Days Gone : vieux motard que jamais

Days Gone : vieux motard que jamais

Note de l'auteur

C’est en 2016 que Days Gone sort de sa tanière lugubre pour s’offrir au public intransigeant de l’E3. Bend Studio, maître d’armes sur la saga Syphon Filter et sur quelques portages pour Sony, avait déjà pris ses marques chez le géant japonais sur le spin-off d’Uncharted sur PsVita. Pour le premier jeu «  » »original » » » sur consoles de salon, Bend Studio a préféré jouer la sécurité plutôt que de s’aventurer sur les terres incertaines d’un univers un peu trop bucolique, et a choisi l’une des thématiques les plus esseulées de ces dernières années : le zombie.

Partir en roue libre

Dire qu’on se sera tapé du zombie à tous les sauces est encore très loin de la vérité. Dans la catégorie très prisée de l’open world, State of Decay, Dead Rising ou encore Dying Light sont déjà passés par là mais Days Gone va aller dans l’efficacité avec une aventure ouverte à la troisième personne, concept chéri de la famille Rockstar. Le jeu vous met dans les bottes crasseuses de Deacon St John (Deek pour les intimes), un motard adepte des virées en Oregon. Une région qui sera le théâtre de vos petites balades sur ces routes mal famées, semi-remorques renversés inclus. Deacon est accompagné de son poto Boozer qui le suit partout, mais malgré les deux ans déjà écoulés depuis la catastrophe, il continue à faire le deuil de sa femme, disparue lors de sa fuite en hélicoptère. Bref, ça ne va pas fort pour notre biker au grand cœur et les deux compères vont préparer leur paquetage pour changer d’air et repartir à zéro.

Si le pitch résumé plus haut ne laissera que peu de doutes quant au fil rouge du scénario, c’est bien à cause de son écriture, au mieux efficace, au pire d’une consternante facilité. Je ne vous ferais pas l’affront de lister la succession de clichés que l’on croise au cours de l’aventure, surtout quand le voyage est fichtrement long. En ligne droite, Days Gone affiche un solide 30 heures au compteur, ce qui est dans ce cas précis, bien trop long. Le scénario ne fait que remplir les blancs pour rallonger constamment la sauce, multipliant des allers-retours dans le wasteland, parfois pour aller chercher des trucs aussi inutiles qu’un paquet de chips, et agrémenté de six heures de cutscenes (SIX – HEURES – DE – CUTSCENES). Des cinématiques, certes jolies, mais jamais très inspirées dans leur réalisation, concentrées sur du dialogue avec fondus au noir entre les scènes, ce qui occasionne souvent des ellipses incompréhensibles. Résultat : les cutscenes s’enchaînent sans réelles transitions et des moments supposément intenses ne le sont jamais.

L’influence de Naughty Dog est là, c’est certain, mais ce n’est jamais du même calibre. Certains personnages secondaires parviennent parfois à sortir leur épingle du jeu, souvent lorsqu’ils accompagnent Deacon le temps d’une mission, avant de sombrer dans du cliché mielleux, portée par une écriture aussi subtile qu’un Caterpillar ®. Il y a l’ambition, il y a l’envie, mais les maladresses prennent le dessus, jamais aidées par un Deacon pas très finaud, parfois touchant, mais manquant de crédibilité. Et pourtant, la qualité technique sur les survivants force le respect : visages détaillées, textures riches et fournies (quand elles ne sont pas ternies par un souci de loading) et jeu d’acteur convaincant. Tout est là pour toucher du doigt une certaine aura cinématographique. Il manque hélas un script solide.

Cette richesse graphique vous accompagne heureusement durant vos balades bucoliques en Oregon. Si on n’atteint évidemment pas les cimes d’un Red Dead Redemption 2 pour la beauté de ses paysages, Days Gone offre des panoramas boisées et magnifiques, balayés par des effets météo souvent superbement gérés, avec des bourrasques de vents suffisamment réalistes pour flipper seul sur sa moto au fond des bois nocturnes. Un charme ponctuellement dévasté par des lags impardonnables, encore présents à l’heure où j’écris ces lignes, et des scripts de cutscenes qui s’amusent à virer les premières neiges d’un claquement de doigt simplement par la présence obligatoire d’un soleil de plomb dans la mission suivante.

