Jessica Jones – Alias est surtout la chronique d’une femme et de la reprise en main de sa vie. Chaque enquête et aventure seront alors l’occasion d’une avancée et d’une victoire amorcée après sa rencontre avec un Captain America lui affirmant qu’elle est une personne unique et digne de confiance.
Si on est autant pris par les enquêtes sur la disparition d’une jeune fille ou bien le trafic autour d’une drogue censée donner des super-pouvoirs, le véritable moteur de la série reste le personnage de Jessica dont on apprend peu à peu le passé et ce qui l’a poussé à abandonner sa carrière. Avec un sens très habile du suspens, Brian Bendis va réussir à faire des origines de la jeune femme un joli hommage au début de Marvel en la reliant à un personnage symbolique de son univers. Plus fort encore, il va faire de la révélation du trauma de l’héroïne le véritable climax de la série et le point d’orgue d’une revanche sur la vie totalement bienvenue.
En adoptant une posture un brin infantile mais surtout totalement stupide, on pourrait très vite tomber dans une opposition grotesque entre l’immobilisme de deux grands éditeurs et la vivacité créative de quelques autres (Image Studio en tête). Bien qu’âgée d’une quinzaine d’année, Jessica Jones – Alias démontre une réalité indéniable. C’est aussi sur les chemins de traverses que Marvel et DC mettent régulièrement en place les belles choses qui s’y trouvent. C’est là aussi que les auteurs plantent les fondations des grosses structures de demain. Jessica Jones – Alias fait partie de ces séries « secondaires » qui ont posé les bases d’un renouveau et alors que le personnage est mis en avant via une série télévisée et que l’éditeur mise sur la diversité, il est plus que temps pour le lecteur de revenir à une des sources originelles.
Jessica Jones – Alias – Tome 1 (Marvel Select, Panini Comics, Marvel Comics) comprend les épisodes US d’Alias #1 à 15
Écrit par Brian Michael Bendis
Dessiné par Michael Gaydos
Prix : 18,00 €
¹ Qui à la base n’en était pas forcément une puisque, initialement Alias devait raconter les aventures de Jessica Drew la première Spider-Woman.
² Thor est maintenant une déesse, Captain America un américain à la peau noire, Miss Marvel une adolescente de confession musulmane, une Gwen Stacy d’un monde parallèle acquiert les pouvoirs de l’Araignée, une nouvelle équipe d’Avengers entièrement composée de femmes voit le jour et cela sans compter le lancement de nouvelles séries consacrées à d’anciennes figures telles que Carol Danvers/Captain Marvel, Jessica Drew/Spider-Womam ou Natacha Romanov/La veuve noire