
Cyberpunk 2077 : A Bug’s Life
En 2012, alors que Witcher 3 n’était encore que trailers et rêves humides pour amateurs d’héroïc-fantasy, CD Projekt annonce travailler sur l’adaptation de la licence de jeu de rôles papier Cyberpunk, qu’ils vont affubler d’un « 2077 » pour s’éloigner de l’époque originale. En janvier 2013 apparaît alors le tout premier teaser du jeu : une cinématique en full CG démontrant toute l’ambition du studio pour un titre qui apparaîtra sept ans plus tard comme un formidable ratage marketing.
Lorsque le trailer officiel débarque en 2018 pour clôturer une conférence E3 en beauté, avant de revenir dans la fameuse séquence de 45 minutes, l’attente autour du titre franchit un nouveau pas. On nous promet une ville fourmillantes de détails, un impact réel sur le scénario, des classes différentes et une écriture encore meilleure que celle de Witcher 3. Avec leur précédent jeu, CD Projekt s’est forgé une réputation et une confiance en béton auprès des joueurs. Mais une question taraudait déjà les esprits les plus réalistes, ainsi que ceux qui se souvenaient d’un Witcher 3 Day One criblé de bugs en tout genre. Si on savait que la démo tournait sur un PC hors de prix (une vertical slice confirmée dans un récent article de Bloomerg), comment Cyberpunk 2077 pourrait tenir le choc sur les consoles actuelles, les vieillissantes PS4 et XBOX ONE ? Le studio est finalement depuis peu sur le marché du AAA, et l’interrogation était légitime. Lorsque Cyberpunk 2077 sort en fin d’année 2020, la réponse devient claire et nette : non, ce jeu n’était pas fait pour la PS4 et XBOX ONE.
CD Projekt aura beau multiplier les excuses face caméra, promettre de régler les voitures volantes et autres modèles low-poly sur les versions déjà sorties avant les upgrades PS5/XBOX SERIES promises (force aux équipes qui vont encore plus cravacher pour cela), le mal est déjà fait. La confiance établie depuis la sortie de The Witcher 3 n’a pas simplement été égratignée, elle a été ruinée par une communication exécrable (peu ou pas d’images PS4/ONE), une très mauvaise supervision interne qui modifiait continuellement le contenu du jeu et un refus d’admettre que le jeu aurait dû être retardé voire annulé sur des consoles qui appartiennent maintenant à l’ancienne génération. Toute cette cacophonie, portée par des réseaux sociaux pointant le moindre bug du jeu (#Cyberbug2077), est sûrement un mélange entre obligations financières devant les attentes et les précommandes, et la pression de CD Projekt qui est devenu un acteur majeur de l’industrie en un seul jeu.
Pour éviter de croiser le chemin d’un PNJ mal fagoté aux textures douteuses, nous avons donc choisi de tester le jeu sur une version PC, la « Master Race » comme il est coutume de dire dans le milieu. Et lorsque l’on déboule dans les rues de la cité pendant les premières minutes, la suspicion laisse vite place au sourire béat devant la promesse de parcourir un décor aussi splendide. Pour peu que votre machine puisse faire tourner Cyberpunk 2077 correctement, la ville de Night City apparaîtra sous son meilleur jour : une ville incroyable, foisonnante, à la direction artistique aussi tapageuse et séductrice que prévue. Mais c’est également un vrai bonheur de level design. Night City est un vrai plaisir à parcourir, un véritable dédales de ruelles et de tunnels passant sous les autoroutes, jouant à fond la carte de la verticalité. Cyberpunk 2077 possède probablement l’une des villes les plus immersives à ce jour, la vue à la première personne immergeant le joueur comme rarement, avec la réelle sensation de se perdre dans une ville futuriste nourrie par des années d’inspirations du genre.
