Danse Macabre (critique de Spring Breakers, de Harmony Korine)

Danse Macabre (critique de Spring Breakers, de Harmony Korine)

Note de l'auteur

Honte à moi ! Totalement ignare du CV de son réalisateur, pas vraiment renseigné sur la genèse de Spring Breakers, son 4e film, j’appréhendais ce titre uniquement sur la base de son affiche. A savoir : un produit MTV sponsorisé par Red Bull et calibré pour les beaufs boutonneux de la génération Projet X. Raté : ce conte de fées pervers mâtiné de Scarface offre une étonnante descente aux enfers, particulièrement sombre et originale malgré son évident racolage assumé.

Synopsis (dossier de presse)
Pour financer leur Spring Break, quatre filles aussi fauchées que sexy décident de braquer un fast-food et ce n’est que le début… Lors d’une fête dans une chambre de motel, la soirée dérape et les filles sont embarquées par la police. En bikini et avec une gueule de bois d’enfer, elles se retrouvent devant le juge. Mais contre toute attente, leur caution est payée par Alien, un malfrat local qui les prend sous son aile.

Ouverture coup de poing : sur fond de Skrillex assourdissant, de jeunes corps arrogants de fermeté se déhanchent à demi nus au ralenti lors d’un Spring Break. Le trip nous hypnotise, Harmony Korine shoote nos sens au gros son et plans suintant l’hyper-sexualité et, merde, pourquoi j’ai 40 ans moi ? L’introduction clippeuse de Spring Breakers icônise l’hédonisme à son paroxysme, une ivresse de la jouissance sans limite de ces garçons et filles en plein exutoire quasi-animal. Sex, drugs, alcool et techno – même si, à l’écran, la pornographie ne dépasse jamais le stade de gestuelles explicites auxquelles les jeunes américains adorent se livrer en boîte. Brutalement, la narration bascule alors dans une série de saynètes feutrées, tournées façon cinéma vérité, présentant tour à tour les quatre étudiantes dans leur vie routinière d’un ennui aliénant.

La brune pratiquante Faith (Selena Gomez) et ses quatre copines blondes-white trash Candy (Vanessa Hudgens, méconnaissable), Brit (Ashley Benson) et Cotty (Rachel Korine, épouse du réalisateur). Leur obsession : trouver coûte que coûte l’argent nécessaire pour rejoindre les étudiants partis teufer en Floride. Le Spring Break. Le Graal. Plus qu’un simple lieu d’éclate, l’occasion unique de se réaliser pleinement dans une extase collective, oublier l’insignifiance de son quotidien, donner un sens à sa vie. Exister. Une mystique de bazar mais totalement opératoire pour ces gamines sans repères (où sont les parents, bordel ?) et mues par l’unique besoin de plaisir immédiat. En se pointant vierge d’informations sur le film, on imagine alors que le Spring Break en sera le sujet central autour duquel le scénario brodera quelques trames prétexte à nous montrer du booty. Et sans aucun doute, la caméra ne rate rien des courbes du cast féminin, scrutant sans pudeur leur entrejambe ou leur chute de rein, jouant un petit jeu pervers avec la libido du spectateur.

De gauche à droite : Brit (Ashley Benson), Faith (Selena Gomez), Candy (Vanessa Hudgens) et Cotty (Rachel Korine).

Exactement comme un Larry Clark (en moins obscène), dont il écrivit le scénario de Kids, Korine capture la sexualité agressive de ces lolitas vulgos passant le plus clair du film en bikini ultra échancré. Mais plus l’intrigue progresse, plus elle ne cesse de surprendre par sa noirceur et ses expérimentations narratives sensorielles aux frontières de l’onirisme. Renforcée par le recyclage de trois actrices issues de l’écurie Disney (Korine, espèce de petit malin !), l’impression d’assister à un conte de fée dégénéré se renforce à mesure de bobines. Dans leur quête de plaisir non stop, nos quatre petits chaperons rouges vont s’enfoncer dans les recoins les plus sombres d’une forêt en apparence enchantée, tombant sur un loup sacrément pervers : le gangsta-rappeur Alien (James Franco, hallucinant). Vendu abusivement comme le sujet central du film, le Spring Break en lui-même ne devient alors plus qu’une toile de fond.

Ce qui s’annonçait comme un pur produit d’exploitation (et qui l’est en partie) prend ainsi l’allure d’une expérience étonnamment radicale, novatrice et jusqu’au boutiste dans son ultime virage “scarfacien” convoquant l’outrance et la tragédie. C’est parfois grotesque et absurde, mais le plus souvent intriguant et visuellement stimulant même si, hélas, le film échoue à nous attacher à sa galerie de raclures égocentriques et décérébrées. Déstructurée, ponctuée de voix off et flashes forward quasi subliminaux fonctionnant comme autant d’indices prémonitoires, la narration compose un tableau impressionniste au bord du gouffre arty maniéré mais regorgeant d’idées de mise en scène. Témoin ce plan séquence où la caméra, embarquée à bord du pick up conduit au ralenti par Cotty, suit de l’extérieur la progression de Candy et Britt dans le fast food qu’elles braquent jusqu’à leur sortie du bâtiment avant de monter dans le véhicule. Nice shot, dude !

On apprécie aussi le sentiment d’authenticité des ruelles cracra où se perdent nos aspirantes bad girls, embarquées par un James Franco méconnaissable en clône blanco de Joey Starr. Mélange habile de fiction et réalité (certains plans sont tirés de vrais Spring Breaks), sans jamais pour autant tomber dans le piège éculé du found footage, le film revendique sa parenté avec la télé-réalité via le rituel de l’abandon de l’aventure symbolisé par deux départs en autocar. Chronique de la déglingue d’une certaine jeunesse crâmée, obsédée de pognon et de plaisir, Spring Breakers laisse au final le spectateur perplexe : conte moralisateur réac ? Branchouillerie racoleuse fascinée par ce qu’elle semble dénoncer ? Délire méta-pop à la gloire de la culture MTV (remember The Grind), featuring Britney Spears et gangsta rap ? Manifeste d’une génération Y perdue jusqu’à l’ivresse ? Sans doute un cocktail de tout cela.Mais au moins le film réussit un bel exploit : créer la surprise.

Spring Breakers, de Harmony Korine (1h32). Sortie nationale le 6 mars.

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