
#Critique Jonas Fink (Ennemi du peuple et Le libraire de Prague) de Vittorio Giardino
Dis, c’était comment la vie en Tchécoslovaquie d’après-guerre ? C’était bien le grand idéal communiste à l’échelle humaine ? Toutes ces réponses et bien d’autres se trouvent dans ce Jonas Fink qui trouve là son éclatante conclusion. Elle n’est pas brillante pour l’étoile rouge. Mais ça, on commençait à s’en douter. Attention, chef-d’œuvre.
L’histoire : Jonas Fink, jeune Tchécoslovaque, va traverser trente ans d’histoire derrière le rideau de fer. Trente ans dans un système totalitaire qui confine à l’absurde. Trente ans à subir l’oppression d’un État qui se voulait libérateur. Trente ans où l’amour ne sera pas aux abonnés absents. Trente ans à ne pas faire exactement comme tout un chacun.
Mon avis : C’est un joli présent que nous fait la maison fondée par Donat Casterman en ce début d’année 2018. En sortant (enfin) l’intégrale de Jonas Fink, elle boucle la boucle. Ce roman BD connaît son épilogue vingt-quatre ans après son propos liminaire. Casterman réédite en effet les deux premiers tomes (L’Enfance de 1994 et L’Apprentissage de 1997) dans un premier livre Ennemi du peuple, suivi de la conclusion avec Le Libraire de Prague. Une œuvre complète qui recèle, comme souvent chez Giardino, beaucoup d’atouts.
Déjà, l’auteur italien n’est jamais moralisateur dans sa critique acerbe du monde soviétique. Il ne se pose pas en statut du commandeur qui sait tout et a tout vu. Ce qu’il nous rapporte des contraintes d’un système qui tend vers le totalitarisme, c’est la vie quotidienne. Ce ne sont pas les grandes idées mais les petites gens. C’est du témoignage, c’est de l’humain. Ce n’en est nécessairement que plus poignant.
En l’espèce, il s’agit de Jonas Fink, fils d’un grand psychiatre pragois interné pour activité contre-révolutionnaire. Un médecin qui refusait d’interner systématiquement ceux que le régime entendait écarter. Au fil des années, on rentre dans l’existence de ce jeune homme, amoureux des livres, qui est obligé de quitter l’école et de trouver un travail pour assurer une subsistance à sa maman. On voit tous les bâtons mis dans ses roues pour faire payer à sa famille ses origines bourgeoises. On grandit donc avec Jonas. On découvre comment le régime communiste l’oblige et oblige ses proches à entrer dans la surveillance mutuelle. Avant de connaître son premier émoi amoureux avec la fille d’un dignitaire russe.
On quitte Jonas adolescent pour le retrouver en 1968 à 31 ans pour le livre II. Ce qui est étonnant, c’est que cette longue ellipse n’altère en rien le récit. Elle le renforce même en partie puisqu’elle lui permet de ne pas s’égarer.
Mission totalement réussie pour cette suite et fin qui mérite que l’on s’y arrête et que l’on y revienne. Souvent. Giardino, c’est quand même souvent très bon.
En accompagnement : une bonne biographie consacrée à Václav Havel.
Si vous aimez : Max Fridman du même auteur.
Autour de la BD : Vittorio Giardino est un auteur qui économise ses productions. Ce qui en fait un gage de qualité. Jonas Fink, avant de devenir une BD, a été vu dans la revue (A suivre). On lui doit le superbe Max Fridman, qui a une filiation très proche avec Fink.
Extraits : « Quand tu liras ces lignes, je serai déjà en route pour Moscou. Mes parents m’emmènent loin de Prague pour m’éloigner de toi dans l’espoir que je t’oublie mais ils n’y arriveront pas. Si tu m’aimes vraiment, ils n’y arriveront pas. Je t’écrirai Jonas. Tu te rappelles ? ‟Attends-moi, je reviendrai”. Je t’aime » Tatjana.
Écrit et dessiné par Vittorio Giardino
Édité par Casterman