
#Critique Wonder Woman (T.1) Dieux et Mortels de George Pérez
C’est l’année Wonder Woman. Certes nous l’avons déjà dit, la sortie au cinéma d’un film consacré à la plus grande des super-héroïnes est aussi l’occasion d’une multitude de sorties d’ouvrages. Mais malgré le cycle de Greg Rucka, l’anthologie Wonder Woman ou bien la future sortie du Wonder Woman – Earth One de Grant Morrison et Yanick Paquette, une absence de taille se faisait cruellement sentir jusqu’à aujourd’hui. Avec Wonder Woman – Tome 1 : Dieux et Mortels, Urban comble enfin un manque qui dure depuis presque trente ans, celui d’une édition française de la période la plus essentielle de l’Amazone.
Ça raconte quoi ?
Peuple créé par les Dieux de l’Olympe, les Amazones vivent pacifiquement depuis des siècles à Themyscira, une île cachée de tous. Gardiennes d’un portail retenant une force maléfique, ces immortelles sont à la fois guerrières, bâtisseuses et artistes. Vint le jour où l’oracle Menalippe a la vision d’un grand danger que seule la plus vaillante guerrière pourra affronter en quittant l’île. Après une compétition pour déterminer l’Amazone la plus apte à remplir la mission, le résultat tombe : c’est Diana, la propre fille de la reine Hippolyte, celle née par une intervention divine, qui devra partir dans le monde des Hommes. Habillée des atouts conçus il y a des dizaines d’années et en possession d’un lasso capable de révéler la vérité, Diana quitte son foyer pour découvrir une société qui ne tardera pas à lui donner un nouveau nom : Wonder Woman.
C’est de qui ?
S’il rend hommage à Greg Porter (coscénariste et initiateur du projet), Len Wein (dialoguiste) ou Janice Race (éditrice) dans l’introduction de l’ouvrage, le maître d’œuvre de la série est George Pérez. Le dessinateur qui sort alors de ce qui est encore aujourd’hui la plus grande saga événementielle du comic book, entame ici un long run de soixante-deux épisodes qui resteront dans l’histoire.
C’est bien ?
Publiée à partie de février 1987, cette relance de la série Wonder Woman est tout simplement un renouveau aussi important que celui de Superman (par John Byrne) et Batman (Année un de Frank Miller) Alors que ces deux derniers personnages étaient toujours présents à l’issue de Crisis on the Infinite Earths, le personnage de Wonder Woman, quant à elle, voyait son voyage se terminer justifiant ainsi le besoin de DC Comics de remettre de l’ordre dans un univers disparate.
Lancée cinq mois après celle de Superman, la refonte de Wonder Woman s’inscrit dans la même logique de modernisme et de conservation des éléments essentiels. D’une manière qui semble presque naturelle, George Pérez va trouver dans le personnage tout une mythologie prompte à résonner dans la société des années 80. Comme il l’a prouvé pendant son cycle sur The New Teen Titans avec son compère Marv Wolfman, le dessinateur sait capter toute une dimension tragique, épique et classique pour la faire épouser (ou même confronter à) l’état ambiant. En cela, Wonder Woman est un parfait exemple de l’adage : « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ».
Les premiers épisodes de la série sont à ce titre un exemple probant. En s’appuyant sur une écriture dense et un dessin détaillé, Pérez prend le temps de raconter la création des Amazones, leur périple, leur chute et leur renaissance. Le contexte posé, Diana peut entrer en scène dans les dernières pages. Un tel étirement aurait de quoi rebuter (bien qu’il n’étonne pas aujourd’hui alors que ce procédé n’est que trop courant) s’il n’apparaissait pas comme déterminant dans les origines même du personnage. Wonder Woman est une Amazone et les Amazones sont Wonder Woman. La notion de collectif et de réunion des capacités et atouts est un des axes de la série et une des forces fondamentales du personnage qui va très vite se trouver opposer à des ennemis caractérisés par l’individualisme et la domination sous toutes ses formes.
