On a lu…The Authority : Les années Stormwatch (T.1) de Warren Ellis

On a lu…The Authority : Les années Stormwatch (T.1) de Warren Ellis

Note de l'auteur

Décennie phare dans l’univers des comic books, les années 90 connurent de grands bouleversements pas toujours bien heureux sur le plan artistique et économique. Souvent décriée pour la piètre qualité de sa production, cette époque vit pourtant l’émergence d’œuvres majeures dont l’influence peut encore se percevoir aujourd’hui. Parmi ces titres, un sort du lot. Son nom : Stormwatch. Son maître d’œuvre : Warren Ellis.

 

the-authority-les-annees-stormwatch-t1-4En mai 1995, La Haine sortait sur les écrans et Jacques Chirac était élu président de la République française. Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro nous offraient La Cité des enfants perdus et les enfants que nous n’étions déjà plus versaient une larme pour Christopher Reeve victime d’un accident qui venait de le rendre tétraplégique. Celui qui fut et restera à jamais Superman à l’écran passera le reste de sa vie dans un fauteuil et prouvera par son combat qu’il restait digne du rôle qui l’a rendu célèbre. Pour les amateurs d’histoires de super-héros, le mois de mai 1995 reste également une date importante en France. C’est en effet à cette époque que l’éditeur Semic édita en kiosque deux nouvelles revues : Spawn et Youngblood. Dans les mois qui suivirent, nous vîmes WildC.A.T.s, Savage Dragon, Gen13, Cyberforce, Witchblade ou bien encore Wetworks.

 

Ces séries furent les premières d’une toute nouvelle maison d’édition créée en 1992 et qui allait devenir bien grande : Image Comics. L’histoire est aujourd’hui bien connue. Après avoir claqué la porte de Marvel, les dessinateurs les plus vendeurs d’alors décidèrent de fonder un studio avec comme but de permettre aux auteurs de créer des histoires sur lesquelles ils conserveront les droits. Si la cause est noble, le résultat initial fut largement décevant. Personnages musculeux à l’extrême, violence gratuite et bimbos sur-siliconées, les premières productions Image sont un ramassis de clichés ambulants qui pourraient presque être acceptables si elles n’étaient pas, pour la plupart, doublées de scénarios affligeants, véritables fac-similés des séries Marvel d’alors (les X-Men et les Avengers notamment).

 

the-authority-les-annees-stormwatch-t1-1Le succès est toutefois au rendez-vous des deux côtés de l’océan, et malgré la piètre qualité de l’ensemble, force est de reconnaître qu’elle donna un coup de pied bienfaiteur dans la fourmilière et que les deux gros éditeurs, Marvel et DC, durent se remettre en question. Toutefois, il devint vite évident que la fulgurance des débuts ne durerait pas éternellement et qu’il manquait des véritables scénaristes à la barre. Ainsi au milieu des années 90, tandis que Jim Lee ou Rob Liefeld allaient s’amuser à relancer certains héros Marvel à l’occasion de Heroes Reborn¹, Alan Moore repris en main Supreme et en fit une relecture du personnage de Superman et des héros de l’âge d’or. Celui qui avait déjà remis sur les rails WildC.A.T.s établit ici une œuvre passionnante. Mais il ne fut pas le seul à marquer cette époque.

 

 

 

Pour les lecteurs amateurs de Jim Lee que nous étions, la série WildC.A.T.s était immanquable (et, avouons-le, on la considère encore aujourd’hui comme un bon plaisir coupable). Longtemps seule série du studio Wildstorm publiée en France, nous pûmes découvrir à l’occasion du crossover Wildstorm Rising d’autres séries qui gravitaient autour de celle-ci, parmi lesquelles Stormwatch. Organisation sous mandat des Nations Unies, elle regroupe au sein de deux équipes, plus d’une dizaine d’êtres aux super-pouvoirs dont la mission est d’intervenir et de gérer des situations de crises. Dirigé par Henry Bendix, leur base d’opération est le satellite Skywatch en orbite autour de la Terre.

