
Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson et Virgile Dureuil
Se perdre pour se retrouver, une expérience solitaire de six mois dans la taïga. Revenir au dénuement le plus total pour recouvrer la richesse intérieure et extérieure. Sylvain Tesson s’ouvre à un plus large public avec l’adaptation de ce récit introspectif et autobiographique sublimé par le dessin de Dureuil. En Sibérie, il y fait diablement froid mais cet ouvrage nous réchauffe le cœur.
L’histoire : Sylvain Tesson, la quarantaine approchant, décide de s’extraire pendant quelques mois de la cité et de la vie des hommes. Il s’installe dans une cabane sibérienne au bord du lac Baïkal avec pour seuls compagnons d’exil volontaire des livres fondateurs, des cigares et de la vodka. Perdu au milieu de nulle part, son huis-clos n’en sera pas véritablement un. Surtout qu’il risque bien de retrouver un personnage qu’il a bien connu puis perdu de vue, c’est-à-dire lui-même.
Mon avis : je déteste l’idée de contempler d’abord une œuvre puis d’assister à une de ses déclinaisons dans un autre format. Peu importe, en vrai, la première par laquelle je commence, l’original ou la copie mais je préfère n’en voir qu’une. En l’espèce, il s’agit de l’adaptation du best-seller de l’écrivain voyageur en bande dessinée. Je n’ai pas lu son ouvrage primaire en revanche, je me suis éclaté à dévorer les planches que cela a donné.
D’abord parce que le trait de Virgile Dureuil a su se fondre et accompagner les mots de l’auteur. Il y a toujours un risque quand on couche sur le papier des mots en dessins, celui d’en faire trop, de mettre le récit au deuxième plan pour donner pleine mesure à son crayon. Le piège est largement évité, le dessinateur accompagne et sert subtilement l’histoire grâce à une palette de couleurs qui s’adapte parfaitement.
Ensuite, le récit est d’une force incroyable. Difficile pour moi de comparer avec le bouquin sorti en 2011 mais j’imagine que la BD a su garder la substantifique moelle de cette incroyable aventure. Incroyable car, en se retirant du monde pendant six mois de février à juillet 2010, Tesson a redécouvert son humanité et celle de ses compagnons de fortune. Dans une nature obtuse, il est revenu à l’essentiel. Se chauffer, se nourrir l’esprit et le corps, mériter son quotidien, rêver et réfléchir. En s’isolant, il s’est au contraire mêlé et ouvert aux autres. Comme le paradoxe ultime de cette période fondatrice et ascétique.
Je l’ai lue et relue cette bande dessinée et je ne m’en suis pas lassé. Au point même d’envisager me procurer le livre premier. Il n’y a que les imbéciles qui…
En accompagnement : La panthère des neiges du même auteur, récemment couronné du Renaudot, une aventure sur les plateaux du Tibet. De quoi envisager une nouvelle adaptation…
Si vous aimez : vous assoir à une table devant une fenêtre et contempler la nature.
Autour de la BD : lettré et géographe, Sylvain Tesson est un bourlingueur de première qui a crapahuté à travers le monde et qui a nourri son appétit de littérature par le voyage. Couronné à de multiples reprises, il est aussi photographe reconnu et, de son propre aveu, stégophile, un néologisme qui évoque ceux qui ont la passion de l’escalade des toitures… Virgile Dureuil est un publicitaire de formation et découvre la bande dessinée via ce récit.
Extraits : « 8 mai. Par la plaine grise et blanche fracturée de blessures d’eau vive, je me rends chez Volodia, à Iélochine, pour une visite de courtoisie. Les chiens trottinent flanc à flanc, et, en cinq heures, nous enlevons la distance. En arrivant à Iélochine, Bêk et Aïka, du haut de leurs quatre mois, se sont rués sur les cinq molosses de Volodia pour leur faire la peau. Ils ont pris une dérouillée mais je les ai félicités pour leur panache. »
« Volodia tient une tasse de thé dans son énorme pogne et croque un citron. Tu as des échecs, Volodia ? »
« Oui, le deuxième jeu le plus intelligent après le tir à la corde. »
Écrit par Sylvain Tesson
Dessiné par Virgile Dureuil
Édité par Casterman