
#Critique Les Gueules rouges de J.M. Dupont et Eddy Vaccaro
Satire sociale et humaine, Gueules rouges est un récit captivant et sociologique d’une région et d’un temps où la souffrance était le pain quotidien. Une époque où l’homme était exploité par l’homme et l’étranger nécessairement coupable. Où les sauvages n’étaient pas forcément ceux que l’on croit. Un temps révolu ?
L’histoire : Gervais Cottignies, jeune Ch’ti, va se battre pour ne pas descendre à la mine, puis ne pas y rester avant de se battre tout court pour son pays lors de la Première Guerre mondiale. Un combat qu’il mettra aussi au service d’Indiens d’Amérique, en tournée « Buffalo Bill » dans le Nord, accusés du meurtre d’une petite fille. Faire un pied de nez à son destin quoi qu’il vous en coûte.
Mon avis : échapper à sa condition et combattre l’injustice. C’est le credo de Gervais, écolier prometteur, qui voudrait bien rompre la tradition familiale en ce début de XXe siècle, celle de descendre à la mine. Il a tout pour mais son père décide qu’étudier n’est pas fait pour quelqu’un de sa caste. Et que sa famille ne peut survivre que si son gamin apporte son écot pécuniaire. Ce fut le lot de beaucoup de petits dans ces régions industrielles avec de la chair à canon pour un capitalisme sauvage. Celui qui essore l’homme sans jamais se préoccuper de son sort. Celui qui, par paternalisme, fait mine de partager la peine de l’ouvrier pour mieux l’exploiter. Gervais y arrivera mais à quel prix !
C’est aussi un hymne à la nation indienne, à ces peuples colonisés par les premiers Américains. Gervais va rencontrer certains d’entre eux lors de la célèbre tournée de William Frederick Cody, aka Buffalo Bill, en France. Plus de cent villes traversées pour faire connaître la conquête de l’Ouest. Et va tomber amoureux de ce peuple, de sa langue, de ses coutumes. Il n’hésitera pas à protéger deux d’entre eux accusés du meurtre sanglant d’une fillette. Le môme trouvera de l’aide chez les Illégalistes, ces adeptes du « vrai » socialisme, l’anarchisme. Au-delà des faux-semblants, des causes entendues et des évidences crasses, il préférera encourir les foudres des pandores et de son père pour protéger son idéal.
La convergence des luttes, l’objectif de beaucoup de révolutionnaires, c’est ce qui sous-tend cette bd à lire absolument.
Si vous aimez : Germinal d’Émile Zola mais également Oscar de Renaud.
En accompagnement : Les Corons de Pierre Bachelet. Évidemment.
Autour de la BD : connu par Love in Vain, portrait du bluesman Robert Johnson, Jean-Michel Dupont scénarise cet opus. Originaire de Valenciennes, il a situé son histoire sur des territoires qu’il connaît parfaitement. Eddy Vaccaro, dessinateur qui choisit ses travaux, a un trait diffus, un peu nébuleux mais qui colle à ce récit.
Extraits : « Monsieur Cottignies, il est de mon devoir de vous conjurer de revenir sur votre décision. Votre fils Gervais est un brillant sujet qui mérite de s’élever dans l’échelle sociale ! »
« Avez-vous des enfants, Monsieur l’instituteur ? »
« Hélas non, je suis célibataire. »
« Avec eun’ seule bouche à nourrir, comment pouvez-vous me comprendre ? »
« Mon père avait déjà parlé au porion, je commençais le lendemain. »
« Ne regrette rien, T’chiot… L’instituteur veut faire de toi un bourgeois, mais il se trompe. Un jour, tout va changer. Les ouvriers prendront le pouvoir… Et pour ça, ils ont besoin de gars comme toi ! »
Les Gueules rouges
Écrit par J.M. Dupont
Dessiné par Eddy Vaccaro
Édité par Glénat