Oregon-or-ni-car

Si le terrain de jeu est splendide, l’épopée qui s’y déroule parvient à maîtriser son rythme grâce à plusieurs zones ouvertes séparées par des tunnels et autres obstacles un peu filous pour éviter que le joueur aille s’aventurer trop loin. Days Gone se parcourt principalement à moto, en ralliant les différents camps de survivants pour tailler le bout de gras avec les chefs du coin et leur rendre service, scénario ou non. C’est dans ces camps que l’on s’approvisionne en munitions et en armes, accessibles seulement si le niveau de confiance est suffisamment élevé. On y améliore aussi sa moto, élément indispensable du titre qui offre une jouabilité un peu pataude mais on s’y habitue. Les virées dans le No Man’s Land se font un œil fixé sur le réservoir pour ne pas tomber à sec, mais les points d’intérêt sont suffisamment nombreux pour trouver de l’essence facilement, voire même pour réparer sa bécane en cas de chocs répétés sur des gencives de morts-vivants. Mais les endroits visités ne sont pas très originaux : entre un petit village, quelques chalets éparpillés dans les environs et des fermes abandonnées, le terrain de jeu offre peu de variété. Les missions sont assez éloquentes : on passera son temps à revenir deux ou trois fois dans un patelin, la faute à un manque de sites propices aux affrontements un peu plus musclés. Il y a bien les sempiternels camps de maraudeurs à nettoyer ou des nids à réduire en cendres, mais les objectifs de missions sont l’exemple type du jeu open world à tendance répétitive. Et c’est encore plus fort quand le scénario force le joueur à accomplir certaines quêtes secondaires pour avancer.

Pour marquer l’avancée de l’histoire, Bend Studio a choisi un modèle étrange, basé sur des arcs narratifs liés à certains personnages ou objectifs sur le long terme. Chaque mission pourra faire avancer un pourcentage suivant ce qui s’y sera passé. Une approche originale, qui n’empêche pas la longueur ahurissante de l’intrigue. Ainsi, j’ai bien cru terminer le jeu à deux moments précis, avant que tout se relance aussi sec à mon grand désespoir. Et ne pensez pas que Days Gone tente de renouveler la boucle de gameplay : aller à un point B, nettoyer la zone, retourner au point A. Il était même facile de prévoir la structure des missions au bout d’un certain temps, surtout quand celles-ci sont liées par un arc narratif précis, à la manière des quêtes secondaires d’un Batman: Arkham City. On ira jusqu’à se taper des séquences d’infiltration quasi identiques avec un gusse en hazmat, balançant même certaines clés de l’univers du jeu pour ne rien en faire par la suite. Et je ne parle même pas des objectifs validés par une simple cinématique ou des quêtes inutiles aka « il faut que le jeu fasse 40 heures, faisons des quêtes Fedex insipides ». J’espère qu’il en profitera bien, de son lecteur MP3.

« Mais alors dis-moi, est-ce qu’il y aurait pas un peu de survie dans ce jeu de survie ? » Tout à fait, et c’est l’un des pans majeurs du gameplay de Days Gone. Outre le fait de ramasser tout ce que vous trouvez durant vos péripéties (chiffons, réveils, battes de baseball), la survie passe par un craft accessible à tout moment via une roue de sélection, à la manière d’un certain The Last of Us. Que ce soit des médocs en cas de coups de griffes malheureux, des projectiles inflammables ou explosifs ou encore des objets pour distraire les adversaires, le menu est plutôt complet, même si on connaît bien la recette, déjà vue partout ailleurs. Mais cette roue d’inventaire est parfois capricieuse et ira sélectionner un autre objet de la catégorie souhaitée juste parce que vous aurez appuyé sur la gâchette une seconde de trop. Une erreur fatale face à un ours zombie fonçant sur vous, qui aurait pu succomber avec un cocktail molotov dans le museau plutôt qu’une bombe explosant à plusieurs mètres de lui.