 

Lancée en mars 1993 par Brandon Choi, Jim Lee et Scott Clark au dessin, Stormwatch peut se voir comme un mix des Avengers, de la Justice League et du S.H.I.E.L.D., le tout à la sauce Image. Mais à l’instar des autres séries du studio Wildstorm, elle ne déborde pas de qualité, tout au plus pouvons-nous noter l’idée d’un saut dans le temps annonçant de gros changements². C’est pourtant dans ces pages qu’eurent lieu la naissance d’une nouvelle ère. En juillet 1996, l’équipe sort en effet du crossover Fire from Heaven et doit se réorganiser. Mais la véritable révolution à lieu ailleurs. Succédant à Drew Brittner, Warren Ellis prend en main le scénario de la série à partir de Stormwatch #37 et rien ne sera plus comme avant. Scénariste anglais, Warren Ellis est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands auteurs de comic-books grâce à des œuvres comme Transmetropolitan, The Authority, Planetary ou bien encore Iron Man – Extremis. Mais, en 1996, il est encore un jeune scénariste dans la profession. Avant cette époque, on a pu le voir œuvrer sur Excalibur, Thor ou bien encore Doom 2099. Mais c’est en arrivant chez Image qu’il va effectuer sa mue. S’il lance et écrit les premiers numéros de DV8 (une version trash des équipes de jeunes ados), c’est bel et bien avec Stormwatch qu’Ellis va apposer sa marque. Comme indiqué sur la couverture de son premier numéro, la série entre dans une nouvelle ère.

 

Dès les premières pages, le personnage de Bendix (porte-parole du scénariste) fait un ménage en profondeur. S’éloignant de la structure classique des équipes de super-héros, il vire la majorité des membres de l’équipe et crée trois groupes plus restreints. Au fil des pages qui nous présentent cette refonte, on se rend rapidement compte qu’Ellis s’éloigne de la tonalité de l’univers Wildstorm pour dépeindre un univers plus crédible dans la représentation de ses menaces. Le mantra de l’équipe change subtilement. Celle-ci devient beaucoup plus réactive aux menaces qui prennent de nouvelles formes. Une réactivité qui bascule même dans la pro-activité avec l’arrivée de deux nouveaux personnages : Jenny Sparks et Jack Hawksmoor. Création de Warren Ellis, ils seront l’incarnation de la nouvelle donne qu’apportera le scénariste sur la série.

 

the-authority-les-annees-stormwatch-t1-6Le changement est percutant à tel point qu’on se retrouve à lire une nouvelle série effaçant totalement ce qui précède³. Coquille vide tout juste bon, à se battre, les personnages de Stormwatch révèlent leurs profondeurs et la multiplicité de leurs facettes. Dans Stormwatch #46 le personnage de Winter (leader du groupe et personnage présent depuis le début de la série) veut renforcer les liens entre les différents membres de l’équipe à l’occasion d’une soirée dans différents bars. Si l’intention est bonne, il découvrira vite qu’il est le dernier à l’avoir eu et que plusieurs membres de l’équipe ont déjà tissé des liens en dehors du boulot. D’un coup, les figures héroïques classiques (du moins celles mises en avant par Image jusqu’alors) apparaissent déconnectées de la réalité.

 

 

 

 

Publiée à partir de 1996, Stormwatch est autant une série qui a influencé son média qu’elle est un produit de son temps. Et s’il existe une œuvre populaire qui marqua fortement cette époque, c’est bel et bien la série X-Files. On retrouve ainsi dans Stormwatch ce climat de paranoïa propre à la série de Chris Carter. « Ne faites confiance à personne », « la vérité est ailleurs »… ces leitmotivs célèbres, Ellis les fait sien en écrivant sa série. Au fur et à mesure des numéros, les personnages se rendent compte que quelque chose ne tourne pas rond. Programme gouvernemental destiné à créer des super-humains en tant qu’arme de guerre et héros se révélant traître. Rien ne va plus au royaume des super-héros ? Pas si sûr.

 

the-authority-les-annees-stormwatch-t1-5Certes Warren Ellis refuse de plus en plus de voir dans les membres de Stormwatch des super-héros classiques ce qui ne l’empêche pourtant pas de les transfigurer à travers les personnages de Jack Hawksmoor et Jenny Sparks. Enlevé par des aliens qui firent sur lui des expériences, Jack Hawksmoor tire ses pouvoirs de la ville et des métropoles. Avec lui, Ellis renouvelle la figure du super-héros urbain en établissant un lien direct et charnel avec ce qui était auparavant une symbiose sous-entendue au sein du genre depuis l’apparition (au moins) de Superman. Personnage en retrait au début, il prendra peu à peu de l’ampleur notamment à travers Stormwatch #43 dans lequel il traque un tueur psychopathe.

 

Disposant d’un contrôle total sur l’électricité, Jenny Sparks est décrite comme étant « l’esprit du 20ème siècle ». Née le 1er janvier 1900, elle rejoint Stormwatch après avoir eu une vie bien remplie en drames ce qui l’a rendue désabusée et cynique quant à son rôle. C’est à travers elle que Warren Ellis va s’amuser à tracer une histoire du super-héros au sein de son univers. Histoire qui, bien sûr, est l’écho de celle du comic book. Invitée par Battalion à raconter sa vie, Jenny Sparks va, à contrecœur, s’exécuter dans Stormwatch #44. L’occasion alors pour le scénariste d’établir un vaste panorama de presque 60 ans d’histoires. L’ingéniosité d’Ellis (aidée en cela par le talent au dessin de Tom Raney) est de montrer sous un jour nouveau ces histoires. Maestria visuelle rendant hommage, entre autres, à Joe Shuster, Will Eisner, Jack Kirby ou bien encore Dave Gibbons l’épisode traite autant du racisme que de la conquête spatiale ou de l’évolution du super-héros.

