
#Critique Search Party, L’art de la Fugue
Search Party est de ces séries qui ne feront pas grand bruit, qui ne marqueront probablement pas l’histoire, mais que l’on découvre un peu émerveillé. Œuvre malicieuse qui cache bien son jeu, la petite dernière de TBS est une surprise miraculeuse.
Le paysage sériel a éclaté. Si auparavant, la concentration nous facilitait la tâche, aujourd’hui, il faut savoir chercher, fouiner, tendre l’oreille pour repérer la petite perle rare. Celle qui ne fait pas beaucoup de bruit, qui se distingue malgré le flux incessant de nouvelles séries. Nous savons l’environnement toujours plus hostile, mais où ne règne pas nécessairement la loi du plus fort. Il n’existe pas de recette miracle : un sujet fort, des personnages extraordinaires ou un ton unique ne garantissent pas la survie. Et on assiste parfois à des accidents heureux. Se faufilent des petites choses fragiles, discrètes, au charme pas immédiat. Comme Search Party, objet inoffensif, voire irritant au début, se transformant en poison envoûtant, en spectacle vénéneux.

© TM and © Turner Entertainment Networks. A Time Warner Company.
Une transparence à opacifier
Les présentations sont rudes : des hipsters dans un quartier nanti ou gentrifié étalent leur égoïsme suffisant. On imagine déjà le pire, exploration d’une bourgeoisie dans ce qu’elle a de plus écœurant et illustration de petits déboires existentiels. Du déjà-vu un peu désespérant que l’on va vite balayer. Search Party s’avère plus retorse et imagine l’archétype comme un bloc à sculpter ou dans le cas présent, une transparence à opacifier. La série créée par Sarah-Violet Bliss, Charles Rogers, et Michael Showalter célèbre le vide. Elle parle de gens vains, espérant une soudaine consistance dans la recherche d’une vague et ancienne connaissance. Le vide que l’on essaie de combler en complétant le monde. C’est se donner de l’importance, un but, un rôle dans une société où la dépersonnalisation est pandémique, dont on ne sait d’où est venue la contamination (nous ou cette même société). C’est enfin voir un paysage un peu morbide peuplé de fantômes, errant de façon automatique dans le simulacre d’une vie.
La série baigne dans une ambiance étrange, décalée, balançant entre figuration anodine et brouillard fantastique. Ainsi, dans un récit très terre à terre où une enquête d’amateur conduit vers une comédie parfois loufoque, émerge une image (au terme du deuxième épisode), soulignée par une musique électro qui plonge la série à la lisière de la fable sombre, du conte lynchien. Une influence diffuse, qui restera en périphérie comme symbole, car la série en pur produit de son époque jouera la carte du genre insaisissable, impossible à enfermer dans une case. Récit flexueux qui arbore plusieurs visages, Search Party s’amuse des genres. Comédie, drame, policier, l’idée n’est pas d’aligner les ambiances ou de les mélanger, mais à travers ces figures de styles, composer des tableaux successifs où les personnages pourront gagner en épaisseur.

© MACALL POLAY
Progression vicieuse
Tout l’intérêt de la série repose sur la progression. Celle d’une intrigue qui installe un bel équilibre entre composition ludique et suspens où la recherche de Chantal devient autant un jeu qu’un mystère à résoudre. Celle de quatre personnes, parcours chaotique, voire dyspnéique par leur incapacité à célébrer une relation sincère. La saison va ainsi décomposer le groupe pour mieux célébrer leur individualisme égocentrique, leur névrose et les plonger dans une extrême solitude. Finalement, c’est moins un groupe d’amis qu’une association de gens seuls réunis par facilité, fatalité, préférant la mauvaise compagnie à la solitude. La série ne se montre jamais tendre et délivre un portrait guère flatteur, mais jamais désespéré. À mesure qu’ils s’opacifient, leur humanité ressort. Une humanité perfectible, maladroite, qui tente, s’extrait d’une routine avilissante quitte à jouer avec le feu.
Ce jeu, a priori inoffensif, s’avère plus vicieux qu’il n’y paraît. Outre sa qualité révélatrice sur les personnages et leur faiblesse, l’enquête accumule les tableaux comme autant d’étapes à atteindre avant d’obtenir la vérité. Des paliers, indispensables pour l’ascension et nécessaires dans la construction/déconstruction d’un pseudo scooby-gang gentrifié. Et quand nous pensions voir dans la nonchalance d’une enquête d’amateurs, sans danger, mais excitante, la matière à raconter des personnages, les auteurs dressent un fil tendu au-dessus d’un précipice et lâche la main de leur récit innocent. Nous retrouvons un travail sur la perception similaire à How to Get Away With Murder. Même façon de truquer les points de vue et de retourner a posteriori la situation. C’est pervers, vicieux et la petite fable ingénue de s’avérer conte cruel et grotesque jusque dans l’utilisation du caractère futile des personnages.

© Ruvan Wijesooria
D’objet irritant, Search Party s’est transformé en exercice manipulateur. Série balle rebondissante aux trajectoires imprévisibles, elle s’amuse des genres trop cloisonnés pour évoluer en électron libre. On pense à Lynch pour une tranche d’atmosphère à la lisière du fantastique, aux frères Coen pour l’absurde de certaines situations, à Girls pour les portraits, à Without a Trace (ou aux Killers de Siodmack), le tout, dans un ensemble en mouvement. En utilisant les motifs de la disparition et de la recherche, la série crée autant une dynamique ludique et addictive qu’une étude de cas. Search Party, de petite chose insignifiante s’avère au terme de sa saison, une œuvre totale.
Search Party (TBS, OCS City), Saison 01
Créé par Sarah-Violet Bliss, Charles Rogers, Michael Showalter
Écrit par Sarah-Violet Bliss, Charles Rogers, Michael Showalter, Lilly Burns, Jordan Firstman, Starlee Kine, Robbie Pickering, Samantha Stratton, Christina Lee, Anthony King
Réalisé par Sarah-Violet Bliss, Charles Rogers, Ryan McFaul
Avec Alia Shawkat, John Reynolds, John Early, Meredith Hagner, Brandon Micheal Hall, Ron Livingston, Christine Taylor, Clare McNulty, …