C’est donc là-dedans que CD Projekt a dépensé sans compter : dans l’incroyable diversité de son univers, dans la variété des assets qui empêche souvent la redondance ou dans le soin apporté aux personnages, principaux ou secondaires. Les modèles sont tellement poussés que l’on peut passer de nombreuses minutes à les scruter dans le mode Photo très complet. Et tant que les animations arrivent à faire ce qu’on leur demande, on décèle une vraie subtilité du mouvement pendant les nombreuses discussions, des micro-détails qui subliment ces personnages et leur capacité d’exister. On aurait parfois aimé un peu plus de finesse dans la sexualisation de certains designs, même si c’est « cohérent » avec l’univers. Tout respire l’envie d’immerger le joueur, et il faut reconnaître que ça marche à fond. Mais c’est vite rattrapé par ces fameux bugs que l’on croise régulièrement durant les escapades cybernétiques.
Des piétons qui marchent au-dessus du sol, des voitures qui s’encastrent n’importe comment ou incapable de contourner votre véhicule, des textures qui sautent de temps en temps : l’implacable et impressionnante Night City se révèle peu à peu comme un colosse aux pieds d’argile. Pas de soucis bloquant les missions décelés (même si à priori ça peut arriver), mais la fréquence de micro-bugs que l’on rencontre donne la sensation que le jeu peut nous péter à la tronche à chaque instant. C’est alors au joueur d’établir très vite son niveau de tolérance pour qu’il puisse surmonter tout ça. De mon côté, ça m’a plus amusé qu’autre chose, ayant déjà constaté ce genre de soucis sur beaucoup de mondes ouverts à leur sortie, Skyrim ou Witcher 3 en tête. Et c’est le genre de désagréments qui seront probablement peaufinés et réglés durant les prochains mois. Parmi les problèmes plus compliqués à ignorer, les poppings de décors sous notre nez seront plus dérangeants, même avec la meilleure volonté, de même que certains quartiers bien plus vides que la normale ou la conduite très austère des personnages pendant des scènes cruciales, qui peuvent facilement ruiner la cohérence cinématographique de Cyberpunk 2077.
Mais là où Cyberpunk 2077 pose problème, c’est lorsque des erreurs basiques commencent à pointer le bout de leur nez. Inutile de parler de l’IA : on se demande simplement s’il y en a une, tant les ennemis réagissent de manière primaire (les tireurs restent planqués et vous allument, les sabreurs foncent sur vous en ligne droite), quand bien même ils arrivent à faire la seule tâche qu’on leur demande. Hormis ces adversaires pas très finauds, c’est la structure des missions qui manque cruellement de profondeur. Si Cyberpunk 2077 se revendique comme un jeu de rôle, il apparaît finalement comme un « Deux Ex » très light, simplifiant une liberté d’action pour prioriser son histoire. Chaque joueur aura à peu près les mêmes possibilités dans un niveau : s’infiltrer en éliminant les gardes discrètement, hacker/scanner les machines/humains, trouver des chemins alternatifs ou y aller la fleur au fusil à grands renforts de fusil à pompe. On ira ensuite mettre des points de compétences dans ses domaines de prédilection pour accéder à plus d’options (possibilité de sauter plus haut, avoir plus de mémoire vive pour le hacking, compétence de ralenti en plein combat). Aucune solution ne prend le pas sur l’autre et mis à part quelques missions, on a rarement l’impression d’avoir le contrôle sur le déroulé de son trajet vers l’objectif.
Lorsque le générique arrive, le constat est sans appel : ce ne sont pas les missions principales qui proposent les niveaux les plus intéressants. En dehors de quelques unes, elles sont surtout présentes pour faire avancer le scénario et se concentrent donc sur du dialogue ou des séquences de mises en scène. Les missions annexes sont déjà un peu plus intéressantes, mais la surprise viendra des Contrats, des missions très courtes aux objectifs simples (évacuer un fixer égaré, éliminer un adversaire dangereux) mais qui demande souvent au joueur de se débrouiller avec les moyens du bord pour atteindre sa cible, tout en infusant un minimum de contexte scénaristique. Mais si Cyberpunk 2077 vous a attiré par ses promesses de grand jeu de rôle où l’on crée sa propre histoire avec de vraies conséquences sur vos actions, passez votre chemin. Les trois prologues suivant l’origine choisie n’auront d’impact que sur la première heure de jeu et quelques lignes de dialogues, et ce sera la réussite de certaines missions secondaires qui impacteront la fin que vous aurez ou les quelques romances accessibles. On trouvera bien ici et là des fulgurances d’écriture et autres intrigues à tiroirs qui parleront aux aficionados de Witcher 3, mais c’est bien maigre, malgré une intrigue qui se suit avec plaisir.
