
#Critique Sherlock 4.1 : reculer pour mieux sauter ?
Comment satisfaire une fanbase complètement accro sans perdre le fil et l’âme de la série ? Faut-il payer de retour l’attente à peine atténuée par un épisode spécial fin 2015 ? Ou de tout ce contexte est-il nécessaire de s’extraire pour continuer à raconter une histoire crédible, moderne et qui reste fidèle à l’esprit d’origine ? Il semblerait que la ligne adoptée par Mark Gatiss et Steven Moffat rencontre beaucoup de critiques en ce début de saison 4.
Attention ! Si vous n’avez pas vu l’épisode, ne lisez pas plus loin, vous risquez de vous faire SPOILER très fort.
Que l’attente fut longue, que l’on soit simple spectateur ou fan de base ! Les personnages actualisés de Sir Arthur Conan Doyle, la belle homogénéité du casting, les clins d’œil au matériau originel, la musique incroyable et les scénarios vertigineux, en trois saisons de trois épisodes, les compères Moffat et Gatiss ont imposé une série de référence pour le personnage de Sherlock qui a déjà connu un nombre conséquent d’avatars, tous supports confondus. Un épisode spécial plus tard, il revient, le « plus tellement sociopathe » de Baker Street et si Watson s’épanouit dans la paternité (enfin, c’est ce qu’on dit des nouveaux parents qui croulent sous les couches et le vomi entre deux presque siestes), sa femme et son meilleur ami lui font des infidélités professionnelles, s’amusant comme des gosses à résoudre le tout-venant des mystères britanniques. Les deux esprits brillants, complices, délaissent peu à peu le troisième larron et vont jusqu’à le comparer à un animal de compagnie…
Cet effacement du brave docteur est un des premiers griefs retenus contre ce premier épisode et pourtant… il justifie à lui seul la fin, la place laissée par la mort de Mary pour que les deux acolytes reviennent sur le devant de la scène. Sherlock néglige les liens qu’il a tissés presque malgré lui, comme l’expliquait plus tôt Déborah Gay dans sa critique, c’est vrai. Mais n’est-ce pas totalement volontaire, nécessaire pour relancer la machine ?
Mary out, Watson fâché et à nouveau en deuil, Moriarty en suspens, et l’ombre des requins (Magnussen, encore ?) qui plane, la mention de Sherrinford (Redbeard ? Le frère absent ?), tout laisse présager une conclusion en apothéose pour le 13e et peut-être dernier épisode avant longtemps. Je pense qu’on oublie vite que ce sont à chaque fois des trilogies, que souvent les épisodes écrits par Mark Gatiss (comme c’est le cas ici) sont des expositions plus intimistes, pudiques, posant des bases pour la suite (The Hounds of Baskerville, par exemple, qui est l’un des épisodes les plus émotionnellement faibles, mais qui participe à crédibiliser tout le reste).
Alors bien sûr, le ton est plus sombre. Après les envolées matrimoniales, Sherlock nage en plein bonheur et parvient même à trouver une place et un intérêt à jouer les parrains modèles, ses amis n’ont plus besoin de preuves d’amitié de sa part, tout semble acquis. Mais The Six Thatchers, c’est le temps des conséquences, si on en croit les auteurs : Watson, négligé, regarde ailleurs et ne s’amuse plus de faire tapisserie, Mary affronte son passé de mercenaire, doit-on s’attendre par la suite à un Sherlock qui se prend de plein fouet le relâchement de ses émotions comme un retour de flamme fatal ? « Save John Watson » *: Est-ce à dire que le grand Holmes devra à son tour se sacrifier pour protéger un ami ?
Quoi qu’il en soit, ce qui déplaît dans cet épisode — un Sherlock plus humain et qui donc perd un peu le contrôle sur ce qui l’entoure — pourrait bien être le gage d’une suite comme on les aime, en puzzle de montagnes russes, à la fois étourdissant et clôturant toutes les pistes vers une résolution qui nous laisse sans voix.
La déception est compréhensible dans la mesure où les premiers épisodes des saisons précédentes ont scotché tout le monde, mais le contexte n’est pas le même et les attentes trop élevées provoquent frustration et mécontentement. Ce curieux « 4.1 » s’impose comme une transition, voire une conclusion de la saison précédente, il va falloir attendre The Lying Detective pour un nouveau tour de grand huit. Même si certains, dont je suis, n’ont pas hésité à revisionner l’objet du délit le jour-même. Croyez-moi ou non, une fois les attentes assouvies, on peut apprécier la délicatesse d’écriture de Gatiss et ses punchlines à peine surlignées.
