#Critique Stupeflip – Stup Virus

#Critique Stupeflip – Stup Virus

Note de l'auteur

Le monde va mal, les extrêmes grattent à la porte du pouvoir quand, dans le même temps, la révolution gronde au sein des populations excédées par les manigances de ses anciens dirigeants… En parallèle, des bactéries mutantes commencent à résister aux antibiotiques et le changement climatique menace de plonger la planète sous les eaux, voire dans une nouvelle ère glacière. Symptôme de ces temps troublés, le Stupeflip C.R.O.U. est de retour après un long silence pour annoncer l’avènement d’une autre ère, l’ère du Stup. À vos cagoules.

Au départ, ça avait commencé comme une blague, un morceau marrant qui circulait sur Internet, Depuis qu’je fume plus d’shit aux paroles aussi délirantes que réalistes avec en invité mystère un Jacno embrumé… Un joli hameçon pour l’album qui avait suivi (Stupeflip – 2003) et n’avait rien à voir, beaucoup plus lugubre et agressif que ne le laissait présager le single. La France mal réveillée découvrait le Stupeflip C.R.O.U., un gang de terroristes musicaux utilisant le rap comme Gogol Premier le punk en son temps, ingérables et délibérément hors du système.

EXE livret CD 2 p BDUne vraie bouffée d’oxygène putréfié impossible à caser dans la catégorie rap français tant Stupeflip prend un malin plaisir à envoyer les codes du genre aux orties. Problème, la machine se rebiffe et devant le succès trop modeste du deuxième album du groupe (Stup Religion – 2005) et le caractère foncièrement anticonformiste des mecs, leur maison de disques (BMG pour ne pas les nommer) décide de couper les ponts, allant même jusqu’à retirer les albums des bacs.

Casse la tienne (dixit Béru), King Ju (Julien Barthélémy), Cadillac (Stéphane Bellenger) et MC Salo (Jean-Paul Michel) navigueront désormais en indépendants, forts de leurs expériences et d’une base de fans dévoués, à la limite de la secte païenne ! L’album suivant, The Hypnoflip Invasion (2011), reflètera d’ailleurs parfaitement l’état d’esprit de ses auteurs, sombre, ultraviolent et inclassable. Le titre Stupeflip Vite !!! résume la situation et renvoie à leurs études (si tant est qu’ils en aient fait) les rappeurs français dans leur ensemble. Ça dérange, ça sent le vécu, c’est cru, c’est le C.R.O.U.

King Ju, bien pensant

King Ju, bien pensant

Six années et pas mal de galères plus tard, Stupeflip réalise un petit tour de force. Résolus à éviter comme la peste une quelconque compromission avec une major (qui, de toutes manières, aurait probablement eu la trouille), nos terroristes bienveillants font appel au peuple pour financer leur nouvel album. Leur opération de crowdfunding sur la plate-forme Ulule avait pour objectif de réunir 40 000 €, et devinez quoi ? C’est près de 145 000 € qui seront récoltés en 48h pour un total de 427 000 € au final ! Alors BMG ? Un commentaire ?

C’est donc auréolé d’un soutien populaire immense que débarque Stup Virus, quatrième album et demi du groupe en quatorze ans. Et c’est également là que le critique musical trouve les limites de son expression… Parce que la musique de Stupeflip, ce n’est pas que de la musique. Le concept du groupe, le contenu des morceaux, l’iconographie et même les tenues des mecs, tout cela forme une entité chaotiquement cohérente (on peut le dire ça ?) qui s’apparente à de l’art brut, voire même brutal ! Or, quel critique d’art peut se permettre de dire que La Joconde, c’est mieux ou moins bien que La Cène ?

StuPunish Yourself, crédit photo RIP

StuPunish Yourself, crédit photo RIP

Du coup, difficile de vous parler de la puissance des basses, de la qualité des samples (majoritairement à base de musique symphonique) et des boucles concoctées à la maison par King Ju, ou même des paroles tant l’ensemble ne peut s’apprécier pleinement qu’au travers du tout. Autrement dit, si Stup Virus doit être le premier album de Stupeflip que vous écouterez, il y a de fortes chances que vous n’y compreniez pas grand-chose ! Mais qu’importe, car la qualité de l’objet parle d’elle-même. L’aspect surréaliste, voire dadaïste du truc lui donne une force d’attraction qui entraîne l’auditeur irrémédiablement pour finir par en faire un disciple du C.R.O.U. en dépit de sa volonté et du bon sens (quoique).

La terrible noirceur de Creepy Slugs, l’impudicité dérangeante de 1993, l’efficacité d’Understup et de The Antidote ou encore les errances synthétiques de Lonely Loverz et surtout de Forcefield (avec en guest la sémillante Sandrine Cacheton, voix de synthèse féminine du Macintosh de King Ju), tout cela suffirait à convaincre le plus crade des coreux comme le hipster à moustache.

Et c’est d’ailleurs le principal talent de Stupeflip, une vision artistique transgenre, couvrant de multiples disciplines, à des kilomètres des contingences commerciales et qui, de fait, est susceptible de séduire tout le monde pour peu d’avoir l’esprit ouvert ! Et avec Stup Virus, le groupe se propose de pratiquer l’opération au décapsuleur rouillé…

 

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