On pense bien sûr à Arès, le dieu de la guerre et adversaire principal de Wonder Woman durant les premiers épisodes, mais on pourrait également citer Cheetah ou bien Pan. Mais le premier à apparaître reste le célèbre demi-dieu Hercules, représenté ici (du moins au début de l’œuvre) comme le mâle ultime dans toute sa détestation de la faiblesse et de la femme en tant qu’égal. Son changement durant les quatorze épisodes présents dans le volume fait d’ailleurs parti des spécificités d’une série qui oppose à la violence, la discussion, la compréhension et le dialogue comme résolution des conflits.
Car si la série n’est pas avare en scènes de combat (magnifiées par les dessins d’un George Pérez alors à son meilleur niveau), ceux-ci n’apparaissent jamais comme un moyen de résoudre le problème. Il n’est pas anodin que l’arme des dieux de l’Olympe offerte à Diana ne soit pas une hache ou une épée. Le lasso de vérité est là pour contenir, calmer et révéler les pensées profondes afin de les comprendre et d’en résoudre les problématiques. Ainsi, si les combats sont nombreux face à Arès, l’issue quant à elle touche bien plus à l’intime et l’acceptation de la nature même des protagonistes.
Guerrière douée, Wonder Woman se démarque toutefois de ses camarades super-héroïques seulement évoqués dans ces premiers épisodes. Découvrant un nouveau monde, Diana est sans préjugé. Assoiffée de connaissance, elle met à cœur de tout savoir afin de comprendre au mieux ses interlocuteurs. Mais surtout, elle va rapidement être entourée d’une nouvelle sororité qui sera déterminante dans son évolution dans le monde des hommes. Bien sûr, il y a Stephen Trevor, mais Pérez a l’intelligence de ne plus jouer sur l’attraction amoureuse qui a fait son temps et va offrir un autre destin au militaire. On sera plus intéressé par les personnages de Julia Kapatelis, professeure qui va prendre Diana sous son aile, ainsi que sa fille Vanessa, jeune adolescente qui la prendra comme modèle. On pense aussi à Myndi Mayer, exemple de la working girl de l’époque, fashion victim dans l’air du temps qui ne l’empêche pas d’être une femme qui a pris son destin en main.
Car la série se distingue également par cette lutte contre un déterminisme imposé. Que ce soit les Amazones, Wonder Woman ou bien encore Etta Candy (belle redéfinition du personnage là aussi), toutes vont à un moment ou à un autre montrer qu’elle désire sortir du carcan qu’on leur impose pour retrouver un certain équilibre. C’est d’ailleurs en cela que la série se pose comme une œuvre incroyablement moderne à l’heure actuelle. Écrit avec une grande rigueur scénaristique, Wonder Woman développe des intrigues sur plusieurs épisodes tout en ne mettant jamais de côté l’évolution de ses personnages et en se donnant des pauses nécessaires, prétextes à des changements de formes agréables (Wonder Woman #8 – Le temps passe). Bien que devant composer avec les sagas événementielles de la maison, Pérez arrive néanmoins à les contenir à leur strict minimum.
Il y a des rendez-vous manqués. Celui de Wonder Woman dans les années 80/90 en France fait partie de ceux-là. Mais il n’est jamais trop tard pour se rattraper et l’occasion est trop belle aujourd’hui avec cette édition pour ne pas la louper. Cycle essentiel pour qui veut connaître les aventures de la super-héroïne, Wonder Woman – Tome 1 : Dieux et Mortels est également une preuve éclatante de la grande qualité artistique qui régnait sur la production de DC Comics à l’époque. Prévue en deux tomes (soit tous les épisodes écrits et dessinés par George Pérez), on espère que le succès sera au rendez-vous afin de prolonger la série jusqu’à la fin du cycle de Pérez.
Wonder Woman – Tome 1 : Dieux et Mortels (DC Essentiels, Urban Comics, DC Comics) comprend les épisodes US de Wonder Woman #1 à #14
Écrit par George Pérez, Greg Porter et Len Wein
Dessiné par George Pérez