
#Critique Night Room : où est la lumière ?
Roman multiforme, métaroman sur l’écriture, fantastique mêlé de sentiments : Night Room est tout cela à la fois. Beau programme, mais il lui manque de la chair et l’art du conte pour exister réellement dans l’esprit et les tripes du lecteur.
L’histoire : L’écrivain Tim Underhill est confronté à des e-mails étranges et peu compréhensibles, sans adresse d’expéditeurs et qui paraissent avoir été envoyés par des morts ; à un fan assez pressant voire franchement agressif, qui pourrait bien être un ange ; à une jeune femme tout droit sortie de son dernier roman, en cours d’écriture.
Mon avis : Tout s’entremêle dans Night Room : les références directes à d’autres œuvres (Alice au pays des merveilles pour le fantôme d’April, la sœur morte de l’écrivain ; Le Seigneur des anneaux pour le nom de l’écrivain lui-même, Underhill, pseudonyme de Frodon lorsqu’il fuit la Comté, etc.), les genres (thriller, roadmovie fantastique, roman sentimental), les lignes narratives (narration à la 1ère et à la 3e personne ; fiction, fiction-dans-la-fiction et fiction-dans-la-fiction-qui-entre-en-collision-avec-la-fiction)…
Assez déroutant de prime abord, ce roman, d’abord édité voici dix ans sous le titre Le Cabinet noir (titre du roman-dans-le-roman), est la suite des Enfants perdus (2005, titre originel : Lost Boy, Lost Girl, référence peut-être aux « garçons perdus » de Peter Pan). Cela se sent : pour ne pas avoir lu le précédent volume, j’avoue avoir été très souvent perdu dans Night Room. Peter Straub paraît avoir l’intention (louable) de rendre ce livre lisible indépendamment de celui qui l’a précédé. Mais il n’y réussit guère – il aurait donc fallu mentionner cette « préquelle » quelque part dans l’habillage de Night Room.
Pour tout dire, on ne sait pas où Straub veut en venir. Tout paraît flou et jeté au hasard dans l’arène de la narration : les e-mails venant de personnes mortes, cet ange qui n’en est pas vraiment un (ou peut-être que si), cette espèce d’interzone où vivent les morts, ces fantômes qui ne servent à rien, ce personnage de femme traquée, créé par Tim Underhill et qui déboule dans son « monde réel » puis en sort, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi ni comment. Quelles sont les motivations des uns et des autres ? Leurs buts, leurs causes, leurs conséquences, leurs désirs, leurs volontés, leurs refus ? Le mystère reste quasi total. Ces mêmes questions, dans le fond, valent pour Straub lui-même.
Reste un livre bien écrit, voire très (trop) écrit, au sens où de nombreux passages sont tellement « rédigés » qu’ils éjectent le lecteur de l’histoire. Straub a mis trop d’intentions dans son écriture, elles suent de tous les pores du roman, elles sont bien trop visibles pour réellement fonctionner. Au final, on ignore si l’auteur du classique Ghost Story et de plusieurs livres à quatre mains avec Stephen King manie les clichés pour les démonter ou est tombé dans le piège de celui qui, à trop vouloir étreindre, étreint mal… Il suffit d’observer la relation sentimentale d’Underhill et de Willy Patrick, la femme qu’il a créée et qui débarque dans sa vie « réelle », pour constater un enchaînement de lieux communs sans aucune saveur. Dommage.
Si vous aimez : les romans précédents de Peter Straub, notamment son Ghost Story (qui souffre, à mon sens, du même problème d’être « trop écrit » et pas assez raconté), mais aussi ceux de Clive Barker pour ne citer que lui. Des auteurs peut-être trop écrivains et pas assez conteurs, pour résumer.
Autour du livre : Night Room a remporté le Bram Stoker Award en 2004 dans la catégorie « roman ». Si l’on en croit le dieu Wikipedia, Straub aurait rencontré des problèmes pendant l’écriture, multipliant les versions avant de s’en lasser et d’user de la même technique employée pour Lost Boy, Lost Girl : « Je me suis plongé dans le livre et je l’ai retourné comme un gant. »
Extrait : « Mais lorsque Tim Underhill quitta son immeuble pour errer sans but sur Grand Street, avant de tourner à gauche dans Wooster Street puis à droite dans Broome Street, les mains dans les poches de son Burberry toujours humide, sa toujours humide casquette WBGO sur la tête, il ne fut nullement délivré des fantômes l’ayant poussé dans les rues. Les conducteurs des voitures qu’il croisait grimaçaient tels des agents de la police secrète d’un État totalitaire ; les passants arpentaient les trottoirs les yeux baissés, solitaires et muets.
Il descendit Crosby Street, cette rue pavée aux courants d’air soudains, aujourd’hui aussi vide qu’elle l’était vingt ans plus tôt, quand il avait emménagé dans le quartier. La solitude le mordit brutalement, et il en accueillit le retour avec plaisir, car elle était une part authentique de lui-même, une réalité, pas un fantôme terrifiant. »
Night Room
Écrit par Peter Straub
Édité par Bragelonne