Si l’histoire accroche un minimum, c’est avant tout grâce à la bonne tenue des personnages qui, en dehors du soin apporté à leur modèles, possèdent un background plutôt développé et de très jolis moments pour certains, même si certains clichés typiques du cyberpunk, dans le design notamment, sont encore bien tenaces. La bonne surprise viendra de Johnny Silverhand, interprété par Keanu Reeves, alors que tout indiquait une pratique douteuse de créer de l’attente autour du jeu en faisant venir une star mondiale. Mais force est de reconnaître qu’il s’intègre très bien à l’histoire principale et son rôle devient vite un pivot important, intervenant régulièrement pour se greffer à votre aventure même dans vos activités les plus secondaires. Une super idée, quand on voit à quel point les jeux en monde ouvert ont tendance à mettre l’histoire en pause tant que le joueur n’est pas revenu sur les rails scénaristiques.
Si les bugs techniques et la simplicité des systèmes de jeu auront déjà rebuté quelques joueurs, on ajoutera quelques erreurs étonnantes, comme cette affreuse mini-map. Planquée dans un coin de l’écran, elle est indispensable pour trouver votre chemin mais son zoom de base empêche d’anticiper les sorties de voies express, ce qui occasionne énormément de demi-tours pour retrouver le bon chemin. L’interface de Cyberpunk 2077 n’est également pas des plus pratiques, rappelant les heures sombres de Witcher 3, et il faudra un certain temps pour trouver ses marques. Une profusion d’éléments qu’on retrouve également sur la carte principale, véritable déluge d’icônes qui donne surtout envie de se laisser porter par la ville plutôt que de faire les tâches une à une. Des errements de game design difficilement pardonnables quand tous les voisins font des efforts pour éviter ce genre d’erreurs et faire évoluer le jeu en monde ouvert.
Tout ces petits soucis démontrent à quel point l’ambition visuelle de Cyberpunk 2077 a complètement érodé la réflexion autour du jeu lui-même. Alors que Night City représente un des plus beaux terrain de jeu qu’on ait pu voir dans un titre en monde ouvert (quand tout fonctionne), on se retrouve avec une succession de missions basiques, certes plutôt bien mises en scène et évitant la multiplication des temps de chargement, mais disposant d’un gameplay au mieux basique, au pire gâché par son IA catastrophique ou des animations manquantes. Alors que Rockstar tente quelques évolutions dans Red Dead Redemption 2 par l’immersion et le réalisme, Cyberpunk 2077 ne fait que singer de manière clinquante sans réfléchir à ce qu’il pourrait apporter au genre. Vos actions n’ont aucune incidence sur les gangs, votre appartement n’est finalement qu’un endroit de passage et votre personnage ne vit jamais autrement que pour ses missions et ses contrats. Si Cyberpunk 2077 devient l’exemple parfait des limites d’une industrie toujours plus bouffée par les attentes des joueurs et mettant en péril la santé d’un studio, il n’aura pas non plus réussit là où on l’attendait. L’immersion est bien là, l’aventure plutôt agréable, parvenant même à offrir quelques jolis moments, mais ne révolutionne rien et se révèle même parfois trop simpliste au regard de l’ambition visuelle dont il fait preuve. On en ressort satisfait, avec des étoiles plein les yeux, mais qui s’éteignent bien trop vite.
Cyberpunk 2077
Développeur: CD Projekt RED
Editeur: CD Projekt RED
Prix: 60 euros
Plate-formes: PS4 / XBOX ONE / PC (et bientôt PS5 / XBOX SERIES via un upgrade)