Mais l’ambiance et l’atmosphère des premières heures fonctionnent. Tâtonnant chaque centimètre carré d’herbe, accroupi entre les arbres, le trouillomètre grimpe facilement quelques crans lorsque l’on doit récupérer ce jerrican au milieu d’une petite dizaine d’infectés. On prend vite le pli, on commence à ramasser efficacement les éléments pour crafter ce que l’on a besoin, et à fouiller les voitures abandonnées pour récupérer de la ferraille, éliminant les rôdeurs d’un coup de couteau. Mais passé les dix premières heures de jeu, l’émerveillement laisse place à la morosité, la faute à un renouvellement inexistant, qui se contente d’enchaîner des missions pas horribles mais sans inspiration, avec tout au plus quelques compétences qui ne seront là que pour renforcer des capacités que l’on a dès le départ. Il n’y a finalement plus que l’histoire pour trouver un semblant d’intérêt, mais quand celle-ci tourne vite en rond, on se voit obligé de prendre son mal en patience.

Horde ordinaire

Là où Days Gone a tenté de sortir son épingle du jeu, du moins dans sa campagne marketing, c’est par la présence de hordes. Véritable armée de zombies qui déambule en masse n’importe où sur la map du jeu, n’espérez même pas vous y frotter lors de vos premières sorties. Il faudra faire appel à votre ingéniosité pour vous en débarrasser, à coups de pièges explosifs et goulots d’étranglements entre deux containers afin d’arroser quelques bastos sans courir le risque d’être débordé. L’histoire forcera le joueur à en éliminer quelques-unes, dans des endroits au level design soigné et malin. La préparation pour s’attaquer à ces gros morceaux est primordial, sous peine de devoir constamment courir en tirant quelques rafales derrières vous. Exigeants et tendus, ces phases de gameplay sont probablement les meilleurs passages du jeu. Et étonnamment, le jeu tient techniquement la route dans ces moments-là et ne suffoque pas quand il doit afficher ces centaines de zombies.

Si je suis aussi difficile avec Days Gone, c’est tout autant une histoire de tendances culturelles que d’ambitions parfois démesurées pour un studio qui n’a jamais tenté de titre comme ça. Le jeu sort au moment où le public commence à saturer sur les univers à monde ouverts et sur le thème du zombie. Sauf parti pris couillu ou point de vue différent, il était compliqué de créer un jeu réellement original pour les joueurs assidus qui sont habitués à ce genre de gameplay et d’univers. Et Bend Studio ne cherche jamais l’originalité, préférant se concentrer sur l’histoire en s’inspirant (singeant ?) des plus grands, en particulier Naughty Dog. Mais même avec un moteur graphique impressionnant (hors lags), Days Gone ne sort jamais de ses clichés et ne prend pas les risques qu’il aurait dû prendre. Il ne fait que reprendre une recette vu mille fois, avec un gameplay solide mais loin d’être excellent. Le plus gros reproche que l’on peut faire à Days Gone est d’être sorti après tous les autres.

En bref, Days Gone est pour vous si les jeux open worlds et les zombies ne vous donnent pas encore de l’urticaire. Dans ces domaines, il parvient à délivrer une partition solide, efficace et surtout une qualité graphique indéniable, si vous arrivez à passer outre des ralentissements impardonnables. Mais il n’ira jamais plus loin que son postulat de base, perdu dans une boucle de gameplay répétitive qui ne surprend pas, surtout quand on a vu mieux ailleurs. Et si vous persistez, il faudra se farcir une histoire bien trop longue et bavarde, néanmoins illustrée par de jolies cinématiques (6 HEURES DE CINÉMATIQUES). Tout est là pour faire quelque chose d’épique, mais ça reste désespérément fade et peu inspiré. La petite virée en Oregon saura peut-être attirer les plus curieux, mais ne vous attendez pas à trouver une quelconque surprise dans ce titre : tout ça a disparu en même temps que l’humanité.

Days Gone
Éditeur : Sony Entertainment
Développeur : Bend Studio
Support : PLAYSTATION 4
Prix : 60 euros

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