On a lu…L’Escadron Suprême de Mark Gruenwald

On a lu…L’Escadron Suprême de Mark Gruenwald

Note de l'auteur
Retour en arrière aujourd’hui avec L’Escadron Suprême. Si beaucoup se rappellent de la version que Joe Michael Straczynski avait proposée en 2003 avec Supreme Power, ils sont moins nombreux à se souvenir de la mini-érie écrite par Mark Gruenwald. Une injustice que nous avions envie de corriger tant cette œuvre magnifique propose un discours brillant et avant-gardiste qu’elle en arrive à faire jeu égal avec son contemporain Watchmen.

 

1969 – Avengers #69. Scénariste et dessinateur de Avengers, Roy Thomas et John Buscema font affronter l’équipe (alors composée de Thor, Captain America, Iron Man et Goliath) à l’Escadron Sinistre. Ce groupe de vilains d’une terre parallèle est quand à lui composé d’un être surpuissant et capable de voler (Hyperion), d’un autre bougeant aussi rapidement que le plus puissant des bolides (Whizzer), d’un homme maniant un artefact lui permettant de matérialiser sous forme d’énergie tout ce qu’il souhaite (Doctor Spectrum) et d’un personnage à l’aspect inquiétant dénué de pouvoirs mais d’une grande intelligence (Nighthawk). Les auteurs ne s’en cachent pas, l’Escadron Sinistre est un décalque de la série Justice League of America et des personnages de Superman, Flash, Green Lantern et Batman.

 

defenders_113Deux ans plus tard, dans Avengers #85, Roy Thomas va les faire revenir sous une forme un peu différente. Cette fois les Vengeurs rencontrent une version héroïque de ces personnages : L’Escadron Suprême. Après une baston de rigueur histoire de faire connaissance, les deux équipes vont s’allier afin de combattre et vaincre Brain-Child. Suite à cette aventure, L’Escadron Suprême réapparaîtra dans la série ainsi que dans Thor. En 1982, va se dérouler une aventure capitale pour l’équipe. Dans The Defenders #111 à #115, J.M. DeMatteis explique qu’un méchant, Overmind, contrôle L’Escadron Suprême et domine la Terre d’où ils sont issus. Si les Défenseurs font tomber le tyran et libèrent les héros de son emprise, la planète et ses habitants ont payé le prix fort de cette domination. Tout est à reconstruire et c’est sur ce postulat que débute la minisérie L’Escadron Suprême.

 

Au lendemain de la chute d’Overdmind, Hyperion et ses amis ne savent plus quoi faire. Face à un monde prêt à sombrer dans une guerre totale engendrée par la famine et la tyrannie, ils se sentent démunis. Dos au mur, les voilà prêts à prendre une décision exceptionnelle. Ils ne doivent plus combattre les méchants, ils doivent sauver le monde de lui-même et réparer leurs erreurs. Leurs pouvoirs leurs permettraient de créer un monde parfait. Un monde débarrassé de la famine, de la violence, du chômage et de la guerre. Alors ils décident de le faire. Avec les consentements des gouvernements, l’Escadron Suprême décide de changer le monde. Ils ont tous les pouvoirs et établissent un plan sur une année. Le projet Utopia est en marche. Mais face à ce projet qui peut tout changer, une voix discordante se fait entendre. Nighthawk, l’un des membres les plus éminents du groupe (et ancien président des USA quand il était lui aussi contrôlé par Overmind) estime que ses coéquipiers n’ont pas à régenter la vie des gens même pour leur bien. Après des années de contrôle mental, le libre arbitre et la non ingérence sont primordiaux à ses yeux. Totalement opposé à ce projet, il décide de quitter ses amis non sans estimer qu’il va falloir les stopper.

 

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En douze épisodes, L’Escadron Suprême va mettre en place une véritable utopie. Ces personnages, véritables variations des héros de DC (Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Green Lantern, Green Arrow, Black Cannary, Captain Atom, Aquaman etc etc) vont bel et bien mettre fin aux problèmes que sont la famine et la maladie. Mais très vite d’autres soucis apparaissent. Outre les menaces « classiques » provoquées par des super méchants toujours actifs, les membres de l’Escadron eux-mêmes ne sont pas des êtres sans failles. Exacerbés par le caractère unique de la situation, leurs défauts et problèmes personnels vont prendre des proportions énormes et avoir des répercussions dramatiques. C’est ainsi que Nuke, meurtri par la mort de ses parents dont il s’estime responsable, n’hésitera pas à vouloir tuer ses amis dans un geste s’apparentant à une tentative de suicide.

