
Critique What Remains of Edith Finch
L’avènement du jeu indépendant a vu arriver un genre particulier : le walking simulator, ou « simulateur de marche » plus vulgairement. Le genre consiste à vous placer dans la peau d’un personnage à la première personne et de dérouler une histoire suivant l’avancement du joueur, qui se balade dans les décors de façon linéaire. Une méthode de narration que de plus en plus de développeurs utilisent pour raconter une histoire forte, et c’est exactement l’ambition de What Remains of Edith Finch.
Edith Finch est une jeune femme faisant partie d’une grande famille dont l’aïeul d’origine norvégienne est arrivé aux États-Unis avec sa femme au début du siècle dernier, dans l’espoir de vivre le rêve américain. Mais tous les membres de la famille sont aujourd’hui décédés, pour des raisons plus ou moins mystérieuses, et Edith se retrouve seule survivante de cette lignée. Elle revient dans l’étrange maison familiale, bâtiment à l’allure atypique où s’enchevêtrent de multiples salles rajoutées au fil des années, donnant à la bâtisse et à ses environs une atmosphère mystérieuse et fantastique. Pour tout héritage, Edith n’a le droit qu’à une seule clé, et les mystères commencent lorsque le joueur se rend compte qu’elle n’est pas utilisée pour déverrouiller la maison, mais pour toute autre chose.
À l’instar de Gone Home, le jeu vous demande d’explorer toute la maison en espérant découvrir l’histoire de cette famille, et reconstituer le puzzle étalé sur plusieurs générations. Mais What Remains of Edith Finch arrête ici la comparaison : au lieu de fouiller les tiroirs et tenter de reconstituer soi-même les événements passés, le jeu préfère diriger l’histoire en racontant celle de chaque personne ayant un jour ou l’autre habité cette maison. Comme les pièces ont été verrouillées par la mère d’Edith, par peur et par chagrin, il s’agira au joueur de dénicher les mécanismes et passages secrets permettant de découvrir l’envers du décor. On est d’abord surpris par la minutie de chaque lieu, les pièces regorgeant de détails qui installent une atmosphère propre à chaque protagoniste, présentant la face visible de l’iceberg, avant de découvrir un document, un journal intime ou une lettre détaillant la psyché de ces personnages et leur passé.
Tout l’intérêt du jeu est donc de découvrir chacune de ces histoires, de leur vie et de leur mort, et il serait injuste de spoiler dans ces lignes en quoi chaque histoire apporte sa pierre à l’édifice, certaines de façon grandiose. Il y a des séquences qui ne dureront que quelques minutes tandis que d’autres vous emportent littéralement dans une expérience étonnante. La force de Giant Sparrow, qui a déjà à son actif un certain Unfinished Swan, est d’amener le joueur à incarner chaque personnage de différente manière, caractérisant les séquences de jeu pour différencier les personnalités. Que ce soit sur la typographie, sur le visuel pur ou même parfois sur de la mise en scène, What Reminds of Edith Finch regorge d’inventivité pour amener le joueur à s’associer au narrateur. Tout le concept de jouer les dernières heures d’un personnage pourrait rendre l’expérience un brin glauque, mais Giant Sparrow raconte son histoire avec une telle finesse que l’aventure devient mélancolique, poétique voire absurde par moments.
Tour à tour, chaque histoire devient touchante, enivrante, toujours sur le fil dangereux qui pourrait le faire chuter dans le pathos vulgaire. On se souviendra longtemps des histoires de Molly ou de Lewis, qui enchaînent avec maestria les idées de game design en portant l’émotion avec une intelligence rare. L’histoire de Gregory parvient même à franchir l’un des grands tabous du jeu vidéo, ce qui donnera une séquence courte, mais lourde de sens et absolument exceptionnelle. C’est parce que chaque idée de gameplay se concentre sur la « réalité » de chaque protagoniste que What Reminds of Edith Finch tire une force incroyable dans sa narration : grâce à la vision « à la première personne », les séquences permettent au joueur de littéralement accompagner les personnages, en jouant sur l’empathie du membre de la famille Finch que l’on incarne et dont on comprend les doutes, les peurs et le regard sur le monde qui l’entoure.
Cette pluralité de points de vue est la grande force de What Remains of Edith Finch. D’un point de départ axé sur le rêve américain, on se retrouve coincé avec une galerie de personnages à la personnalité un brin désabusée suivant leur âge, leur condition et leur position sur l’échelle sociale. Du grand-oncle apeuré par la guerre froide et plongé dans une paranoïa extrême au frère cadet dont le mélange entre le rêve et la réalité le conduiront à une issue tragique, en passant par le petit frère littéralement coincé dans son imaginaire (merveilleuse utilisation de la référence interne cachée), tous les membres de la famille deviennent les témoins d’une Amérique pleine de désillusions et d’amertume. Au point que cette fameuse « malédiction » n’est peut-être qu’un moyen caché de forger leur carapace pour ne pas avoir conscience de la réalité. Ou peut-être que cette malédiction est bien réelle.
What Remains of Edith Finch n’est pas bien long, et prendra entre deux et trois heures au joueur aguerri pour en voir le bout. Toutes les histoires ne sont pas aussi fortes les unes que les autres (et heureusement, dans un sens) et il y a malgré tout une petite frustration qui vient poindre le bout de son nez quand le générique arrive, l’envie d’en savoir encore plus. Mais il serait dommage de passer à côté tant le titre regroupe quelques-uns des meilleurs passages de jeu vidéo de cette année, parvenant à tirer le genre du walking simulator hors des sentiers battus pour redorer un blason qui commençait un peu à dépérir. What Remains of Edith Finch est une ode tragique à la réalité américaine, une œuvre intrigante, parfois étonnante, souvent brillante, autant sur la forme que sur le fond. On attend maintenant la prochaine œuvre de Giant Sparrow avec une impatience non dissimulée.
What Remains of Edith Finch
Développeur : Giant Sparrow
Editeur: Annapurna Pictures
Prix : 20 euros
WHAT REMAINS OF EDITH FINCH Launch Trailer par play3-live
Le travail est créatif, les trouvailles narrative sont originales et fortes de sens.
Mais peut-on appeler ça un jeu ?..une histoire interactive à la limite.
( avis d’un vieux con.)
C’est un peu comme Old man’s journey.
Cela dit, si c’est le seul genre accessible pour des micro studios qui veulent s’exprimer, c’est super.
C’est une question super délicate: est-ce un jeu ou une histoire interactive ? Il faudrait définir ce qu’est un jeu.
Pour ma part, je le vois comme la capacité d’incarner un personnage et pas de simplement suivre une histoire.
A partir du moment où on donne la possibilité au joueur de fouiller à son rythme, de voir des détails que d’autres ne verront pas en regardant les salles ou de faire certains choix, même minimes, ça devient un jeu.
Finalement, c’est peut-être la différence d’expériences entre les joueurs et ce qui lui sera raconté par ses actions qui fait un jeu, et non le manque d’interactions.
Après, bon, c’est mon avis purement personnel ^^