Enfin, pour être tout à fait honnête, je rejoins certains mécontents sur la forme. Rachel Talalay, qui réalise pour la première fois sur la série, peine à convaincre avec une mise en scène à la fois frénétique et classique, que ne relèvent pas les habituelles incrustations, aussi originales soient-elles (le flair du chien, le visage de Sherlock et Thatcher fusionnés un instant…) ou encore le passage de fuite de Mary dont la conclusion tombe à plat, ce qui en fait une séquence particulièrement longuette. À moins que ce ne soit la direction d’acteur qui pèche ? Watson jette un regard à peine à ses complices (point cancan : son interprète Martin Freeman et Amanda Abbington qui incarne Mary ont mis un terme à une quinzaine d’années de vie commune deux semaines plus tôt), Benedict Cumberbatch a perdu de sa superbe sous de trop nombreuses couches de fond de teint (ça, c’est pas moi qui le dit, ce sont les collègues du Daily Mars qui balancent en coulisses), quand Lestrade et Mrs Hudson font de la figuration tout juste améliorée…
Dernier point, et pas des moindres, la musique ! Michael Price et David Arnold ont beau être crédités, on ne retrouve jamais la puissance des thèmes des épisodes précédents, lors de moments aussi cruciaux qu’une mort, une rencontre. On note seulement (enfin non, on le note pas, faut aller vérifier après coup) une variation un peu sombre du thème de Mary pour souligner le drame, la perte et la crise à venir. (Remember l’étourdissant thème Sherlocked, entre autres.)
Bref, si cet épisode déçoit, on oublie souvent de se pencher sur la technique pour se concentrer hélas sur l’écriture, la plupart des commentaires négatifs attaquant le controversé Steven Moffat, fossoyeur du Doctor Who pour un certain nombre de fans. Or ici, non seulement il n’est pas responsable de l’écriture, mais on sait aussi qu’il n’est pas seul aux manettes de la série. S’il peut se révéler un showrunner critiquable, on lui doit des épisodes (de Sherlock et Dr Who) magnifiquement dialogués et souvent renversants.
The Six Thatchers, on est d’accord, est un des épisodes les plus faibles de la série, donc décevant au regard de l’attente générée par les délais, imposés par les agendas de ses deux stars devenues internationales et nouvelles recrues de l’écurie Marvel. Il reste que, comme les trois autres précédentes trilogies, elle constitue une pierre nécessaire à l’unité d’une série pour laquelle les auteurs refusent de verser dans le fan service, pour continuer à raconter leur histoire de Sherlock Holmes. Gageons qu’ils en seront remerciés a posteriori. En attendant, à tous ceux qui pensent ne plus reconnaître Sherlock Holmes, l’auteur Mark Gatiss a adressé une réponse que son personnage, Mycroft, ne renierait sûrement pas. Et en rimes, non mais !
https://www.youtube.com/watch?v=VxxSAqyrmOM
* : « Save John Watson » : La mission que Mary Watson donne à Sherlock via un DVD, à laquelle elle ajoute après le générique « Go to Hell ». Devra-t-il finir en enfer pour y parvenir ? Si vous aimez vous retourner le cerveau à coup de théories plus ou moins fumeuses, ne loupez surtout pas le reddit dédié à Sherlock !
Pour ma part, ce qui fait de cet épisode le plus faible de la série, ce n’est pas un Sherlock plus humain (bien au contraire), mais le fait qu’il repose intégralement sur le passé de mercenaire de Mary. Cette intrigue ne tient absolument pas debout (même la révélation finale du qui et du pourquoi est très limite) et Amanda Abbington n’a pas la carrure pour que l’on y croit ne serait-ce qu’une seule seconde : dans la séquence marocaine, on voit très clairement que l’actrice n’a jamais tenu une arme de sa vie. Du coup, le personnage de Mary devient un peu ridicule et la séquence au ralenti où elle se prend la balle nous achève complètement.
L’épisode repose sur un personnage et une intrigue bancale, le tout mal mis en scène. Difficile du coup de réaliser quelque chose de correct.