 

Ce qui est frappant à la lecture de L’Escadron Suprême, c’est la façon qu’a le scénariste Mark Gruenwald de ne jamais dévier de son propos malgré la multiplication des histoires bouclées en un épisode ou des différentes histoires personnelles. Bien plus que cela, chacune d’entre elles sert à mettre en valeur le discours sur les conséquences de la pro-activé du super héros sur son environnement et les dérives qu’elle peut engendrer. Sortant peu à peu de la stature iconique dans lequel ils sont ancrés, les différents membres de L’Escadron vont exprimer une grande diversité de point de vue et d’opinion vis-à-vis de ce qu’ils sont en train d’accomplir. Cela permet alors de relativiser un projet qui n’est pas forcément si idyllique que cela. L’histoire d’amour entre le Golden Archer et Lady Lark permettra ainsi d’introduire et de mettre en valeur ce qui deviendra l’objet de la discorde : le modificateur de comportement.

 

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Car après avoir voulu vaincre la faim dans le monde et mis hors fonction la majorité des armes à feu, L’Escadron veut mettre fin à la violence et dans ce but, modifier les comportements violents à l’aide d’une machine leur apparaît comme une bonne chose. Qu’importe les voix qui s’élèvent au sein du groupe afin de souligner l’ingérence sur le libre arbitre individuel et qu’importe que le Golden Archer ait utilisé la machine pour se faire aimer de Lady Lark, le groupe n’en démord pas. Il faut utiliser la machine sur les criminels afin d’éradiquer les comportements violents. Cet interventionnisme aussi radical est une des clés de voûte du récit et va cristalliser les dissensions idéologiques entre L’Escadron Suprême d’Hyperion et le groupe mené par un Nighthawk batissant peu à peu son plan pour stopper ce qu’il considère comme un totalitarisme manifeste.

 

Dans ces deux années bouillonnantes et marquantes pour le comics que sont 1985 et 1986, L’escadron Suprême peine à s’imposer. Coincé entre le bouleversement Crisis on Infinite Earths qui débuta quelques mois avant et les chefs-d’œuvre Watchmen et Batman – The Dark Knight Returns bientôt sur le point de paraître, l’œuvre de Mark Gruewald sera souvent considérée comme la cinquième roue du carrosse voire même totalement ignorée. Pourtant, malgré une partie graphique classique (mais totalement maîtrisée), la minisérie surprend encore aujourd’hui par son propos audacieux et un jusqu’au boutisme qui laisse pantois. Dégagé des contraintes inhérentes à un certain immobilisme de l’univers Marvel, Gruenwald peut se permettre de faire ce qu’il veut avec ses personnages et de les pousser dans leurs derniers retranchements.

 

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Ainsi les combats sont de plus en plus violents et certains personnages n’échappent pas à la mort (notamment dans un final incroyable). La finesse de l’écriture de Gruenwald est telle qu’elle se trouve très souvent sur le fil du rasoir. Tout en conservant une imagerie très classique au genre super-héroïque (peut-être l’une des causes de son désintérêt là où Watchmen n’hésitait pas à briser celle-ci), il interroge quand aux valeurs fondamentales que les héros sont prêts à sacrifier afin de rendre le monde meilleur. Souvent négligée, l’influence de L’Escadron Suprême est clairement visible aujourd’hui. Avec les X-men de Chris Claremont (période Australienne), ils représentent un modèle sur lequel Warren Ellis bâtira plus tard ses groupes proactifs dans Stormwatch et The Autorithy. Plus proche encore, le conflit entre Hyperion et Nighthawk se retrouve dans celui entre Captain America et Iron Man au sein de Civil War. Enfin, qu’est ce que le modificateur de comportement si ce n’est l’ancêtre du lavage de cerveau de plusieurs super vilains par Zatanna au centre de la saga Identity Crisis ?

 

Publiée en France par l’éditeur Lug dans une revue « pour enfants » (Spidey) et jamais rééditée depuis, la série est passée totalement sous les radars. Même aujourd’hui alors que Watchmen et Batman – The Dark Knight Returns sont reconnus à leurs justes valeurs, l’absence de réédition de l’œuvre maîtresse de Mark Gruenwald  la condamne encore à l’oubli. Pourtant, alors que le reboot de 2003 par Joe Michael Straczynski (intitulé Supreme Power) fut très apprécié chez nous, que le personnage d’Hyperion est un des membres clés de l’actuelle série Avengers et que le groupe s’apprête à revenir sur le devant de la scène au sein d’une nouvelle série, Panini Comics ne semble pas vouloir combler le manque. Espérons qu’avec l’actualité et leur désir de mettre en avant un patrimoine énorme, l’éditeur se décide enfin à nous proposer une édition de ce chef-d’œuvre. Il le mérite.

 

 

 

 

 

 

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L’Escadron Suprême (Marvel Comics). mini-série en douze épisodes initialement parue dans la revue Spidey n°87 à 99.

 

Ecrit par Mark Gruenwald

 

Dessiné par Bob Hall (#1 à #5, #8), Paul Ryan (#6, #9 à #12) et John Buscema (#7)

 

Texte basé sur le Trade Paper Back Squadron Supreme

 

 

 

 

 

 

 

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