
#Critique : linguistique appliquée (Manhunt: Unabomber / Discovery / Netflix)
Dans le sillage ― même si elle lui est antérieure* ― d’une Mindhunter, Manhunt: Unabomber offre un regard nuancé sur une période sensible des coulisses de fonctionnement du FBI, circa 1995. Sans avoir de ressort strictement spectaculaire, le cas bien réel de l’Unabomber est ici retracé avec précision dans un ensemble remarquablement poignant.
L’Unabomber est le nom de code affublé à Ted Kaczynski, lequel distillait soigneusement des colis piégés à destination d’une variété de personnes impliquées dans les “technologies modernes”, soit une quinzaine de bombes expédiées entre 1978 et 1995. Mais Manhunt: Unabomber ne se contente pas d’étudier le parcours de Kaczynski. Il est aussi question de Jim Fitzgerald, l’agent du FBI méconnu du grand public qui va employer les bonnes méthodes afin de mettre un nom sur l’auteur des faits…
Discovery est une chaîne câblée dont le cœur de cible était autrefois le documentaire. Depuis les années 2010, elle pratique une ligne éditoriale bien plus axée sur la télé-réalité, même si ces efforts dans ce sens restent dirigés vers les genres qui la caractérisent : la pseudo-science, l’histoire et la technologie.
Depuis 2014, elle mise également sur des miniséries événementielles (Klondike, Harley and the Davidsons) et Manhunt en est la dernière tentative scriptée. L’écriture a été confiée à Andrew Sodroski et son travail fut si prometteur que les décisionnaires décidèrent d’investir copieusement afin d’attirer en premier lieu deux acteurs de renom (ce sera Paul Bettany et Sam Worthington, tous deux issus du grand écran) mais aussi et surtout, un réalisateur / producteur aguerri et pas des moindres : Greg Yaitanes (Banshee, Quarry).
Comme pour Quarry, Yaitanes signe l’intégralité de la mise en scène de cette saison. L’ensemble est bien plus sage que ses précédents faits d’arme qui étaient d’authentiques séries de genre. Mais il aborde Manhunt avec le soin qui le caractérise pour trouver une ambiance qui n’est pas sans rappeler un film comme Les Hommes du président.
Il tire la quintessence d’un récit qui n’est pas forcément le plus transcendantal. Une histoire d’hommes bornés (sans vrais rôles féminins consistants pour les accompagner), organisée suivant des sauts temporels dont on ne comprend pas immédiatement la nécessité. Et si l’on ajoute à cela qu’une fois que l’on a vu l’explosion d’un colis piégé, on les a toutes vues…
Néanmoins, le déroulement de l’enquête s’avère rapidement fascinant. Le terroriste domestique se révèle rapidement très organisé puisqu’il ne laisse absolument aucun indice lors de ses assemblages et qu’il se permet même de placer des fausses pistes en utilisant des composants spécifiques. Fitzgerald va donc avoir recours à un moyen alors fortement original pour déterminer l’identité de l’Unabomber : la linguistique. Sûr de lui, ce dernier s’adresse à différents interlocuteurs (dont la presse), allant jusqu’à envoyer un vaste manifeste dans lequel il exprime sa vision de la société. De ce matériau, Fitzgerald va dresser un portrait linguistique précis et décisif au final, après avoir longuement bataillé avec sa hiérarchie (et donc un beau parallèle avec Mindhunter).
Mais peut-être plus intéressant encore, on apprend dans la deuxième partie de saison de Manhunt comment Kaczynski s’est construit. Sans rien révéler, il est assez hallucinant de découvrir que ce brillant élève, passé par Harvard, va subir un traumatisme qu’une certaine instance américaine n’est sûrement pas très fière de voir étaler au grand jour.
Dans la dernière ligne droite, un personnage fera directement référence au procès d’O.J. Simpson et Manhunt de trouver justement une vraie proximité avec The People v. O.J. L’issue est alors subtilement nuancée et nous laisse avec cette perplexité qui transcende les récits de destins hors normes !
Du reste, Discovery aimerait prolonger l’aventure et cherche à faire de Manhunt une anthologie. Tout comme pour The People v. O.J., il ne sera toutefois pas simple de trouver une saison suivante à la hauteur.
*: Manhunt: Unabomber a été diffusée cet été sur Discovery (dès le 1er août).
MANHUNT: UNABOMBER (Discovery) saison 1 en 8 épisodes.
Visible sur Netflix dès le 12 décembre.
Série créée par Andrew Sodroski.
Saison écrite par Jim Clemente, Tony Gittelson, Max Hurwitz, Steven Katz, Nick Schenk, Andrew Sodroski et Nick Towne.
Saison réalisée par Greg Yaitanes.
Avec Sam Worthington, Paul Bettany, Jeremy Bobb, Keisha Castle-Hughes, Lynn Collins, Brían F. O’Byrne, Elizabeth Reaser, Ben Weber et Chris Noth.
Musique originale de Gregory Tripi.
Visuel : Tina Rowden / Discovery / TNS.
Je me suis intéressé à la personnalité de T. Kaczynski après avoir vu un documentaire d’Arte qui lui était consacré et j’ai pris du coup le temps de lire son « manifeste ». Ses réflexions sur notre société sont souvent très justes, malheureusement la méthode qu’il a employé pour faire passer son message est inacceptable. Cependant, le fait qu’une série – au demeurant captivante, même si pas exempte de quelques défauts (liés notamment à qques effets de rebondissement redondants dans les histoires de profilers) – produite par Discovery Channel et distribuée par Netflix, lui soit consacrée, prouve bien qu’il avait raison : le système finit toujours par tout récupérer pour en faire du « divertissement »…
J’étais d’accord avec le début du commentaire, mais pas avec ta conclusion, car ça ne prouve pas qu’il avait raison, ça prouve juste que la science, comme toute discipline doit avoir des limites déontologiques et que le monde a, depuis Kaczynski, encore plus perdu la boule que l’Unabomber. C’est une fausse logique que de finir par « excuser » sa méthode au prétexte qu’il aurait eu raison. Paul Bettany résume très bien la motivation pricnipale de cet homme dans une interview, où il dit que toute cette intelligence n’était qu’un prétexte à laisser exploser une fureur d’être si incapable de vivre sa vie. Le mec aurait pu persévérer dans le but de trouver une autre manière de diffuser ses idées que par la menace de mort, mais non et penser ça aujourd’hui n’est qu’une légitimation de ses actes terroristes.
Je ne suis pas sûr que Lionel voulait aller dans le sens de la légitimation de ses actes. Pour aller dans le sens de son propos sur la récupération, l’Unabomber a désormais sa reconstitution en réalité virtuelle :
https://jeuvideo.afjv.com/news/18082_unabomber-the-virtual-reality-experience.htm