#Critique : Les Insus – « L?ve »

#Critique : Les Insus – « L?ve »

Note de l'auteur

Des serpents de mer, le rock en a connu un paquet. Du Black Album de Prince au Smile des Beach Boys en passant par un certain nombre de reformations plus ou moins inespérées (Pink Floyd, Guns N’ Roses), le fan a pris l’habitude de garder au fond du cœur un secret espoir, peut-être bien que… On ne sait jamais… Mais autant vous le dire tout de suite, ce coup de téléphone, votre serviteur ne l’attendait plus.

Téléphone… Enfin Les Insus (portables évidemment), symbolisés par ce point d’interrogation qui a dû faire couler quelques litres de larmes aux petits veinards qui ont eu le nez de se trouver au bon endroit, au bon moment pour être témoins des retrouvailles scéniques de Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac et Richard Kolinka.

Soyons clairs, dans la (très) grande famille du rock français, Téléphone possède un statut à part. Nos pierres qui roulent à nous, rien moins que cela, avec une pointe de venin à tendance velours souterrain qui aurait dégouliné sur une Television made in NYC, le tout saupoudré d’un certain je ne sais quoi terriblement parisien, héritage de la poésie des faubourgs. Un joyeux bordel en somme !

Téléphone fixe

Mais notre bordel. Pour notre génération qui tutoie la quarantaine avec un certain panache, y’a pas de raison, Téléphone ne faisait pas débat. Certains préféraient la poésie de Thiéfaine, la folie d’Higelin, la décadence de Bashung, les conneries de Renaud, l’énergie de Trust ou la révolte des Bérurier Noir, mais tout le monde, sans exception, aimait Téléphone.

Avec raison d’ailleurs. Les mecs avaient trouvé la formule magique, un son de guitare à faire pâlir d’envie nos voisins britons, une section rythmique en béton armé, ce même béton qui envahissait nos villes en ce début des années 80 et la voix de Jean-Louis Aubert, unique, sublime, inimitable. Sans oublier les paroles, parce que Téléphone s’adressait à absolument tout le monde, du banlieusard paumé au rêveur romantique en passant par… toi à coup sûr !

Premier appel

En cinq albums et une soixantaine de chansons, le groupe aura marqué d’une empreinte indélébile le paysage musical français et se séparera en pleine gloire, sans laisser d’héritier assez curieusement. Chacun de leur côté, les musiciens connaîtront une carrière honorable et même plus si l’on considère le parcours d’Aubert et de Bertignac, mais rien qui ne se rapproche du miracle Téléphone.

Du coup, nous avions fait notre deuil. Quelques shoots de substitution aidaient à faire passer la pilule, un petit Vas-y guitare par-ci, un Voilà c’est fini par-là nous rappelaient que les mecs étaient encore là, toujours vivants, toujours amis de surcroit mais il ne faisait aucun doute que la ligne était définitivement coupée.

Jusqu’à ce qu’une rumeur ne vienne rebrancher les fils du standard au cœur de l’été 2015… Un groupe inconnu, Les Insus, donnera un concert « à ne pas rater » d’après certains journalistes, le 11 septembre dans la petite salle du Point Éphémère à Paris, même que l’ancien batteur de Téléphone, Richard Kolinka, y sera d’après son compte Twitter. Ce n’était pas la première fois que ce genre de tonalité se faisait entendre dans le combiné mais cette fois, c’était la bonne.

Deux ans et une tournée à guichets fermés plus tard, voici venir cet album live enregistré à Paris en deux temps, entre l’Accor Hotels Arena et la petite salle du Trabendo, réunissant les deux tiers de la discographie du groupe en trois disques, rien que ça !

Et très intelligemment, nos ex-Téléphone ont divisé le programme entre best of des incontournables offerts aux spectateurs venus en masse les applaudir dans l’imposante enceinte de Bercy et sélection des titres confidentiels, connus des seuls fans acharnés du groupe, pour coller à l’ambiance plus intimiste du Trabendo. Un sacré cadeau quand on sait que les mecs n’avaient pas joué certains de ces titres depuis près de trente ans.

Du plaisir on vous dit…
©PHOTOPQR/L’ALSACE

Point commun entre ces chansons, outre leur qualité qui semble pouvoir traverser les décennies sans prendre une ride, le plaisir que nos trois garçons prennent à les jouer ensemble. Cela se voit sur les témoignages vidéo de leur tournée, et cela s’entend sur cet album, au point qu’il est presque impossible de différencier ces versions contemporaines des enregistrements mythiques de leur dernière tournée datant de 1986 !

La voix de Jean-Louis Aubert n’a presque pas bougé, Bertignac s’éclate toujours autant et Richard Kolinka maltraite sa caisse claire comme si les sessions d’Un autre monde dataient d’hier… Reste qu’il manque Corine. Corine Marienneau, la nana du groupe, mal aimée (ou trop aimée) par les deux figures de proue de Téléphone.

Qu’il me soit permis de passer sous silence les différentes tensions au sein du groupe qui aboutirent à leur séparation, puis à l’impossibilité d’une véritable reformation, cela ne regarde que les intéressés. Inutile donc de blâmer l’un (ou l’une en l’occurrence) des musiciens plus que l’autre. Téléphone, c’est avec Corine, pour plein d’excellentes raisons, son talent de bassiste n’étant pas le moindre. D’où le nom qui barre la couverture de cet album.

Mais ne boudons pas notre plaisir, car c’est bien de cela qu’il s’agit, de plaisir et de musique, deux choses dont débordent ces trois disques. Et une petite partie de nous aussi, enfouie dans la poche intérieure d’un vieux sac U.S. abandonné au fond d’un placard depuis des années et que l’on n’arrive pas à se décider à jeter… Maintenant on sait pourquoi.

 

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