
On a lu… Sorties de Secours de Joyce Farmer
Bien loin des super-héros et des univers fantastiques que nous avons l’habitude de lire, la réédition ce mois-ci de Special Exits chez Delcourt sous le titre Sorties de Secours, nous donne l’occasion de revenir sur une œuvre unique et poignante.
Lars et Rachel vivent dans un petit pavillon dans une banlieue de Los Angeles avec Ching leur chat. Laura, la fille de Lars, vient régulièrement les voir ainsi que Pete son petit-fils. Lars et Rachel sont des gens modestes avec des plaisirs simples. Elle aime confectionner et s’occuper de ses poupées, il collectionne des livres et des pierres. Lars et Rachel ont peu de moyens mais sont heureux ensemble. Mais Lars et Rachel ont quatre-vingt ans, ils sont vieux et ont de plus en plus de mal à effectuer les petites tâches du quotidien. Ceci est le récit de leurs dernières années de vie.
Sujet difficile, mais qui nous concerne quasiment tous, la fin de vie est au cœur d’une œuvre que l’auteur prend à bras-le-corps sans jamais céder au voyeurisme. Habituée à traiter les sujets tabous tels que l’avortement (dans Abortion Eve), Joyce Farmer se livre ici comme jamais auparavant. À travers les quelques deux cents pages de ce roman graphique, c’est l’histoire de ses propres parents qui nous est contée.
Comprendre la force émotionnel de Sorties de Secours, c’est comprendre le parcours de Joyce Farmer. Née en 1938, la scénariste et dessinatrice fut une des pionnières du comics underground dans les années 70. Amie de Robert Crumb, elle fut la fondatrice de l’anthologie Tits & Clits. Devenue garante de cautions judiciaires dans les années 80, ce n’est que dans les années 2000 et la redécouverte de son travail qu’elle se remit à la table de dessin pour créer Sorties de Secours. Véritable travail de deuil après la perte de ses parents.
La forme très simple de l’ouvrage (noir et blanc, gaufrier de huit cases) et sa conservation quasi tout du long du récit, permettent de mettre en valeur la simplicité de la famille et de voir comment, peu à peu, la fin de vie s’installe. Malgré une certaine confusion dans la gestion de la temporalité (mais peut-être n’est-ce pas un hasard), on est happé par le quotidien de ce vieux couple. Encore capable de faire leurs courses ou de manger au restaurant au début de l’ouvrage, nous allons les voir décliner progressivement, de manière presque naturelle. La fatigue s’installe, un accident empêche de marcher et l’envie de sortir s’atténue.
Mais c’est surtout les difficultés financières et, au-delà, les carences d’un système mettant de côté les moins aisés qui sont pointées du doigt. Lars et Rachel vieillissent chez eux plus par nécessité que par choix. De fait, c’est leur fille Laura qui sera leur aide jusque dans les besoins les plus intimes. La charge est encore plus virulente au moment où l’hospitalisation et le séjour en maison de retraite s’avèrent nécessaire. Entre des médecins pratiquant des surinterventions et des aides-soignants incapables de prendre en compte les besoins particuliers les plus élémentaires, c’est toute une structure qui est critiquée. Que le lecteur français ne se réjouisse pas néanmoins, à peu de chose près, Sorties de Secours pourrait se passer dans notre pays, si ce n’étais un système de protection et de prévoyance plus égalitaire (mais jusqu’à quand ?).
Parcouru de moments durs et troublants, Sortie de Secours est aussi la mise en valeur d’une période nécessaire qui permet de faire le point sur sa vie, de transmettre et de profiter de chaque petit moment. La simplicité d’un voyage en train – et la joie qu’il procure à Lars – est ainsi un des moments les plus touchants de l’œuvre, de la même manière que ces confidences entre une femme et sa belle-fille. Farmer ne dépeint pas des personnages angéliques. Lars et Rachel sont montrés aussi comme des têtes de mules et c’est parce que Sorties de Secours est tout en nuance qu’il en est que plus touchant.
Sorties de Secours (Outsiders, Delcourt, Fantasgraphic Book)
Écrit et dessiné par Joyce Farmer
Prix : 21,50 €