
#Critique Ryuko (T.1)
L’éditeur Le Lézard Noir possède un catalogue aussi pointu qu’exigeant. Spécialisé dans le manga d’auteur, il s’efforce de proposer des titres de qualité, alignant de prestigieux noms tels que le maître de l’horreur Kazuo Umezu, Suehiro Maruo ou encore Minetarô Mochizuki. L’une des dernières acquisitions en date de la maison d’édition affirme de plus be, son envie et son ambition d’offrir aux lecteurs des titres d’excellence. Voici donc que débarque le saisissant Ryuko de Eldo Yoshimizu, un récit noir se déroulant dans le milieu mafieux et mettant en scène une héroïne badass. Le tout est magnifié par un dessin de très haute volée dans une édition somptueuse, bref un vrai petit bijou. Indispensable !
Dans une esthétique très 70’s, Eldo Yoshimizu, sculpteur de formation, nous balance un récit sans temps mort doublé d’une incroyable décharge graphique. Ryuko est une jeune femme à la tête d’une organisation de yakuzas, qu’elle tient d’une main de fer. Cela ne l’empêche pas de prendre sous son aile, une jeune orpheline nommée Barrel pour lui éviter une mort certaine. Lorsqu’elle apprend la vérité sur son passé, comment son père s’est sacrifié pour elle et surtout que sa mère est toujours vivante, Ryuko part à sa recherche, bien décidée à se venger. C’est à partir de ce pitch assez basique que l’auteur, fan de Jean-Paul Belmondo, Alain Delon ou encore Steve McQueen, va dérouler un récit aux accents très cinématographiques, que ne renierai certainement pas Quentin Tarantino. En effet, la jeune femme est une héroïne comme les affectionne le réalisateur. Mystérieuse, charismatique et animée d’une détermination sans faille, elle rappelle aussi bien les figures tarantiniennes que les icônes du Gekiga, ce genre-phare des années 60-70. Elle est entourée de protagonistes tout aussi solides et intéressants, à commencer par Barrel, jeune orpheline ignorant tout de ses nobles origines et qui n’hésite pas à tenter de doubler celle qu’elle appelle désormais sa grande sœur. La gente masculine n’est pas en reste, avec Nikolaï, un ancien soldat russe ayant désobéi aux ordres de ses supérieurs durant une mission en Afghanistan. Chaque personnage porte avec lui un lourd fardeau et de nombreuses cicatrices, ce qui les rend non seulement unique mais surtout profondément humains.
L’édition proposée par Le Lézard Noir rend parfaitement justice au titre de Yoshimizu. Avec son grand format, sa couverture cartonnée et sa qualité d’impression, elle nous permet de nous plonger avec délectation dans l’univers de son auteur. D’ailleurs, il n’en fallait pas moins pour apprécier le travail graphique du mangaka. À chaque page, son trait vit, il vibre, lacérant le papier pour nous délivrer des shots d’adrénaline hallucinants. La composition des planches oscille entre minimalisme et surcharge, renvoyant une nouvelle fois à une esthétique old-school. Notre œil se balade, tente de décrypter un enchevêtrement de formes, s’arrête sur un détail avant de repartir. Au détour d’une page, le dessin s’excite, le trait s’épaissit, nous renvoyant à la calligraphie et le style de l’auteur nous éclabousse de toute sa maestria pour s’imprimer durablement dans notre rétine. Et que dire de la couverture de ce premier tome, si ce n’est qu’elle est sublime. On y voit Ryuko, habillée d’une tunique léopard, enfourchant sa grosse moto, tandis que sa longue chevelure s’estompe dans un dégradé de rouge orangé. Cette couverture dit tout et annonce la couleur, tandis que le quatrième de couverture préfère résumer le récit avec des dessins plutôt qu’avec des mots. Entre l’héroïne dévoilant un magnifique tatouage de dragon sur la cuisse et tenant un flingue dans chaque main et un wagon de train transporté par un gigantesque hélicoptère bi-rotor, lui aussi flanqué d’un dragon sur son fuselage, le mangaka compte sur la force des images, bien plus évocatrices. Cette couverture, tout comme le contenu de ce premier tome semble cristalliser les fantasmes cinématographiques de son auteur, pour le plus grand plaisir des lecteurs, complètement happés par cette histoire autour de la vengeance mais pas que… Bref, une claque comme le manga ne nous en avait pas mis depuis longtemps. Putain, c’est bon !!!
Ryuko (T.1)
De Eldo Yoshimizu
Édité par Le Lézard Noir