
#Critique Le Mal en soi : pas mal en soi
Thriller dans l’Italie d’aujourd’hui et celle du mitan des années 80, ce roman d’Antonio Lanzetta, intéressant et inabouti, laisse présager des lendemains ténébreux à ce nouvel auteur.
L’histoire : Castellaccio, sud de l’Italie. Damiano Valente, écrivain connu sous le pseudonyme du « Chacal », revient dans son village natal, appelé sur le lieu d’un crime dont les détails sont identiques au meurtre de son amie Claudia, retrouvée pendue aux branches d’un vieux saule 35 ans plus tôt, sa tête décapitée gisant entre les racines de l’arbre. Valente veut boucler la boucle, élucider ce mystère, démasquer celui qui fut surnommé « l’Homme du saule ». Et venger la mémoire de cette amie qu’il n’a pu sauver.
Mon avis : Oubliez le slogan « le Stephen King italien » : il n’y a guère de points communs entre Antonio Lanzetta et le Roi de l’horreur. L’Italien n’a pas (encore ?) le sens du rythme, la profondeur dans l’exploration d’une vie passée, le talent dans l’accélération et la maîtrise d’un récit à plusieurs voix qui ont fait le succès du King. Mais le slogan n’est rien : seul compte le livre.
Le Mal en soi n’est ni une pleine réussite ni un véritable échec. L’auteur y manifeste un goût assez sûr pour la noirceur, un certain talent dans la description et la métaphore. Les images, les situations évoquent d’autres œuvres. La première saison de True Detective, avec ce corps attaché près d’un arbre ; la mallette en cuir de Valente rappelle le « cahier de percepteur » utilisé par le détective Rust Cohle. On pense aussi à Dragon rouge et à son Will Graham physiquement détruit, qui a pu inspirer le Valente couturé du Mal en soi.
Lanzetta n’évite pas tout à fait le ridicule, ceci dit. Peut-être est-ce courant dans la littérature d’au-delà des Alpes, mais « le Chacal » comme nom de plume, cela reste assez grotesque et peu croyable. Un vrai cliché de polar qui entame la crédibilité de son protagoniste. Ceci étant, le physique de celui-ci, tout en cicatrices, coutures et douleurs, n’est pas exempt d’extrémisme. Malheureusement, au-delà de quelques regards appuyés sur le visage de Valente, l’auteur du roman n’exploite guère les possibilités d’un tel physique.
Le « mal en soi » du titre, c’est ce meurtre originel, celui de Claudia, la jeune fille dont ils étaient tous (ou presque) amoureux en cet été 1985 ; c’est aussi cette violence intérieure ressentie par Flavio, l’un des garçons du groupe. Un chapitre sur deux environ est consacré à ces flash-back dans le Castellaccio mid-eighties. Les deux arcs narratifs (l’enquête au présent de Valente et les souvenirs de ce fameux été de Flavio) s’entremêlent, avancent de concert vers le dénouement inévitable. Ce dédoublement de la narration crée parfois quelques difficultés de compréhension (on confond vite Flavio et Damiano, sachant que le second est un personnage secondaire dans l’arc du premier), mais leur interstructuration se révèle plutôt intéressante. En effet, l’arc « du passé », parvenu à son terme, explique les cicatrices de Damiano et donne tout le contexte de l’arc « du présent ». Malin.
Un dénouement tellement inévitable que l’intérêt n’est pas dans la surprise quant à l’identité du coupable. Contrairement aux apparences, Le Mal en soi n’est pas un whodunit. On ignore qui a commis le/les crime/s, et on finit par s’en moquer. Car on sent bien qu’Antonio Lanzetta n’est pas descendu dans l’arène du thriller policier pour cela. Ce qui lui importe, ce sont les gens. La vie en Italie, il y a 35 ans et aujourd’hui. La noirceur de l’âme humaine. Le reste relève du décorum de scène de crime : du déjà-lu, déjà-entendu.
Ceci dit, on attendrait de lui qu’il descende encore plus bas dans l’arène, dans les tréfonds de notre bestialité à tous. Il y a bien quelques scènes un peu plus perverses que d’autres, plus dérangeantes, mais cela demeure superficiel. On est loin du Jack Ketchum d’Une fille comme les autres, par exemple, et de son exploration brute de l’abjection qui nous guette tous autant que nous sommes. Ce Mal en soi est en définitive bien sage. Même si l’on y décèle des qualités qui pourraient bien s’épanouir au fil de romans futurs.
L’extrait : « Il aurait voulu ajouter quelque chose, raconter à son amie ce qu’il ressentait, mais il avait la bouche sèche et la langue collée au palais. Son cœur se serra et ses pensées se désintégrèrent dans un souffle. Il avait appris à reconnaître les crises de mélancolie. Les souvenirs le submergeaient avec une telle violence… Chaque fois, il avait l’impression qu’une partie de lui se brisait. Comme s’il était constitué de verre et que, à chaque coup dur, un morceau se fracassait. Aux funérailles de sa mère il n’avait pas pleuré. Il était resté debout, les yeux rivés sur le cercueil, le bras de l’assistant social autour des épaules, incapable de verser la moindre larme. Dans son ventre, la fissure avait grandi, remontant jusqu’au torse, puis au cœur. Le bruit résonnait encore dans ses oreilles. Le crépitement des échardes de verre… comme un ballon jeté dans une vitre. Un jour, il finirait sans doute par voler complètement en éclats. »
Le Mal en soi
Écrit par Antonio Lanzetta
Édité par Bragelonne