
Critique Ruiner
Alors que les férus de science-fiction n’ont d’yeux que pour l’univers contrasté et froid de Blade Runner, on oublie trop rapidement que la SF, c’est aussi les blousons en cuir, les hackers en combis moulantes et les couleurs tellement saturées qu’elles rendraient un cadavre aveugle. Après un Absolver et son démarrage record chez Devolver, l’éditeur indépendant adepte de la roulotte-barbecue sur le parking de l’E3 récidive avec Ruiner, version cyberpunk du très acclamé Hotline Miami. Développée sous la houlette de Reikon Games, petit studio indépendant qui regroupe quelques vétérans ayant fait leurs armes sur Dead Island et The Witcher, cette tentative futuriste arrive-t-elle à la cheville du maître étalon du genre ?
Je veux tes bottes, ton blouson, ta moto et éventuellement ton katana
Réduire Ruiner à un vulgaire Hotline Miami-like est peut-être un poil réducteur, mais si vous cherchez un point de comparaison, c’est probablement son cousin le plus proche. Vous y dirigez un personnage vêtu d’un casque intégral, cherchant à se débarrasser des pontes qui l’ont utilisé comme simple machine à tuer, à l’aide d’une hackeuse de génie. Le titre se présente dans une vue en 3D isométrique, sans possibilité de diriger la caméra, mais offrant une perspective idéale pour visualiser tous les ennemis qui tentent de vous encercler, bien qu’une caméra plus éloignée n’aurait pas été du luxe. C’est dans son gameplay que Ruiner se distingue de la concurrence, puisque votre motard du futur pourra utiliser un sacré panel de pouvoirs pour dessouder les ennemis dans ce qui s’apparente à une succession d’arènes fermées.
Votre personnage inconnu aura de base un pistolet automatique (le fameux Ruiner) et une arme de corps à corps, mais l’un des gros atouts de notre héros est sa capacité à effectuer des dashs de téléportation pour esquiver ou contourner un adversaire un peu trop collant. Le must reste de laisser appuyer sur une gâchette afin de ralentir le temps, de placer quelques repères pour affiner sa trajectoire puis de tout relâcher pour effectuer un trajet rapide derrière la nuque de votre opposant afin de lui faire sentir la lame de votre sabre entre les omoplates. L’arsenal du héros ne se contente pas de bondir partout comme un cabri cybernétique, puisque s’ajoutent des compétences comme un bouclier personnel pouvant renvoyer les balles, un barrage d’énergie à placer devant vous, des grenades éblouissantes ou explosives ou encore des capacités de soin ou de surcharge pour se déchaîner contre les vagues d’adversaires. Chaque pouvoir est améliorable avec les points de compétences acquis à la sueur de votre front (en montant de niveau ou en les récupérant sur place) histoire de rajouter encore plus de piquant (ralentir le gredin qui aurait la mauvaise idée de traverser votre bouclier par exemple), et il est même possible de tout réattribuer à la volée, d’une simple pression sur le bouton pause, histoire de s’adapter à la situation et répondre au mercenaire un peu trop confiant en son lance-grenades.
Tout cet étalage de puissance, qui arrive très tôt dans le jeu, permet de créer un flow dans ses attaques réellement jouissif. Une fois que l’on maîtrise toutes les commandes sur le bout des ongles (mine de rien, toute la manette est mise à contribution), le joueur déchaîné pourra s’occuper des vagues d’ennemis en protégeant les flancs les plus vulnérables en cas de coup dur. La barre de vie s’étiole très vite, sans même parfois qu’on s’en rende compte, la faute à l’absence de vrais repères visuels qui pourrait aider le joueur concentré sans perdre le fil de l’action, mais le jeu concède parfois à lâcher quelques petites grappes de soin ou d’énergie histoire de ne pas lâcher le combo en cours. Mais au fur et à mesure de la partie, on se rend vite compte qu’il y a un petit truc qui coince, qui empêche Ruiner d’être aussi furieux que les mastodontes du genre.
