
#Critique Sepultura – Machine Messiah (Nuclear Blast)
Sepultura, la tribu musicale la plus bruyante des années 90 est de retour. Après bientôt 20 ans passés à se chercher (et surtout à se perdre), les Brésiliens reviennent à leurs fondamentaux avec Machine Messiah. Tient-on, enfin, le signe annonciateur de la résurrection d’un des groupes les plus chamaniques de son temps ? Pas si simple (et peut-être plus inquiétant) que ça en a l’air.
“Greetings from the third world!”
« Salutations du tiers-monde ! » C’est avec ces mots que Max Cavalera, figure de proue historique du groupe Sepultura, salue son public au début de chacun de ses concerts depuis plus d’un quart de siècle maintenant. Car, même s’il a quitté le groupe il y a plus de 20 ans, il est encore aujourd’hui impossible de dissocier les noms de Max et de Sepultura. D’abord parce qu’en l’espace de cinq ans et trois albums – Arise (1991), Chaos A.D. (1993) et Roots (1996) – le combo brésilien relevait le drapeau du thrash metal là où les Californiens de Metallica l’avaient laissé tomber à la sortie du « Black Album » (en 91) avant d’inventer et de perfectionner ce style musical nouveau qu’on pourrait appeler, pour faire simple, le « métal tribal ».
Et puis parce que Sepultura, c’est une affaire… une affaire de famille : la famille Cavalera, originaire de Belo Horizonte au Brésil. Max et Igor, deux frères qui créent un groupe en 1984 et que rien ne semblait prédestiner à devenir des dieux vivants du death metal. Destin incroyable pour ces « outsiders », au sens propre du terme : des gamins venus de l’extérieur d’un paysage musical qui semblait destiné à ne se peupler que d’Anglo-Saxons.
Aujourd’hui, après plus de trente ans d’existence, c’est bien dans un monde « tiers », un troisième monde qu’évolue Sepultura. À force de brouilles, de claquements de portes et de recompositions, en viennent à évoluer dans le même espace-temps trois incarnations différentes d’un même projet musical. On se croirait dans une bande dessinée, en train de naviguer entre les différentes terres du multivers de DC Comics avant le plan social de l’arc Crisis on Infinite Earth.
Outre le vaisseau-mère-Sepultura, la première de ses « déclinaisons » est donc Soulfly, le groupe fondé par Max Cavalera après son départ en 1996. Au volant de ce véhicule tout-terrain, ce dernier continue d’explorer (et d’exploiter) le filon du « world metal ». Au début des années 2000, Max a même réussi, par un tour de passe-passe incroyable, à se faire introniser « parrain » du mouvement Nu Metal (au milieu de groupes comme KoЯn, Limp Bizkit, les Deftones ou Slipknot). L’autre projet parallèle, c’est Cavalera Conspiracy, qu’il a fondé (à nouveau avec son frère Igor à la batterie), après que ce dernier ait à son tour quitté Sepultura en 2006. Là, on est davantage dans la mouvance du thrash metal orthodoxe, qui mise tout sur l’efficacité, à défaut de finesse ou d’originalité.

© 2017, Nuclear Blast
Sepultura est – de ces trois incarnations – celle qui reste à ce jour la plus ambitieuse et « expérimentale » mais aussi celle dont les efforts sont les moins couronnés de succès. Il faut quand même reconnaître qu’ils viennent de passer 15 ans à enchaîner des albums « high concept » inspirés, en vrac, de La Divine Comédie de Dante, d’Orange mécanique ou de Métropolis… et justement pas très inspirés.
Machine Messiah est un disque résolument plus modeste et infiniment plus réussi que ses prédécesseurs. L’album est direct, clair, ce qui est déjà un immense progrès par rapport à la production du groupe de ces vingt dernières années (ces agrégats informes de chansons souvent médiocres). Il contient même quelques bons morceaux. Le morceau-titre, qui ouvre l’album, ou encore Sworn Oath (peut-être la meilleure piste de tout le disque) donnent au chanteur, Derrick Green, tout l’espace nécessaire pour qu’il s’exprime (et il faut dire qu’il chante fort, le bougre). Iceberg Dances est un patchwork instrumental sans queue ni tête mais qui reste assez réjouissant. Plus étonnant, l’album est truffé à certains endroits de samples et de nappes de claviers orchestraux qui pourraient paraître complètement hors-sujet mais qui s’avèrent sacrément entêtants (comme sur le titre Phantom Self). Ce n’est pas parfait. Ça ne fait pas un grand album mais c’est… suffisant… pour qu’un amateur y jette une oreille, peut-être pas pour qu’un néophyte s’y intéresse.
In fine, Machine Messiah ne fait que poser un problème récurrent : celui de l’évolution d’un groupe (ou d’une série, ou d’une franchise…) et nous fait toucher du doigt ce qu’on pourrait appeler le « paradoxe du fan ». Ce n’est pas Roots (pour ça, il faut se tourner vers n’importe quel album de Soulfly). Ce n’est pas non plus un retour aux sources (pour ça, écoutez Cavalera Conspiracy). Au final, c’est un album qui risque de ne susciter au mieux qu’une indifférence polie. Parce que tout le monde ou presque, parmi les amateurs de Star Wars, va préférer Le Réveil de la Force à La Menace fantôme. Mais, dans le même temps, une majorité de ces mêmes fans va reprocher à l’épisode VII de J. J. Abrams son manque d’originalité. La question n’est donc peut-être pas tant de savoir si Sepultura est aujourd’hui vivant et ressuscité ou si c’est un groupe zombie ? Parce que ça change pas mal de choses…
P.S. : Et en parlant de zombies, plutôt que de vous faire manger le cerveau par The Walking Dead, vous pouvez aussi secouer la tête là-dessus (petit « shot » de nostalgie).