 

the-authority-les-annees-stormwatch-t1-8Créations de Warren Ellis, Jenny Sparks et Jack Hawksmoor vont être les piliers de la réflexion qu’il construit au fur et à mesure de son run. La série à peine achevée au numéro #50, il la relance au numéro #1 pour mieux accentuer la fracture idéologique qui s’établit après Change or Die. Accentuant encore plus le climat de paranoïa et versant allègrement dans les concepts de science-fiction les plus intéressants (notamment avec l’arc Bleed), Warren Ellis pousse ses héros dans leurs derniers retranchements. Chant du cygne d’un genre dont les figures se renouvellent, le run d’Ellis pose les bases de ce que seront les super-slips dans les années 2000. Si les années 90 commencèrent mal pour les comic books de super-héros, Stormwatch #37 signe le début d’un renouveau passionnant. Ainsi, derrière Ellis viendra Grant Morrison et sa JLA (dont Urban commencera la réédition début 2017) où Batman, Superman & co sont décrits comme des divinités prêtent à enchaîner les douze travaux. Stormwatch représente également une date clé pour l’auteur, comme si un déclic s’était fait durant l’écriture de ce run. Ainsi au même moment que Stormwatch #1 est publié, l’auteur se lance dans son œeuvre la plus forte : Transmetropolitan.

 

La fin cataclysmique de Stormwatch permet à Ellis d’aller au bout de la réflexion quant au rôle du super-héros au sein de son monde. La plupart des membres ayant perdu la vie lors des événements de la mini-série WildC.A.T.s/Aliens, Stormwatch est dissout mais de ses cendres va naître une nouvelle équipe. Jenny Sparks, Jack Hawksmoor, Swift sont rejoints par Appolo, Midnighter, le Docteur et l’Ingénieur et décident de former une équipe beaucoup plus proactive destinée à changer le monde en s’affranchissant de toutes les règles et de toutes les lois autres que les leurs. Épaulé par Brian Hitch au dessin, Warren Ellis frappera à nouveau un grand coup avec The Authority. Mais cela est une autre histoire.

 

Action Comics #1, Detective Comics #28, Showcase #4, Fantastic Four #1, Amazing Fantasy #15, Green Lantern/Green Arrow #1, The Saga of the Swamp Thing #21, Watchmen, Batman – The dark Knight Returns… Chaque décennie a connu des œuvres qui ont considérablement influencé la production et la tonalité des histoires.  Avec Stormwatch, Warren Ellis établit un travail de déconstruction et de reconstruction du super-héros dont on peut voir l’impact dans les années 2000. Série à l’impact méconnu, elle fait pourtant le lien entre les super-héros des années 90, héritiers de Watchmen et ceux des années 2000 beaucoup plus interventionnistes.

 

 

 

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The Authority : Les Années Stormwatch – Tome 1 (DC Essentiels, Urban Comics, DC Comics) comprend les épisodes US de Stormwatch #37 à #47

Écrit par Warren Ellis

Dessiné par Tom Raney (#37 à #40 et #42 à #46), Michael Ryan (#41) et Jim Lee (#47)

Prix : 22,50 €

Ce texte est une version corrigée de l’article initialement publié le 5 décembre 2014

 

 

¹ Suite à l’énorme saga Onslaught en 1996, les Avengers, Hulk et les Fantastic Four furent considérés comme morts. En fait, ils évoluèrent dans un nouvel univers et redémarrèrent leurs aventures aux numéros 1 sous l’égide de Jim Lee, Rob Liefeld ou Whilce Portacio. Cet ancêtre de l’univers Ultimate eut toutefois la vie courte et tous les héros réintégrèrent l’univers classique au bout d’une année de souffrance pour le lecteur.

 

² Prenant pour prétexte le voyage dans le temps d’un de ses membres, la série passe directement de l’épisode #9 à l’épisode #25 pour revenir ensuite au numéro #10. Les épisodes suivants auront alors comme but de raconter le cheminement jusqu’aux événements aperçus dans le futur.

 

³ On remarquera d’ailleurs qu’alors que les épisodes de Warren Ellis sont régulièrement réédités en librairie aux USA, les trente-six premiers épisodes n’ont jamais connu cet honneur.

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