King of hacking
C’est lors de certains pics de difficulté, souvent contre des boss possédant un arsenal proche du vôtre, que le gros point faible se fait sentir : un cruel manque de précision globale, que ce soit dans les sensations manettes en mains ou dans la visée du personnage. Déjà corrigé via de multiples patchs après le lancement du jeu, Ruiner a des petits soucis de calibrage qui empêche le joueur de réellement viser précisément sur un ennemi aussi massif que lui à l’écran. La volonté de proposer une vue en perspective avec une longue focale pour éviter les soucis de déformation est louable, mais condamne le joueur à adapter son tir en prenant en compte une visée toujours en biais, là où les jeux du genre de Hotline Miami ne posaient aucun problème puisque le point de vue en hauteur parallèle au personnage empêchait tout souci d’imprécision. Il faut ajouter à ça un manque de poids et de présence du personnage, enchaînant ses coups sans jamais qu’on sente l’impact de la barre de fer sur les rotules de son adversaire. Alors on appréciera le fait que chaque attaque n’ait pas de cooldown d’animation histoire de pouvoir enchaîner son combo rapidement, mais voir un personnage se mouvoir à la même vitesse donne parfois l’impression de diriger une savonnette à qui on aurait donné un flingue.
L’inertie du héros combinée à ce manque de précision empêche Ruiner d’avoir la même patate qu’un Furi ou un Hotline Miami, et il est dommage que la fureur de l’action et le plaisir de composer son propre style de jeu pour éradiquer la vermine cyberpunk soient impactés par ce cruel manque de sensations manettes en mains. Fort heureusement, le jeu rattrape sa faiblesse par un visuel rafraîchissant, dominé par des teintes de rouges saturées et des effets d’aberrations chromatiques du plus bel effet, donnant une vraie patte visuelle au titre se détachant du tout-venant SF aux images grises et tristes. Ruiner propose même un niveau entier en guise de hub principal, vous permettant de discuter avec les loubards du coin et de négocier quelques quêtes annexes histoire de grappiller les précieux points d’expérience nécessaires pour améliorer votre bouclier au niveau 5. Tout ça permet de poser l’ambiance, poisseuse et futuriste, un plus non négligeable pour s’immerger dans l’univers.
L’histoire quant à elle se suit sans déplaisir, mais ne révolutionne pas les habitués du genre, surtout que l’avancée du scénario ne laisse que peu de place au doute quant à sa résolution. Votre héros se baladera en vérité dans trois grands niveaux divisés en plusieurs sections, si on met de côté le tutorial et l’épilogue, ce qui monte la durée de vie à 4-5 heures de jeu sans trop pousser. Alors que le mélange entre le hub principal et certaines ambiances se prête bien à l’univers du cyberpunk, les crédits de fin arrivent un peu comme un cheveu dans la soupe, avec la désagréable sensation de n’avoir fait qu’effleurer un univers qui ne demandait qu’à sortir de sa carapace virtuelle. Ruiner n’autorise même pas le joueur à retourner dans les niveaux dans un éventuel New Game +, et se contentera de clôturer l’aventure, sans rien demander en retour.
Ruiner aurait pu être le digne héritier du jeu d’action débridée si la base du gameplay et les sensations avaient été au rendez-vous. Son gameplay inventif et riche a vraiment de quoi enthousiasmer, donnant l’opportunité de dézinguer des dizaines d’ennemis robotisés avec un certain style, le tout dans un enrobage cyberpunk et un univers vraiment réussis, mais il lui manque un peu de peaufinage sur sa jouabilité et du contenu supplémentaire pour véritablement se hisser tout en haut du panier et justifier son achat. Une proposition fort intéressante, mais ne remplissant pas complètement son contrat.
Ruiner
Développeur : Reikon Games
Éditeur : Devolver Digital
Plates-formes : PC, Mac, Linux, PS4 et XBOX ONE
Prix : 20 euros