
#Critiques Des espaces vides de Miguel Francisco
Petit-fils de Républicain espagnol, Miguel tente de remonter le fil de sa propre histoire en la racontant à son môme de cinq ans. Transmission familiale et silences lourds de sens animent ce récit qui ne vous laissera pas de marbre.
L’histoire : comment combler les espaces vides qui parsèment l’histoire d’une famille ? Un dessinateur fait vivre la saga de quatre générations par la voie orale. Cette transmission par le récit à son fils lui permet également de mieux comprendre sa propre histoire, ses propres interrogations. Largement autobiographique, cette BD évoque une famille barcelonaise éparpillée par la Guerre civile espagnole.
Mon avis : prenant et bouleversant. Deux qualificatifs qui collent parfaitement à cet OBNI (objet BD non-identifié). Un travail de mémoire pas loin de la vérité, parsemé de non-dits, de paraboles et de petits silences. Celui d’un homme dans la force de l’âge, qui a peur que l’histoire de sa famille, son histoire, ne disparaisse, ne s’éteigne s’il ne la livre pas à son fils. En déroulant le fil de sa vie, l’auteur perçoit combien le côté taiseux de son grand-père d’abord avec son fils, puis de son père avec sa propre descendance, leur a fait manquer des choses. C’est pour cela qu’il s’empresse d’en parler à son gamin.
Ce n’est pas seulement l’histoire d’une famille. C’est plus généralement l’histoire de l’Espagne au XXe siècle. Une histoire qui a profondément marqué et divisé le pays avec les Franquistes d’un côté et les Républicains de l’autre. De Barcelone, les Francisco sont plus naturellement rivés à gauche. Le papy n’avait ni Dieu, ni maître et partit pour un exil de sept ans pour échapper à la dictature de Primo de Rivera. Quand il revint, il défendit la République jusqu’à ce que les Cocos s’approprient le mouvement. Avant de subir les horreurs de Franco et sa clique. Membre de la CNT-AIT, il vécut en proscrit. Son fils en subit les conséquences et, dès l’enfance, se fit quelques pesos en vidant les cercueils. Ceci explique sa difficulté à parler de lui à l’auteur de cette BD.
Les femmes sont quasi absentes de cette œuvre. On les voit pour la bagatelle mais on dirait qu’elles n’ont influé en rien sur le destin de cette famille. Le patriarcat a eu de beaux jours derrière lui et ce n’est pas fini.
C’est intime, c’est à lire, c’est dur et c’est une vraie trouvaille que vous aurez du mal à lâcher. Vous apprécierez les quelques notes de l’auteur en postface. Elles permettent de démêler le ressenti du lecteur de celui qui a créé cette BD.
Si vous aimez : Les Temps mauvais, Madrid 1936-1939 de Carlos Giménez.
En accompagnement : Maria de Jean Ferrat, tragique et beau comme l’histoire espagnole du siècle dernier.
Autour de la BD : Miguel Francisco Moreno a commencé dans le dessin animé et le jeu vidéo. On lui doit la conception des personnages principaux d’Angry Birds. Il assure le scénario et le dessin de cette BD au trait réaliste.
Extraits :« Ça ne va pas ? Tu es triste ? Qu’y a-t-il ? »
« Papa, quand on meurt comme grand-père, et qu’on a les yeux fermés… C’est comme si on ne pouvait plus bouger et qu’on ne pensait qu’au passé ? »
« Oui… C’est un peu ça… C’est probablement ça, Manu… »
Des espaces vides
Écrit par Miguel Francisco
Édité par Delcourt