
Dans la tête de Sherlock Holmes (t.1), de Cyril Liéron et Benoit Dahan
Cette Affaire du ticket scandaleux offre d’emblée une plongée dans les processus cérébraux du plus célèbre des détectives. Les deux auteurs développent une batterie d’effets spéciaux pour retracer le parcours d’une enquête à l’intérieur même de cet esprit brillant. On attend le 2e tome du diptyque pour savoir si l’essai est réussi.
L’histoire : La découverte d’une poudre mystérieuse sur des vêtements et d’un ticket de spectacle très particulier amène Sherlock Holmes à penser que le patient de son ami Waston n’est pas l’unique victime d’un complot de grande ampleur. Il semblerait en effet que l’étrange disparition de Londoniens trouve son explication dans les représentations d’un magicien chinois. D’autres tickets retrouvés confirment les soupçons du détective.
Mon avis : Plongez dans le Cerveau des cerveaux : celui, toujours surprenant et omnitâche, de Sherlock Holmes. Plongez littéralement : dès la couverture, creusée en son centre pour dessiner le profil anguleux du détective au deerhunter (très bonne idée de prendre modèle sur le fabuleux acteur Peter Cushing, qui a incarné Holmes à plusieurs reprises), on entre physiquement dans son esprit. Une couverture en deux parties : le contour, tout de bleu et de fog, vous a un agréable aspect steampunk ; l’intérieur offre une vue directe sur le palais mental de Holmes, avec Sherlock himself fourrageant dans le rayonnage intitulé “Crime”.
Tournez la page et, en 2e et 3e de couverture, voici la sorte de hangar immense qui compose visuellement l’esprit du maître de Baker Street. Des bibliothèques remplies de livres soigneusement classés sous les rubriques “Meurtres”, “Cambriolages”, “Extortions” (oui, avec une coquille), “Vols”, “Usurpations”, etc. Un grand meuble à casiers et vastes tiroirs lui sert à ranger les “Indices de l’affaire en cours”. Tandis que, dans une corbeille, sont remisés les documents “inutiles” “à purger”, et notamment, bien sûr, un ouvrage consacré au système solaire – l’ignorance volontaire de Holmes en la matière étant proverbiale.
Dès ce palais mental très industriel, le fil rouge apparaît, qui entre par une lucarne et disparaît dans une ouverture du mur. Ce fil rouge revient un peu plus loin dans le livre, dès l’apparition de l’indice n° 1, et n’en quittera plus les pages. Il offre au lecteur à la fois une représentation graphique du parcours mental de Holmes, et un précieux fil d’Ariane pour ne pas se perdre dans une construction complexe. Il s’enroule autour des cases, passe d’une icône-indice à la suivante, arbore les étiquettes que Sherlock attribue en esprit à chaque indice, trace les trajets des personnages sur une carte de Londres.
Plus encore que le palais mental du début, ou de la représentation de la tête de Holmes en intérieur de maison vue de profil (voir l’illu en tête de cette chronique), c’est ce fil rouge qui symbolise l’art de la déduction du détective consultant.
Cyril Liédon (scénario) et Benoit Dahan (dessin) s’offrent même un bout de page en transparence, invitant le lecteur à regarder cet espace rond devant une lumière afin de voir, à travers un mur, la silhouette d’un bandit en pleine fuite. Silhouette dont, selon ses calculs forcément exacts, Sherlock a parfaitement prévu la position à l’instant T.
Reste un petit goût de trop peu. Une envie d’un peu plus de puissance dans le récit, d’ampleur, de profondeur, de danger. C’est lié, sans doute, au matériau de base. Si l’on relit les nouvelles d’Arthur Conan Doyle, on reste parfois frustré par le récit. Holmes œuvre fréquemment seul, loin du Watson narrateur. Et le hasard joue un rôle récurrent dans le dénouement d’une enquête. Quand Holmes n’avoue pas en définitive un échec, partiel ou total.
Ce premier tome de Dans la tête de Sherlock Holmes pèche un peu par excès de linéarité – on suit trop consciencieusement l’avancée mentale de Holmes dans son enquête. Tout ceci reste très (trop ?) sage. Il faudra attendre le tome 2 pour se faire une idée définitive de la chose, car tout peut changer. C’est souvent en deuxième partie de récit que, chez Doyle, les choses se corsent quelque peu.
En accompagnement : On peut s’offrir le plaisir coupable de revoir, pour la 15e fois, la brillante série Sherlock de Steven Moffat et Mark Gatiss, et oublier au passage la désastreuse Elementary américaine.
Si vous aimez : … les longs parcours cérébraux dans la psyché d’un homme et le dédale londonien, From Hell demeure un exemple du genre : dans l’un des longs passages du comics séminal d’Alan Moore et Eddie Campbell, il ne se passe strictement rien d’autre qu’un voyage d’instruction dans la Londres maçonnique. Pourtant, c’est l’un des morceaux de comics les plus dérangeants qui soient.
Dans la tête de Sherlock Holmes, tome 1, L’Affaire du ticket scandaleux
Écrit par Cyril Liéron
Dessiné par Benoit Dahan
Édité par Ankama