
Dans ton #PIFFF 2 : Prince of Darkness
Dans une église désaffectée, des scientifiques affrontent une entité maléfique. John Carpenter au sommet de son art : un pur objet de terreur.
Hier, j’étais excité comme Sarko à un festival de talonnettes. En effet, le PIFFF projetait, dans une copie mirifique, un des classiques de John Carpenter, le supérieurement terrifiant Prince of Darkness, une histoire de démon qui prend vie dans une église de Los Angeles. Nous sommes en 1986 et depuis près de 10 ans, Big John aligne les cartons : Halloween, New York 1997, The Thing, Starman, Big Trouble in little China… Il est au sommet de son art et ne retrouvera jamais plus cette puissance de feu, cette urgence, ce génie créatif. Grosse catastrophe au box-office, Jack Burton contraint Carpenter à un retour vers le cinéma indépendant, à la série B de ses débuts. Marre des projections-tests, des remontages à l’infini, des discussions sans fin avec des executives, Big John veut retrouver son indépendance, sa liberté. Il a budget ridicule, 30 jours de tournage et un scénario signé Martin Quatermass, un pseudo de Carpenter bien sûr…
Contacté par un prêtre, un groupe de scientifiques moustachus avec fringues à épaulettes et montres Casio top moumoute avec calculatrice intégrée, étudie un étrange phénomène dans une église abandonnée de L. A. : un cylindre de verre antédiluvien et son contenu liquide qui semble prendre vie. Bientôt, une étudiante parvient à décrypter un manuscrit codé lié au cylindre : il contiendrait le fils de Satan lui-même, dont la mission serait de délivrer son père des ténèbres, ce lui permettrait enfin de régner enfin sur notre monde…
Avec ce script basique, John Carpenter va pouvoir naviguer en terrain connu (on décèle les influences/références à Halloween ou The Thing) et ciseler un huis clos où la menace vient de l’intérieur (le diable, les possédés, mais aussi l’intérieur du corps), mais aussi de l’extérieur (les clodos-assassins qui empêchent les scientifiques de sortir de l’église). Ordinateur, vélo, sécateur, miroir sont détournés de leur usage premier et deviennent des objets de mort ou sataniques. Le Mal est une épidémie (le sida ?) qui se répand, contamine, transforme… Les corps possédés s’ouvrent, se couvrent de plaies purulentes, se morcèlent et laissent échapper des flots de cafards. Mais Carpenter n’est pas seulement un amateur de conte gothique, il est également fasciné, hors écran, par la physique. À ses moments perdus, il dévore des ouvrages très sérieux sur la physique quantique. Car, prétend-il, tous les secrets ont été disséqués. Sauf un : « Au cœur de l’atome, il y a le noyau. Et là, il y a une nuit. La matière, en son cœur, recèle un mystère… » Big John en saupoudre le film et entre la métaphysique à deux balles du prêtre, les scientifiques se lancent dans de longues digressions absconses, un gloubi-boulga foireux où il est question de particules subatomiques, de physique quantique et même, ne riez pas, de dieu plutonium. Comme dit le plus sérieusement un des persos du film : « This is caca ».
« Dans l’histoire du cinéma américain, il y a trois grands cinéastes : Howard Hawks, Howard Hawks et Howard Hawks. » Voilà, c’est dit. Carpenter est le fan ultime du réalisateur de Rio Bravo. Il le cite dans chacun de ses films et a même signé un sublime remake d’Hawks (The Thing). Ici, sa mise en scène, simplement somptueuse, évoque Hawks à chaque plan. Son film, très physique, très fluide, est d’une pureté absolue dans les mouvements, la gestion de l’espace, la sécheresse du récit, la sobriété des acteurs, les changements d’axe, cette façon de faire le point sur un personnage et laisser l’autre flou… Trente ans plus tard, même si je connais le film par cœur, je suis toujours sidéré quand je vois l’efficacité de certaines séquences et surtout leur simplicité : ce gros plan en mouvement sur le sécateur, la caméra qui se baisse pour cadrer des fourmis grouillantes, la main qui traverse le miroir… Il s’agit néanmoins de faire peur et John a de la ressource, notamment quand il oppose dedans/dehors (l’église et l’extérieur, mais aussi les corps qui s’ouvrent ou les miroirs qui donnent sur d’autres mondes). Il arrive même à faire frissonner avec un écran d’ordinateur vintage quand la jeune Asiatique tape à l’infini « I live, I live, I live… » sur son ordinateur (merci Kubrick).
Bon, je m’aperçois que je n’ai même pas parlé du générique du début (neuf minutes !), de la musique minimaliste (un des scores plus monstrueux de Carpenter) ou de l’apparition tétanisante d’Alice Cooper (dont le manager a coproduit le film). Non, ce qui m’a surpris hier soir lors de cette belle projo, c’est la fin ouvertement douce et optimiste de Prince of Darkness. Au prix du sacrifice ultime, l’amour peut vaincre le Mal. Provisoirement, peut-être…
Et si John Carpenter était le dernier romantique ?
Tout à fait d’accord. J’ajouterais, au-delà du score lui-même, une utilisation des nappes sonores extrêmement maîtrisée et équilibrée avec les dialogues et les bruitages, des ambiances parfaites. Une dimension auditive elle-même très narrative je trouve. Il m’arrive régulièrement de me passer le film dans le casque au boulot, pendant que je bosse, et de suivre l’histoire (et mon travail) sans problème.
Quant à la fin du film, j’ai du mal à y voir douceur et optimisme, en revanche. Difficile d’en parler sans ‘divulgâcher’ le twist, mais bon, à mon sens ça finit mal, et même très mal… Avec un bon vieux ‘rêve dans le rêve’ utilisé aussi, notamment, dans son excellent ‘In the mouth of madness’.